Université de Franche-Comté

La Chine, une société politiquement correcte ?

La société chinoise présente un front lisse que les mécontentements, comme ceux exprimés en décembre dernier contre les abus d’un confinement interminable, ne semblent qu’à peine rider. L’histoire récente de la république populaire de Chine et le fonctionnement de son système politique expliquent cet état d’esprit.

 

Photo Sharon Ang – Pixabay

Aujourd’hui deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis, la Chine n’en finit pas d’exercer sa fascination sur le monde. La Chine, qui évoque pêle-mêle le rayonnement d’une civilisation millénaire, les grandes dynasties impériales, un territoire immense abritant près d’un cinquième de l’humanité, la révolution et le communisme, la Grande muraille et la place Tien An Men, prend une revanche éclatante sur son histoire : désormais considérée comme l’usine du monde, la Chine y reprend sa place, celle du milieu…

En Chine, le fonctionnement politique est bien ancré depuis la mise en place de l’État communiste au début des années 1950, un système bien huilé que des grains de sable viennent cependant gripper, comme en décembre dernier lorsque les voix des manifestants, pour la plupart des jeunes, se sont élevées contre la dureté des mesures de confinement prises pour endiguer l’épidémie de COVID­-­19. Au sommet du système, Xi Jinping, renouvelé comme secrétaire général du parti communiste lors des élections d’octobre 2022, et qui devrait en toute logique être reconduit à la présidence de la république populaire en mars prochain.

 

Les bases d’une coopération politique et sociale

Enseignant-chercheur en droit public à l’université de Franche-Comté / CRJFC, Xiaowei Sun explique l’organisation du système politique de son pays natal. « C’est une coopération multipartite qui mène la république populaire de Chine. Elle est composée de membres des neuf partis politiques vainqueurs de la guerre civile en 1949, qui ont fait alliance. Ces neuf partis ont un statut constitutionnel, ils existent en tant qu’institutions publiques de l’État. » La coopération s’exerce sous la direction du parti communiste chinois (PCC) ; les autres partis nomment certains de leurs membres, choisis parmi les plus illustres et les plus influents, pour les représenter à la Conférence de consultation politique, une assemblée permanente qui n’a pas de fonction législative, mais qui donne son avis et exerce une surveillance sur le parti dirigeant. « La Conférence de consultation politique a un rôle très important. Elle est notamment à l’origine de la première constitution de 1949, qui pose les fondements de l’État chinois. »

Chine summer-palace age, Marywenstrom – Pixabay

Malgré une relative indépendance, ces partis adhèrent aux idées du PCC, avec lequel les relations sont de l’ordre de la coopération et de la négociation. « Il n’existe pas de texte régissant ces relations. L’opacité règne, mais pour les Chinois ce pouvoir mythique est un gage d’efficacité. » Le parti communiste compte plus de 90 millions de membres, une adhésion synonyme d’ascension sociale et de récompenses matérielles. Certains d’entre eux sont chargés de sonder l’état d’esprit du peuple et de vérifier la confiance des citoyens, par exemple à l’intérieur des entreprises. Ces délégués se chargent de recueillir des informations et de diffuser des directives par le biais de circulaires explicatives ou incitatives.

Tout en haut de la hiérarchie, l’élection du secrétaire général du PCC relève d’un processus immuable. Le secrétaire général en place choisit un successeur après des mois voire des années de réflexion, un choix soumis à l’approbation de ses pairs à l’intérieur du parti. Le comité central du PCC, composé d’environ 200 membres, se réunit quelques mois plus tard pour élire ce nouveau secrétaire général à la tête de l’État. L’élection des politiques devient plus démocratique à mesure qu’on descend vers la gouvernance locale.

À cette échelle, les citoyens élisent des représentants qui siègent dans une assemblée populaire nationale réunie une fois par an. Tous les partis peuvent proposer des candidats. Théoriquement, un simple citoyen peut participer à l’élection avec seulement dix signatures de soutien. Ensuite, les représentants locaux élisent les représentants nationaux qui composeront l’organe suprême de la Nation, l’Assemblée populaire nationale. Les membres du PCC occupent environ 70 % des sièges de cette assemblée.

 

Des changements à l’échelle d’une vie

Gaston Laborde – Pixabay

Xi Jinping a été reconduit à la tête du PCC pour la troisième fois en octobre 2022, et le sera probablement pour un quatrième mandat. « Certains de ses ministres ont été écartés du pouvoir et aucun successeur n’est en vue, observe Xiaowei Sun, qui souligne par ailleurs le renforcement du rôle du PCC au fil des mandats du secrétaire général actuel, dans la gestion des affaires publiques comme pour la société civile. « Les décennies 1990 et 2000 ont été une phase plus libérale du régime chinois. Pour maintenir le mythe du pouvoir et assurer la croissance du pays, il était nécessaire de permettre davantage de libertés individuelles, politiques et économiques, libertés qui sont à nouveau en recul. »

Mais la majorité des Chinois tolèrent cette situation, parce qu’ils ont beaucoup gagné en niveau de vie ; sur le plan social, l’amélioration du système de santé, la retour de la sécurité sociale et les progrès de l’enseignement sont des avancées plus que notables. « Le confort matériel est la première préoccupation des Chinois, et la stabilité du pouvoir est pour eux la garantie de continuer à bénéficier d’une vie agréable. »

Xiaowei Sun combine ses connaissances personnelles à celles de chercheur pour expliquer cet état d’esprit : « En quarante ans, le niveau de vie a augmenté d’une façon telle qu’elle frôle la caricature. Les gens pour qui manger un œuf par jour était une aubaine peuvent aujourd’hui s’acheter des bouteilles de vin coûteux ou des sacs Vuitton. » Si une telle richesse ne concerne pas tous les Chinois, l’amélioration du niveau de vie est réelle pour l’ensemble de la population. « Depuis les années 1990, la famine a disparu, et au cours des années 2010, la vie est devenue confortable pour l’ensemble de la classe moyenne. Tout a changé, à l’échelle d’une vie humaine. »

En 1976 s’achevait la Révolution culturelle menée par Mao Zedong, après dix années d’horreur. Des dizaines de millions de Chinois en ont été les victimes, les valeurs ancestrales de la civilisation ont été piétinées, le patrimoine culturel systématiquement détruit, les spectacles traditionnels interdits. Séances d’autocritiques publiques, humiliations, dénonciations, délation…, la Révolution culturelle a fait ressortir les aspects les plus noirs du genre humain, en le privant de tous ses principes. Pour Xiaowei Sun, « c’est le mouvement le plus catastrophique que l’humanité ait connu, parce qu’en son nom, on tuait l’âme de l’homme. » Ces dix terribles années ont plongé la société dans le chaos, et les Chinois en sont sortis meurtris et perdus… Le temps finit par passer et l’ouverture au monde marque les décennies suivantes, avec le succès économique que l’on sait. Aujourd’hui, les Chinois qui ont souffert de la révolution veulent de l’ordre et du confort matériel. « Alors pourquoi abandonner le paradis quand on a connu l’enfer ? » Les jeunes générations pourraient, elles, en demander davantage, et ajouter une plus grande liberté aux revendications de leurs aînés…

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