Université de Franche-Comté

La dioxine à l’épreuve du sang

Dernier volet d'une recherche épidémiologique initiée voilà douze ans autour de l'incinérateur d'ordures ménagères de Besançon, la mesure du taux de dioxine dans le sang de riverains atteints de lymphome malin non hodgkinien (1) corrobore l'idée d'une relation entre l'exposition à cette substance toxique environnementale et la survenue de ce type de cancer.

 

 

Certes, à Besançon comme dans d'autres villes en France, l'incinérateur d'ordures ménagères a fait l'objet de remise aux normes à la fin des années 1990, reléguant les importants rejets de dioxine dont il était responsable au rang des mauvais souvenirs collectifs. L'incinérateur produisait alors un taux de dioxine 160 fois supérieur aux normes en vigueur en Europe à partir de 1994 (2). Il n'en demeure pas moins que les recherches menées depuis douze ans par l'équipe de Jean-François Viel, enseignant en santé publique à l'université de Franche-Comté, chercheur au laboratoire Chrono-environnement et praticien hospitalier au CHU de Besançon, restent d'actualité (3). Elles ont démontré qu'il existe bien un lien, admis désormais par tous, entre l'exposition aux polluants émis par l'incinérateur bisontin ancienne génération et la survenue de lymphome malin non hodgkinien (LMNH) chez des personnes ayant vécu à proximité. Elles viennent de trouver leur conclusion dans l'étude la plus probante qui soit, celle du sang. L'étude révèle une plus forte concentration sanguine de dioxine chez les patients souffrant de LMNH que chez les personnes constituant l'échantillon témoin comparatif.

 

 

(1) Terme très générique désignant les tumeurs dues à une prolifération des cellules du tissu lymphoïde.

(2) En 1998, un rapport du ministère de l'Environnement révélait que 15 incinérateurs d'ordures ménagères français émettaient en 1997 un taux de dioxines supérieur à 10 ng équivalents toxiques internationaux (I-TEQ/m3) de fumée rejetée. L'incinérateur de Besançon présentait une concentration de 16 ng I-TEQ/m3, valeur nettement supérieure au seuil de 0,1 ng I-TEQ/m3 fixé par une circulaire européenne du 16 décembre 1994.

(3) Viel JF, Floret N, Deconinck E, Focant JF, De Pauw E, Cahn JY. Increased risk of non-Hodgkin lymphoma and serum organochlorine concentrations among neighbors of a municipal solid waste incinerator. Environ Int 2011; 37(2) : 449-53.

 

Des molécules à la vie dure 

Par dioxines, il faut entendre la famille des hydrocarbures aromatiques chlorés, qui comprennent les dioxines proprement dites et les furanes. Elle représente plus de deux cents molécules différentes, dont la TCDD (2, 3, 7, 8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine), plus connue sous le nom de « dioxine de Seveso », est la plus toxique. Les PCB, polychlorobiphényles, font également partie de l'étude. Comptant deux cent neuf congénères, ils sont, pour les plus fortement chlorés, fixés par le même récepteur cellulaire que les dioxines. De ce fait, ils sont classés sous l'appellation PCB de type dioxine (PCB dioxin like). Ces molécules font partie des polluants rejetés jusqu'à la fin des années 1990 par l'usine d'incinération de déchets ménagers. Extrêmement solides et résistantes, elles se dégradent peu. Sept à dix ans sont nécessaires pour éliminer la moitié des molécules de dioxine accumulées dans l'organisme.

 

« Les résultats d'aujourd'hui sont le reflet d'une exposition environnementale du passé », explique Jean-François Viel. Le dosage de ces molécules, extrêmement complexe, de l'ordre du nanogramme, a demandé plusieurs mois d'analyse dans un laboratoire spécialisé de Liège, en Belgique. Trente quatre personnes atteintes de LMNH et autant de témoins, ayant tous vécu aux abords de l'usine d'incinération bisontine, se sont soumis aux tests. Les concentrations sanguines en dioxines, furanes et PCB se révèlent bien supérieures chez les patients atteints de lymphome que chez les témoins.

 

 

Concentrations moyennes             Cas                Témoins

 

Dioxines (1)                                   13,39                   8,73

 

Furanes (1)                                     9,44                   6,27

 

PCB « dioxin like » (1)                   33,13                 20,10

 

PCB non « dioxin like » (2)          541,30               335,50

 

(1) pg OMS1998-TEQ/g lipide

(2) ng/g lipide

 

 

 

Dioxine et recherche : petits repères chronologiques

 

La période 1980 – 1995 a révélé une augmentation significative du nombre de lymphomes malins non hodgkiniens chez les personnes vivant aux abords de l'incinérateur de Besançon. C'est le point de départ d'études épidémiologiques menées depuis plus de dix ans. Si l'impact nocif de la dioxine sur la santé humaine est avéré dans le cas d'expositions à fortes doses comme lors de la catastrophe de Seveso en Italie en 1976, ou dans des milieux professionnels à haut risque (industries sidérurgiques et métallurgiques), il restait à vérifier qu'une exposition dans un environnement plus faiblement contaminé par des rejets de dioxine pouvait être liée à l'augmentation du nombre de cancers dans la zone concernée. Une comparaison de l'exposition aux dioxines entre des patients atteints de LMNH et des témoins de population a donc été établie, à partir d'un modèle de diffusion atmosphérique de la dioxine. Forme et taille de la cheminée, flux et concentration des polluants, direction des vents dominants, topographie, nature des sols… ces paramètres ont une influence sur la circulation des molécules dans l'air et leur dépôt sur le sol. Ils ont été pris en compte pour modéliser la région bisontine soumise au panache de fumée de l'incinérateur, en quatre grandes zones d'exposition. Ce modèle de diffusion atmosphérique a été validé par la mesure réelle de dioxine dans les sols, partant de soixante quinze prélèvements. Au nord-est du territoire où la topographie est assez simple, la corrélation a bien été établie et a permis de valider à la fois le modèle et l'enquête, 90 % des cas de LMNH et des témoins étant localisés dans cette zone.

 

Une nouvelle analyse, en 2006, démontre que le risque de développer un LMNH est 2,5 fois plus élevé pour les habitants de la zone la plus exposée que pour ceux de la zone la moins exposée.

 

 

Des résultats convaincants 

Si l'échantillon statistique est relativement faible, puisque lié à un site d'observation unique, la différence à la fois considérable et systématique observée entre les taux des deux populations est particulièrement significative. Elle est en outre confirmée par la comparaison avec une population témoin nationale présentant les mêmes taux de dioxines et de furanes que l'échantillon bisontin.

 

Par ailleurs, la situation de la capitale comtoise apparaît idéale pour se prêter à ce type de recherches, les sources avérées de pollution à la dioxine, à savoir les industries sidérurgiques et métallurgiques, étant absentes du paysage bisontin. L'incinérateur constituait donc la seule source locale d'importance en termes de retombées environnementales.

 

 

 

Modélisation des retombées atmosphériques de dioxines à Besançon

 

 

Modélisation des retombées atmosphériques de dioxines et localisation des prélèvements de sol

autour de l'usine d'incinération d'ordures ménagères de Besançon.

Cette modélisation des retombées de dioxines au sol, avec un aspect en « ailes de libellule », montre clairement

que l'exposition aérienne aux dioxines n'est pas identique en tout endroit de l'agglomération bisontine.

 

 

 

Contact : Jean-François Viel

Laboratoire Chrono-environnement

Université de Franche-Comté / CNRS

Tél. (0033/0) 3 81 21 87 34

 

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