Université de Franche-Comté

La subjectivité, arme du crime ?

Certes, le crime fait l’objet d’investigations scientifiques des plus pointues, entre logiciels d’analyse criminelle et tests ADN, mais il s’entoure aussi de compromis, d’approximations, d’interprétations, de concours de circonstances qui le font échapper à la rationalité et au contrôle. D’ailleurs, la notion de crime elle-même est fluctuante, elle n’est qu’une construction sociale différant d’un pays à l’autre et évoluant au fil des époques…

La criminologie est « l’étude scientifique du phénomène criminel et des réponses que la société apporte ou pourrait apporter », selon la définition de la Conférence nationale de criminologie (2010). Elle étudie toutes les formes d’infractions que sont les crimes, les délits et les contraventions, chaque vocable correspondant à l’importance des peines encourues : en France, réclusion supérieure à dix ans et jusqu’à la perpétuité pour les crimes, emprisonnement d’une durée maximale de dix ans ou/et amende pour les délits, amende pour les contraventions. En France toujours, un vol est un délit, un vol avec usage ou menace d’arme devient un crime, passible de plus de dix ans de réclusion.
La criminologie s’intéresse aussi aux facteurs qui poussent un individu à la délinquance, comme aux conséquences induites par la criminalité pour une société. Pour mener à bien l’ensemble de ses missions, elle a besoin des apports de la sociologie, du droit, de la psychologie, de l’histoire, de la médecine, des statistiques, ou encore de l’économie. La criminologie n’est donc pas une discipline scientifique à part entière mais un agrégat de compétences puisées dans différentes disciplines. Une condition particulière qui explique que le métier de criminologue n’existe officiellement pas en France, mais qui n’empêche pas, à l’inverse, la reconnaissance de cet intitulé en Suisse.

Le système judiciaire : une nature à charge ?

Au jeu des différences, les systèmes judiciaires des deux pays opposent leurs fondements, ce qui n’est pas sans incidence sur les questions de criminalité. En France, une instruction est requise par le ministère public auprès du juge d’instruction. Celui-ci dirige l’enquête policière, avant de retourner le dossier en l’état d’être jugé au ministère public qui, soit prononcera un non-lieu, soit portera l’affaire devant le tribunal. Le procureur requiert à charge, l’avocat apporte des éléments de défense en faveur de l’accusé, et le juge prononce sa sentence en vertu de tous ces éléments de connaissance. En Suisse, l’unification des procédures pénales rallie depuis 2011 tous les cantons à un système à l’américaine dans lequel le juge d’instruction n’existe plus. C’est le procureur qui désormais instruit l’affaire, avant de changer de toque et de prendre le rôle de représentant de l’accusation. Configuration vue au mieux comme paradoxale, au pire coupable de conflit d’intérêt, le système a retenu l’attention du CRRC1, le Centre romand de recherche en criminologie, qui, pour établir des comparaisons, a lui aussi mené l’enquête…

« Dans un jeu de rôle fictif, nous avons fait endosser aux participants les habits de juge d’instruction, de procureur ou d’avocat de la défense, explique André Kuhn, enseignant en criminologie et en droit pénal. Il s’avère que tous trois demandent beaucoup de moyens de preuve à décharge vis-à-vis de l’accusé. Mais, et très logiquement, c’est l’avocat qui en re­quiert le plus et le procureur le moins. On perd donc des preuves à décharge avec le nouveau système, ce qui peut bien sûr modifier le jugement final ».

Le CRRC s’est aussi attaché à comparer les peines infligées par les juges à celles qu’appliqueraient les citoyens s’ils en avaient le pouvoir. « Des enquêtes montrent que les citoyens estiment la justice trop laxiste ; mais lorsqu’ils ont entre les mains les mêmes éléments de connaissance, en réalité la majorité d’entre eux prononcent des peines moins sévères que celles des juges », témoigne André Kuhn.

