Université de Franche-Comté

À la ferme ou à l’université, transmettre est affaire de liens

Des savoirs, des valeurs, une place dans la société… transmettre répond à un besoin profondément humain d’inscrire sa vie dans une lignée pour en gommer le caractère éphémère et lui apporter du sens.

Cette transmission générationnelle trouve son expression la plus évidente dans la sphère familiale, quand le métier se transmet sur fond de parenté. Cependant, des mécanismes identiques interviennent sur d’autres terrains : là où les liens du sang font défaut s’inventent des relations calquées sur le modèle parental.


Photo Ferme découverte du Barboux (Doubs)

Photo : ferme découverte du Barboux (Doubs)

En ce sens, les processus à l’œuvre dans une exploitation agricole et sur les bancs de l’université sont du même acabit. Le père et le maître cèdent de la même façon leur(s) place(s) à un successeur. Direction d’une exploitation et représentation dans les organisations agricoles, poste d’enseignant et responsabilités dans les milieux académiques, « cet ensemble de places professionnelles constitue un patrimoine au sein duquel le savoir se transmet », constate dans ses plus récents travaux Dominique Jacques-Jouvenot, sociologue au LASA (Laboratoire de sociologie et d’anthropologie) de l’université de Franche-Comté.

Une étude menée dans le cadre de ces recherches auprès de producteurs laitiers en cessation d’activité montre que l’impossibilité de transmettre leur entreprise est la première des raisons évoquées, bien avant les difficultés du métier ou les problèmes financiers. Une décision dictée par le poids de la solitude. Pas d’héritier à doter, plus de parents sur lesquels s’appuyer, un conjoint engagé dans une autre voie professionnelle : l’activité, même rentable, même appréciée, ne fait plus sens, et le renoncement s’avère d’autant plus douloureux que l’exploitation est héritée des générations précédentes.

S’ajoutant à ce phénomène, les nouvelles exigences des politiques agricoles mettent à mal le système de valeurs attaché au métier d’agriculteur, induisant un décalage souvent mal vécu entre la représentation d’un métier et les attendus politiques.

Maître et fils spirituel

À l’université, les conditions d’une relation filiale se créent traditionnellement entre un directeur de thèse et son élève, comme en témoignent les qualificatifs « second père » ou « fils spirituel ».

Dans une récente conférence qu’elle a donnée à Besançon à l’invitation du LASA, l’historienne Françoise Waquet, directrice de recherche CNRS, explique que « l’entrée des femmes à l’université bouleverse cet ordre établi, construit sur la masculinité pendant des siècles. » Les liens ne semblent pas se tisser de la même façon entre étudiants et « directrice de thèse » dont on attend une attitude plus maternelle, au risque de la spolier dans la reconnaissance de ses compétences professionnelles. L’interaction maître / disciple ne semble pas pouvoir se décliner au féminin, l’idée même d’un binôme mère / fille spirituelle paraissant totalement incongrue.

L’évolution doit aussi beaucoup au contexte. La démocratisation de l’université depuis 1968, et avec elle l’augmentation des effectifs, impose le suivi d’un plus grand nombre de thèses par un même directeur. Tisser des liens privilégiés devient alors plus difficile. Par ailleurs, la mise en place en 1998 de contrats de thèse entre doctorant et directeur génère une relation d’une autre nature, qui, purement professionnelle, pourrait anéantir « le lien d’âme qui fondait la transmission ».

Jacques-Jouvenot D., Vieille Marchiset G. (sous la direction de), Socio-anthropologie de la transmission, éditions L’Harmattan, collection « Logiques sociales », 2012

 

Contact : Dominique Jacques-Jouvenot 

Laboratoire de sociologie et d’anthropologie 

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 51 34

 

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