Université de Franche-Comté

La mélodie du bonheur interprétée par la sociologie

Le bonheur n’est pas une partition simple à déchiffrer. S’il se ressent et s’exprime, il s’explique plus difficilement. Au terme d’une longue et patiente recherche sur tous les tons, le sociologue Gaël Brulé propose des clés de compréhension pour percer les mystères de sa composition.

Non, les gens qui vivent dans des endroits pauvres ne sont pas plus heureux sous prétexte qu’ils sont souriants, non, les jeunes ne sont pas plus heureux que les vieux, les études prouvent même l’inverse, et le mythe de l’imbécile heureux, pour avoir la vie dure, n’en est pas moins largement contestable. S’il s’attaque aux idées reçues, l’ouvrage Le bonheur n’est pas là où vous le pensez cherche avant tout à comprendre de quoi est fait le bonheur. Sociologue à l’université de Neuchâtel, Gaël Brulé livre ici le fruit de sept années de recherches de terrain et d’analyse d’enquêtes internationales, sur un sujet aussi universel que difficile à cerner.

couverture de l'ouvrageSur l’échelle du bonheur, le World Happiness Report 2018 classe la France à la 23e place, entre Malte et le Mexique, et l’appréciation que les Français eux-mêmes portent sur leur vie est de 6.5/10, une moyenne bien inférieure à celles de la Suisse, du Danemark ou du Costa Rica, toutes supérieures à 8.
Porteur de contradictions, l’exemple français sous-tend le propos de l’auteur : le bonheur consisterait en une savante combinaison de collectif et d’individuel, endosserait différentes facettes et dépendrait de la façon dont nous le considérons.

Oui ou non, l’argent fait-il le bonheur ?

Le bonheur est un jour devenu un récit de société, de ceux qui guident les choix individuels et collectifs. La ferveur religieuse du Moyen-Âge, le progrès et l’émancipation à la Renaissance, le travail et l’effort au XIXe siècle figurent au nombre des grands récits des sociétés occidentales. « Après l’horreur des guerres mondiales et la perte de grandeur due à la décolonisation dans les années 1960, l’idée du bonheur fait sa place comme valeur-phare dans la société. » Il impose vite ses diktats et s’associe à l’idée de richesse : le PIB né à cette époque devient le moyen de mesurer la qualité de vie d’un pays et par là même le bonheur supposé de ses habitants. « Si le mythe du progrès économique est toujours très fort dans les sociétés occidentales, c’est peut-être parce qu’il n’existe pas d’autre récit collectif convaincant », postule Gaël Brulé. Largement repris par le marketing, les médias, et plus encore les réseaux sociaux aujourd’hui, les indicateurs économiques s’imposent comme indicateurs de bonheur. Le bonheur clandestin, lui, se conforme à l’air du temps pour dire ce qu’il convient de faire pour accéder à la félicité : consommer, accéder à la propriété… La perception de ce qui rend réellement heureux est doublement faussée. Il ne s’agit bien sûr pas de nier la contribution d’une bonne situation financière personnelle et / ou d’un contexte économique favorable au bonheur, mais de prendre conscience des autres paramètres entrant en ligne de compte.

Entre besoins et envies

La satisfaction de nos besoins et de nos envies conditionne l’appréciation que nous portons sur nos vies, elle est le garant de notre bonheur réel. Les besoins sont du registre de l’émotion et de l’affectif, et sont directement en lien avec la sphère sociale : besoin de communiquer, d’être reconnu, apprécié, respecté, de se sentir utile… Les envies sont de l’ordre du cognitif, de la pensée ; elles sont en général liées à des schémas existants, fondées sur le culturel et le social. Le bonheur serait en résumé intimement lié au social : la qualité des relations que nous entretenons avec les autres et la capacité que nous avons d’agir, d’avoir une influence sur le monde qui nous entoure, dans la sphère familiale, professionnelle ou politique, sont ainsi des composantes essentielles de notre bonheur, de même que la façon dont nous regardons ce monde. À la fois dirigés par un besoin de liberté et des besoins sociaux, animés par l’esprit de compétition et l’esprit de coopération, façonnés par un contexte socioculturel et à l’écoute de notre personnalité profonde, nous naviguons à vue sur le chemin du bonheur.
Avec une poésie et un humour qui n’entament en rien la rigueur scientifique du propos, l’ouvrage de Gaël Brulé propose « d’éclairer cet itinéraire pour une vie plus heureuse ».

Brulé G., Le bonheur n’est pas là où vous le pensez – Itinéraire vers une vie plus heureuse, Ed. Dunod, 2018.

Contact(s) : Institut de sociologie - Université de Neuchâtel - Gaël Brulé - Tél. +41 (0)718 14 20 - gael.brule[at]unine.ch
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