Ces résultats étonnants sont ceux de recherches menées en 2000, 2007 et 2015, qui ont toutes abouti à la même conclusion. Les études ont concerné l’ensemble des mille sept cents juges suisses et près de deux mille individus, et portaient sur des cas fictifs de viol, de détournement d’argent, d’infraction routière et de cambriolage. « Seul le viol a fait l’objet de sanctions plus sévères de la part de la population que celles prononcées par les juges. »

1Le CRRC de l’université de Neuchâtel, créé en 2014, est composé d’experts en droit, psychologie, statistiques et sociologie.

Questions d’égalité

En France, un principe de base du droit énonce que seul le ministère public peut décider de déclencher des poursuites judiciaires. Afin d’atténuer ce monopole, la loi prévoit d’accorder aussi cette possibilité aux victimes, pour les crimes et de graves délits. Mais certaines victimes sont dans l’incapacité d’engager une telle procédure, comme les enfants maltraités. Pour pallier cet écueil, certaines associations ont été agréées pour se por­ter parties civiles au nom de ces victimes et engager à leur place une procédure.

Directrice du CRJFC, le Centre de recherches juri­diques de l’université de Franche-Comté, Béatrice Lapérou-Scheneider étudie l’évolution de ce dis­po­sitif, ce droit étant accordé à de plus en plus d’associations et même à des fondations depuis dix ans. « C’est un signe fort d’une sorte de méfiance envers le ministère public, ne serait-ce qu’en raison du manque d’effectifs limitant ses possibilités d’action, et c’est également le signe d’une volonté d’appropriation par les citoyens de questions qui touchent l’ensemble de la population. »

Ainsi les associations Transparence et Sherpa sont à l’origine d’une plainte déposée en 2007 et de l’action menée depuis contre le vice-président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, qui aurait détourné plus de cent millions d’euros dans son pays et acquis des biens en France grâce à l’argent de la corruption. Ce procès dit des « biens mal acquis » est en cours, et la procédure à laquelle ont eu recours les associations est clairement un exemple de contre-pouvoir vis-à-vis du ministère public français, qui avait classé l’affaire sans suite pour des raisons diplomatiques.

Dans un tout autre domaine, l’association L214 Éthique et Animaux est extrêmement active et se substitue aux cochons, poules et autres victimes animales et silencieuses ayant à subir des maltraitances. Béatrice Lapérou-Scheneider explique comment cette association avait déposé plainte contre une société d’élevage de poussins, qui pratiquait l’abattage dans des conditions effroyables. « Elle n’avait pu se constituer partie civile, l’objet de la plainte relevant du Code rural et n’étant pas prévu au code de procédure pénale autorisant les associations à se porter partie civile. » C’est finalement le ministère public de Brest qui a engagé les poursuites, sur la base de la plainte déposée par L214 ; l’association réclame parallèlement une réforme du code de procédure pénale, afin qu’il accorde le droit à se constituer partie civile pour toutes les infractions commises à l’encontre des animaux. «Le code a été remanié à plusieurs reprises ces dernières années. Si l’intention de donner plus de latitude aux associations est louable, la façon dont les choses s’accélèrent et se construisent est trop confuse et désordonnée pour délimiter un cadre satisfaisant. » Résultat : des textes disparates, des règles qui ne sont pas les mêmes d’une association à l’autre, un accès complexe à la justice pénale et au final, des inégalités de traitement des infractions commises. Un édifice à consolider pour donner pleinement aux associations la possibilité de défendre des dossiers qu’elles connaissent souvent mieux que le ministère public, et qui sont par ailleurs plus accessibles aux personnes vulnérables que la justice.

 

Corruption, argent sale et potentats

Si les recherches portant sur les manœuvres des potentats du monde entier sont nombreuses, celles menées par l’ILCE2 sur l’impulsion de Mariame Krauer-Diaby présentent la particularité d’intervenir très en amont d’une affaire. L’objectif de l’équipe pluridisciplinaire réunie autour de la jeune juriste est de déterminer les agissements illicites d’un dictateur pendant qu’il est au pouvoir et surtout avant qu’il ait le temps de placer « son » argent sur des comptes suisses.

« Connue pour pratiquer le secret bancaire, la Suisse met un point d’honneur à restituer aux pays concernés de l’argent dérobé par des dirigeants sans scrupules, et placé dans ses banques », souligne Isabelle Augsburger-Bucheli, doyenne de l’ILCE.

