Université de Franche-Comté

[Interactions]

La double stratégie d’un virus percée à jour

La manipulation est un art qui peut s’exercer de bien des manières. Ce n’est pas au potager qu’on s’attend à la voir à l’œuvre, où elle concerne pourtant la tomate, victime à double titre d’un virus particulièrement machiavélique.

Ce virus est capable d’amplifier une odeur émise par la tomate pour qu’elle attire encore plus d’aleurodes, communément appelés « mouches blanches » bien qu’ils ne soient pas des mouches, qui sont naturellement sensibles à cette odeur. Le virus se sert de ces insectes, qui sont alors sains, comme moyen de transport. Une fois dans la place et les mouches contaminées, le virus lance une nouvelle arme pour conquérir d’autres territoires : il réduit la perception olfactive des mouches blanches, qui, devenant moins sensibles à leur odeur préférée, se dirigent alors indifféremment vers les variétés de tomate qu’elles trouvent sur leur route : la probabilité qu’elles infectent de nouveaux plants, via le virus qu’elles transportent, est démultipliée.

Mouche blanche -Photo Run-Zhi Zhang Chinese Academy of Sciences

Ce phénomène explique la rapidité avec laquelle la maladie se propage et occasionne des ravages dans les cultures de tomates, un fléau connu dans le monde entier.
On sait aujourd’hui que des inter­actions existent entre plantes, virus et insectes vecteurs du virus, mais c’est la première fois qu’il est démontré qu’une manipulation peut se jouer sur deux fronts à la fois. Cette découverte est le résultat d’une étude chinoise à laquelle a participé Ted Turlings, professeur émérite de l’université de Neuchâtel, biologiste réputé à l’international pour ses recherches dans le domaine, et qui a été le premier à mettre en évidence que les plantes produisent des odeurs particulières pour alerter des insectes alliés lors d’une attaque de nuisibles.

Le virus dont il est ici question est identifié sous l’appellation TYLCV, la mouche a pour nom scientifique Bemisia tabaci, et l’odeur capable d’affoler son sens olfactif est le β-myrcène. C’est en augmentant la production du β-myrcène chez la tomate que le virus augmente son attrait pour la mouche. Puis c’est en bloquant le récepteur du β-myrcène chez cette même mouche que le virus l’empêche de reconnaître son odeur favorite. Profitant d’une alliée désormais sans préférence odorifère pour le transporter, le virus a toute latitude pour infecter un maximum de plants de tomates.

Cette découverte est prometteuse pour engager la lutte contre ce ravageur des cultures. « Il pourrait être question d’utiliser des odeurs spécifiques pour piéger les mouches blanches porteuses du virus, et de sélectionner ou de créer des variétés de tomates moins attrayantes pour elles », explique Ted Turlings. Les résultats de cette recherche ont été publiés fin février dans la prestigieuse revue Science Advances.

 

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