Université de Franche-Comté

La forêt par essence

Dégager des pistes de gestion pour l’avenir

WSL Initiative Trockenheit 2018

L’étude de la forêt est l’un des volets du projet I-SITE PubPrivLands¹ développé par plusieurs laboratoires de recherche en Bourgogne – Franche-Comté. Ce projet d’envergure veut interroger les interactions entre espaces publics et privés à long terme, à la fois en zones urbaines, rurales et naturelles, pour guider les politiques publiques à mettre en place autour des questions foncières.
La forêt représente 36 % du territoire, ce qui porte la région à la 5e place des régions les plus boisées de France. Elle est la première pour la production de bois d’œuvre, concerne 5 000 entreprises et 20 000 emplois. Comprendre les dynamiques forestières sur les 5 siècles passés et évaluer leurs conséquences sociales, économiques et environnementales permettront d’élaborer des scénarios de gestion pour l’avenir de ces milieux aux enjeux majeurs pour la région.

 

Deux sites représentant largement la diversité du territoire ont été retenus pour mener à bien cette mission. En Franche-Comté, le massif du Risoux, situé en moyenne montagne, est composé d’essences telles que l’épicéa et le hêtre, dans des forêts essentiellement domaniales et communales. À cheval sur les départements du Jura et du Doubs, il empiète sur le canton de Vaud voisin. Son étude pourrait révéler des méthodes de gestion différentes, avec des impacts eux aussi différents. En Bourgogne, le parc naturel du Châtillonnais en projet constitue un bon échantillon des forêts de feuillus occupant les plaines. Peuplée de hêtres, de chênes, d’érables et de charmes, la forêt est ici propriété privée pour près de 40 %, et ce paramètre apporte un autre éclairage encore à la recherche.

Procès-verbal d’aménagement de la forêt de Bellefontaine (Jura) dans le massif du Risoux (XIXe siècle). Archives départementales du Jura, 5 E 526/55

Historien du climat et de l’environnement au laboratoire Chrono-environnement, Emmanuel Garnier est responsable des aspects relevant de sa spécialité au sein du projet PubPrivLands. Dans l’étude historique du passé, la parole est donnée aux textes. Les rapports, procès-verbaux et autres écrits séculaires fournissent des renseignements très divers sur la vie de la forêt à travers les siècles. « Les descriptions des essences présentes, des méthodes de gestion, des variations du climat, des activités produites et des délits perpétrés dans ce milieu autrefois largement habité par l’homme donnent de véritables photographies de la forêt jusqu’à 500 ans de distance, permettant de reconstituer son histoire de façon précise », explique le chercheur, qui remarque : « Dans le massif jurassien, les Comtois ont instinctivement adopté des méthodes de gestion proches de la nature pour protéger les ressources que la forêt leur apportait, et de cette façon ont encouragé la biodiversité. Ils ont pratiqué la sylviculture du jardinage, qui consistait à abattre certains arbres dans toutes les classes d’âge plutôt que de réaliser des coupes à blanc, créant ainsi des espaces ouverts, des clairières favorables à la faune comme à la végétation ».

Borne de délimitation des forêts du Petit Risoux (canton de Vaud) et du Risoux (Franche-Comté) dressée en 1649 – Photo histoiredebornes.ch

L’analyse porte donc sur les pressions anthropiques et plus largement sur les relations entretenues entre l’homme et la forêt, qui jusqu’aux années 1960 sur certains territoires en Bourgogne – Franche-Comté, a massivement offert ses ressources à chacun : l’affouage pour se chauffer, le bois d’œuvre pour construire sa maison, les clairières pour faire pâturer les bovins, les glands et les faînes pour nourrir les cochons… Tous les aspects de cette relation sont pris en compte, de l’impact de la chasse sur la faune sauvage à la tradition des pâturages d’été pour les troupeaux, en passant par les conflits qui n’ont pas manqué d’émailler l’histoire de la forêt. « Certains procès, dont on trouve la trace dès 1450, ont dressé les communes ou les familles les unes contre les autres pendant des décennies, voire plus d’un siècle, parfois sans jamais être résolus. »
Un autre volet concerne les variations climatiques et leurs impacts. Les écrits mentionnent notamment les tempêtes et les invasions de Bostryche lors de grandes périodes de sécheresse, survenant à la faveur de printemps et d’étés très chauds. Hier comme aujourd’hui, les arbres secs sur pied sont évacués pour limiter la progression du coléoptère et les arbres sains sont protégés. Les tempêtes, les coups de froid, les incendies même sont dans le collimateur du chercheur, à l’intérieur d’un programme qui ne laisse rien au hasard et met en lien les recherches des différentes disciplines concernées. Ce vaste projet devrait produire des scénarios de développement et des modèles de gestion pour orienter les politiques publiques, ici en matière de sylviculture et de production forestière.

 

¹ Le projet I-SITE PubPrivLands Interactions public-privé : causes économiques, sociales et environnementales des différents usages et modes de gestion fait intervenir une soixantaine de chercheurs des laboratoires ThéMA, CESAER, LEDI, Biogéosciences, Chrono-environnement et Agroécologie, tous situés en Bourgogne – Franche-Comté.

 

 

 

 

 

 

 

Article extrait du n° 288, mai-juin 2020 de en direct.

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