Mais la restitution de cet argent n’est pas chose simple, et ne va pas toujours dans les bonnes poches, même si l’opération est effectuée sous le contrôle d’ONG. Bloquer les fonds, pouvoir les refuser dès lors que la culpabilité des dictateurs est établie, procède d’une démarche à haut risque, mais nettement plus active. Pour cela, les chercheurs travaillent à établir les critères qui, objectivement, autoriseront à qualifier de potentats les dirigeants qui s’enrichissent illicitement et de manière exorbitante, revoyant des cas anciens pour guider leur jugement, et donnant des outils d’évaluation aux intermédiaires financiers, comme les banques, pour créer une chaîne de collaboration efficace.

« Les enjeux sont énormes, politiquement pour les relations diplomatiques entre les États, et financièrement pour les habitants spoliés, comme dans les années 1990 au Nigéria, où plus de deux milliards de dollars avaient été détournés par le Général dictateur Sani Abacha, quand la population vivait avec moins de deux dollars par jour. »

Cybercriminalité : détecter les vulnérabilités

À l’ILCE, l’Institut de lutte contre la criminalité économique basé à Neuchâtel à la Haute Ecole Arc Gestion, Olivier Beaudet-Labrecque s’intéresse à la défense d’une catégorie particulière de public potentiellement vulnérable : les personnes âgées. Et plus particulièrement encore, aux abus financiers dont elles peuvent faire l’objet.

« C’est un sujet qui émeut beaucoup, et les jeunes stagiaires que nous avons recrutés s’investissent énormément dans le projet de recherche qui vient de démarrer», raconte le criminologue. Un projet mandaté par l’association Pro Senectute pour d’abord établir un état des lieux en Suisse. «Dans d’autres pays on sait que l’abus financier à l’encontre des personnes âgées est véritablement un problème. Nous verrons si la situation se confirme en Suisse également. »

Avec le concours de Pro Senectute, qui compte plus de dix-sept mille bénévoles au service des personnes âgées sur tout le territoire suisse, les chercheurs de l’ILCE vont qualifier l’abus financier en se référant aux professionnels de la banque, des autorités de poursuite, des corps de police, des associations de consommateurs… À l’issue d’une enquête d’abord qualitative puis quantitative, ils donneront une estimation du nombre des victimes de ces abus, qui fera l’objet de comparaisons avec les chiffres de la police. Les escroqueries commises sur le web sont particulièrement dans le collimateur, une étude de l’université de Zurich ayant montré que de plus en plus de personnes âgées utilisent internet, notamment pour effectuer des achats. « L’objectif de l’étude est à terme de former les personnes âgées à la cyberdéfense, et parallèlement de composer une boîte à outils à l’attention des intervenants sociaux qui pourront s’en servir pour apporter leur aide aux victimes d’abus. »

Même démarche de sensibilisation auprès des entrepreneurs, pour qui des cycles de formation seront organisés dès cet automne. Le but ? In­culquer les bons réflexes et enseigner les procédés à suivre aux dirigeants, de PME notamment, qui ne sont pas toujours bien armés pour lutter contre les revers de médaille d’internet.

« Certains d’entre eux ne savent même pas où sont stockées leurs informations, note Isabelle Augsburger-Bucheli, doyenne de l’ILCE. Sensibiliser les PME aux dangers qu’elles encourent est réellement essentiel, et pour cela nous comptons faire jouer notre réseau d’entreprises, leur deman­der de relayer notre démarche auprès de leurs collègues. » L’ILCE incite ses experts à se mesurer aux évolutions technologiques les plus récentes. « C’est là que s’ouvrent des brèches où les escrocs ne manquent pas de s’infiltrer », témoigne Luca Brunoni. Dans un projet en démarrage à la Haute Ecole Arc, le jeune juriste s’intéresse à l’essor des blockchains, ces bases de données dont la sécurité est assurée par une succes­sion de nœuds de stockage, et qui trouvent depuis peu une application dans la gestion des objets connectés. « Il s’agit d’établir une surveillance, de voir si la survenue des problèmes nouveaux se heurte à un vide juridique, de savoir comment se protéger face à des escroqueries encore inconnues. »

Ce premier projet est mené en collaboration avec les spécialistes en informatique des blockchains du domaine Ingénierie de la Haute Ecole Arc.

2 ILCE : basé à Neuchâtel à la Haute Ecole Arc, l’institut a été créé en 2000 par la Haute Ecole Arc Gestion, l’Université de Neuchâtel, l’Institut suisse de police et le canton de Neuchâtel ; il propose de nombreuses formations ayant trait à la lutte contre la criminalité économique.

 

 La sexualité, affaire de mœurs ou de droit ?

 

Si la cybercriminalité est un domaine tout neuf à ajouter à la longue liste des infractions commises par l’être humain, d’autres y sont inscrites depuis longtemps, comme les déviances sexuelles. Les visions historiques et sociologiques, et l’évolution du droit qui va de pair, montrent comment des pratiques suscitant tolérance, voire indifférence, se sont transformées en délits. Question de mœurs et d’époque…

Dans l’Antiquité, la question du mariage pour tous ne se serait aucunement posée : le concept d’orientation sexuelle n’existe pas et il ne s’agit pas de savoir si les pratiques sexuelles sont de l’ordre du bien ou du mal. Ce qui est alors immoral, c’est de ne pas respecter les codes liés à la situation sociale. En ce domaine comme dans d’autres, c’est le pouvoir des puissants qui fixe les règles. « Les sociétés antiques, surtout à Rome et à Byzance, étaient à bien des égards plus tolérantes envers les ambiguïtés liées au comportement ou au corps. Les homosexuels y avaient leur place, de même que les eunuques ou encore les hermaphrodites », raconte Laurent Kondratuk, ingénieur de re­cherche en analyse de sources au CRJFC. « Avant on acceptait la notion de marge, aujourd’hui on veut que l’être humain corresponde à une définition parfaite et normée, ce qui n’est pas réaliste », complète Renaud Bueb, enseignant en histoire du droit à l’université de Franche-Comté, et spécialiste du droit pénal en matière de délinquance sexuelle au CRJFC. « Aujourd’hui, en France, on pénalise les clients des prostituées mais on ne supprimera jamais le plus vieux métier du monde ». La loi prend une place de plus en plus importante dans une société contemporaine en perte de repères, individualiste, et qui a besoin de se rassurer.

Historiquement, l’habitus prévalant dans les sociétés antiques est mis à mal par le christianisme et le stoïcisme, qui inscrivent tout ce qui relève de la sexualité, en dehors de la procréation, dans le registre du péché. Au Moyen Âge, des manuels sont rédigés à l’intention des confesseurs de l’Église catholique pour caractériser les péchés commis par leurs ouailles et indiquer les pénitences à leur infliger. Ainsi le Corrector sive Medicus, de l’évêque Burchard de Worms, rédigé au début du XIe siècle, et qui demeure une référence pendant des siècles, ordonne dix ans de pénitence aux femmes pratiquant l’avortement « par leurs maléfices ou par leurs herbes », un châtiment cependant moins lourd que ceux des textes précédents, et tenant compte des circonstances du crime. Le parjure, « commis par cupidité et sciemment » était d’une gravité équivalente à celle d’un meurtre, et comme lui puni de sept ans de pénitence. Mais les atteintes à la religion n’entraient en ligne de compte que bien après les questions de morale conjugale et de sexualité, qui constituent l’essentiel des préoccupations du Corrector sive Medicus.

Après l’injonction « va et ne pèche plus » qui domine au Moyen Âge, le concept « va et on va te guérir » prend le relais au XIXsiècle et domine encore aujourd’hui. Après un XVIIIe siècle qui a retrouvé une certaine légèreté, la morale se resserre, on veut comprendre et donner, grâce à la science, une explication à des conduites sexuelles désormais considérées comme des pathologies. « L’homosexualité est d’ailleurs toujours vue comme une maladie psychique et une déviance par l’Église catholique », souligne Laurent Kondratuk. Les années 1960 cependant marquent la fin de la société rurale et catholique, laissant place à la libéralisation des mœurs, et, on l’espère alors, à une société plus tolérante, fondée sur le respect des différences, des choix individuels et de l’intimité.

Selon Renaud Bueb, « si ce modèle a jamais existé, il est menacé, à l’heure où on se confesse à la télévision, dans une société de communication devenue une société exhibitionniste ». Pour pro­téger l’ordre social, et derrière lui la morale, la loi multiplie les articles et les règlements. On assiste à une « inflation législative », comme si le droit voulait à lui seul parer à toutes les turpitudes des humains, remplaçant la justice d’un Dieu qui n’a plus aujourd’hui voix au chapitre.

 

Jugements sujets à caution

La définition d’un crime par le droit est donc fonction d’un pays, d’une époque. Le traitement d’une affaire est aussi en partie déterminé par un contexte, comme le rappelle Lucie Jouvet-Legrand, sociologue au LASA, le laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté, et dont la spécialité porte sur l’erreur judiciaire et le fait divers.

Lucie Jouvet-Legrand établit un parallèle entre l’affaire Grégory et l’affaire Patrick Dils, toutes deux sous les feux de l’actualité de ces derniers mois. « Le double-meurtre des enfants de Montigny-lès-Metz survient tout juste deux ans après l’affaire Grégory, alors que celle-ci n’est pas résolue. L’indignation est à son paroxysme, la psychose aussi. » Les enquêteurs subissent une pression considérable. Eux qui sont confrontés en permanence au mensonge et habitués à mettre en doute les déclarations des suspects, n’hésitent pas à employer des méthodes fortes, du ressort de la violence symbolique pour trouver un coupable. C’est l’une des explications à l’aveu de Patrick Dils, qui sera reconnu victime d’une erreur judiciaire après quinze ans d’emprisonnement. « D’autres suspects avaient avoué, puis s’étaient rétractés ; pour Patrick Dils, certains faits matériels concordaient, ce qui ne laissait plus de doute à sa culpabilité. »

Pourtant les témoignages sont sujets à caution. Des témoins affirment avoir entendu des cris à un moment où Dils avait possiblement pu commettre le crime, une déclaration qui s’est révélée par la suite être fausse, mais qui a conduit Dils tout droit en prison. « De telles situations sont complexes. Les gens veulent bien faire, aider la police, et cherchent à se rappeler… mais en définitive il arrive qu’ils transforment la réalité », remarque Lucie Jouvet-Legrand.

S’ajoutant à cette conjonction de circonstances, la personnalité peu amène du jeune homme ne joue pas en sa faveur. Sa nature fragile et introvertie se mue bientôt en une personnalité de psychopathe sans scrupules. « Les mêmes traits de caractère sont interprétés différemment selon la lecture que l’on veut bien faire du crime. » La révision du procès de Dils est motivée par l’apparition de Francis Heaulme sur la scène, et conclut à son innocence au terme de nombreuses années de procédure. Cette fois, les circonstances jouent en faveur de Dils : « il y a fort à parier que sans le lourd passé criminel de Francis Heaulme, Dils serait toujours derrière les barreaux », estime la sociologue.

Le tempérament effacé de Patrick Dils est lu par les experts lors de l’acquittement comme ayant pu favoriser la production d’aveux pour satisfaire les enquêteurs, et non plus comme un trait de caractère criminel.

Interrogée par de nombreux médias ces derniers mois à propos de l’affaire Grégory, Lucie Jouvet-Legrand souligne que le caractère tendancieux de certaines interprétations ne peut que s’exacerber avec le temps. Plus de trente ans ont passé…

Dans l’affaire Grégory comme dans celle du double-meurtre de Montigny-lès-Metz, ont surgi des mythes, comme celui de l’enfant de l’adultère, et des masques de suspects : l’employé frustré, la mère infanticide, l’adolescent psychotique…, des éléments qui tous ont eu un impact sur le traitement judiciaire de ces affaires, et laissent des traces jusqu’aux interprétations que l’on peut en faire aujourd’hui. Même les nouvelles pistes évoquées grâce aux avancées scientifiques ont leurs limites. «Les logiciels sont depuis longtemps utilisés par les spécialistes. Ils énoncent certaines réalités, à un moment donné, mais ne conduisent aujourd’hui pas plus qu’hier à LA vérité.»

 

Criminologie au féminin

Fruit des recherches de Véronique Jaquier, psychologue, et de Joëlle Vuille, juriste, toutes deux docteures en criminologie et chercheures au CRRC, l’ouvrage Les femmes et la question criminelle explore la question du genre féminin dans la réalité multiple que revêt le domaine de la criminologie, et montre la pertinence d’un tel choix. Tour à tour délinquantes, victimes, policières ou juges, les femmes font preuve de caractéristiques propres, que les pages de ce livre révèlent dans une analyse de grande envergure.
Délinquantes, elles le sont beaucoup moins que les hommes, quelles que soient les infractions considérées, de la conduite en état d’ivresse à la direction d’organisations criminelles. Pas d’égalité dans les chiffres, pas d’égalité non plus en matière de conditions d’incarcération et de réinsertion, la question de la criminalité féminine ne suscitant qu’un intérêt limité. Dans le monde scientifique, c’est sous l’angle de la victime que la femme a été la plus étudiée, les progrès de l’investigation scientifique se conjuguant à l’activisme féministe pour produire des connaissances de plus en plus valides. « Les réponses aux violences envers les femmes se sont profondément trans­formées depuis les années 1980 », estiment les auteures, qui déplorent cependant que ces violences soient souvent banalisées et les réformes encore peu suivies d’effet.
Quant à la présence des femmes dans les métiers de la justice, quels qu’ils soient, elle s’est toujours heurtée à des contingences héritées d’un passé dominé par l’homme. Mais leur intégration révèle aujourd’hui que ces métiers et institutions ont évolué vers une meilleure représentation de la population. Les auteures montrent que, si les femmes ont historiquement été tenues à l’écart de la question criminelle, il est justement important de les considérer pour une vision plus juste d’une société et de ses travers.

 

La coopération, maître-mot pour une justice meilleure ?

Dans ce genre d’affaires, la «guerre des polices» est souvent accusée de semer un peu plus le trouble encore… Pourtant la coopération policière et judiciaire existe bel et bien, à l’image de ce qui se met en place depuis vingt ans dans l’Union européenne.

Une volonté inscrite de manière formelle dans le traité de Lisbonne de 2009, et qui trouve avec la lutte contre le terrorisme une motivation supplémentaire. Cependant les États membres n’ont pas opéré de transfert suffisant de com­pétences à l’Union européenne en matière de droit pénal. Cela signifie que pour l’instant, chaque État applique le degré de peine que lui dicte sa propre loi. Un projet de recherche national engagé depuis une année et pour trois ans par le CRJFC, en collaboration avec la MSHE Ledoux à Besançon, étudie comment un droit pénal se construit cependant peu à peu à l’échelle européenne, entre textes de lois et réalité de terrain, annonçant peut-être l’amorce d’une identité commune et la constitution d’un État souverain.

Ce projet mêlant droit et éthique ne manque pas d’originalité. Il est mené par Coralie Mayeur-Carpentier, spécialiste de droit public au CRJFC, et Vincent Bourdeau, philosophe au laboratoire Logiques de l’agir, tous deux enseignants à l’UFC.

«La volonté d’aller vers des procédures et des sanc­tions communes est réelle, certains éléments du droit commencent à fusionner», remarque Coralie Mayeur-Carpentier.

La directive européenne de 2015 est l’une des mesures prises en ce sens. Elle concerne la lutte contre le blanchiment d’argent dans le terrorisme, et la transposition de ce texte au droit de chaque État membre vient de s’achever, le rendant opérationnel dans les vingt-sept États de l’Union. Le projet de recherche pourrait étudier les directions prises par des États tiers à l’Union européenne, mais faisant partie de l’espace Schengen, comme la Suisse, afin de regarder s’il existe des éléments identiques à ceux choisis par leurs voisins européens, toujours en matière de droit pénal.

«Notre souhait est d’être le plus pragmatique possible, de donner des idées directrices, voire de proposer un article de règlement ou de directive à l’intention de la Commission européenne, au vu des enseignements que nous apportera cette recherche comparative», explique Coralie Mayeur-Carpentier.

 

Simuler l’impact des balles

Balles de défense, armes à feu, explosifs, la ba­listique et les ondes de choc sont la cible des travaux menés par Sébastien Roth, cher­cheur au laboratoire inter­disciplinaire Carnot de Bourgogne (LICB) et enseignant à l’UTBM. Son mannequin HUByx, né en 2010, est un modèle numérique évoluant de façon de plus en plus complexe au fil des années, pour déterminer les lésions subies par le corps humain sous l’impact de projectiles ou d’explosions. L’objectif de la recherche consiste en premier lieu à améliorer les systèmes de protection des policiers ou des militaires.

«Grâce à la simulation numérique, on peut visualiser finement ce qui se passe derrière un gilet pare-balles en cas d’impact», explique le chercheur, qui précise qu’« à la mesure de l’efficacité première de tels dispositifs s’ajoute l’étude de leurs possibles « effets secondaires ».

HUByx est conçu pour étudier des impacts générés à haute vitesse, aussi bien par des projectiles non pénétrants utilisés pour la dispersion de foule, responsables de côtes cassées par exemple, que par des balles réelles perforant et endommageant les tissus mous de l’organisme. La modélisation concerne autant le choc lui-même que les organes et leurs caractéristiques biologiques et mécaniques. La méthode mathématique des éléments finis, à l’origine du modèle numérique actuel, montre cependant aujourd’hui ses limites : elle devrait se compléter d’une autre méthode de simulation, adaptée de la mécanique des fluides et de l’astrophysique, et connue sous le nom de Smoothed particle hydrodynamics. Avec une thèse qui sera soutenue en fin d’année et deux autres débutant à la suite, cette recherche soutenue par la Région Bourgogne – Franche-Comté et le ministère de l’Intérieur est unique en son genre en France.

 

Pour en savoir plus…

Jaquier V., Vuille J., Les femmes et la question criminelle : délits commis, expériences de victimisation et professions judiciaires, Éditions Seismo, 2017

Kuhn A., Sommes-nous tous des criminels ?, 4e édition, Éditions de l’Hèbes, 2013

Kuhn A., Vuille J., La justice pénale – Les sanctions selon les juges et l’opinion publique, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2010

Brobbel Dorsman A., Lapérou-Scheneider B., Kondratuk L., Genre, famille, vulnérabilité, Mélanges en l’honneur de Catherine Philippe, Éditions L’Harmattan, 2017

Jouvet L., Socio-anthropologie de l’erreur judiciaire, Éditions L’Harmattan, 2010

Jouvet L., Bessette J.-M., Les grandes affaires criminelles de Franche-Comté, Éditions De Borée, 2010

 

Contacts :

André Kuhn / Véronique Jaquier-Erard / Joëlle Vuille

CRRC – Centre romand de recherche en criminologie – Université de Neuchâtel

Tél. +41 (0)32 718 13 23 / 14 28 / 12 69

Isabelle Augsburger-Bucheli / Olivier Beaudet-Labrecque / Luca Brunoni / Mariame Krauer-Diaby

ILCE – Institut de lutte contre la criminalité – Haute Ecole Arc Gestion

Tél. +41 (0)32 930 20 10 / 20 16 / 23 43 / 20 17

 

Béatrice Lapérou-Scheneider / Coralie Mayeur-Carpentier / Laurent Kondratuk / Renaud Bueb

CRJFC – Centre de recherches juridiques de Franche-Comté – Université de Franche-Comté

Tél. +33 (0)3 81 66 67 69 / 61 45 / 66 08 / 67 36

 

Lucie Jouvet-Legrand

LASA – Laboratoire de sociologie et d’anthropologie – Université de Franche-Comté

Tél. +33 (0)6 28 06 04 83

 

Sébastien Roth

LICB – Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne – Site UTBM

Tél. +33 (0)3 84 58 39 01

 

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