Université de Franche-Comté

Impact sur notre environnement des suies émises par les avions


Les avions émettent des particules de carbone, les suies, qui ont la capacité de capturer un grand nombre de molécules d'eau pour former des traînées de condensation. Dans la haute troposphère, ces traînées peuvent conduire à la formation de nuages de type cirrus lorsque les conditions météorologiques sont favorables. Or, ces cirrus artificiels sont fortement suspectés de jouer un rôle non négligeable, non seulement dans l'effet de serre, mais aussi dans la chimie troposphérique, conduisant ainsi à amplifier certains phénomènes de pollution tels que les pluies acides ou la destruction de la couche d'ozone. Par ailleurs, en zone aéroportuaire, c'est l'impact direct sur la santé par inhalation des suies qui inquiète aujourd'hui les spécialistes de l'environnement.
• Ces particules de carbone sont encore mal caractérisées, tant du point de vue de leur structure que de leur composition chimique. Quelques études récentes ont cependant montré qu'elles sont constituées de nanocristaux de graphite de taille infime, de l'ordre de quelques nanomètres. Ils forment des particules sphériques qui se structurent en  oignon Ÿ (les couches s'empilent les unes sur les autres). Ces oignons ont un diamètre de quelques dizaines de nanomètres et s'agrègent les uns aux autres pour former une suie. Celle-ci comporte un grand nombre de pores de différentes tailles, à l'intérieur des oignons et à la jonction entre ces oignons. Son analyse chimique a également mis en évidence la présence d'un grand nombre de groupements fonctionnels (carbonyle, carboxyle, hydroxyle, phénol) provenant de l'oxydation partielle des nanocristaux de graphite. La compréhension de l'influence des caractéristiques chimiques et morphologiques des suies sur la capture des molécules d'eau représente aujourd'hui un défi majeur pour la communauté scientifique.
• Depuis l'année dernière, des chercheurs du LPM — laboratoire de Physique moléculaire — (CNRS / université de Franche-Comté) se sont intéressés à comprendre, d'un point de vue théorique, les mécanismes impliqués dans la capture des molécules d'eau par les nanocristaux de graphite. Deux pistes sont actuellement explorées. La première consiste à modéliser une surface de suie par un nanocristal de graphite sur lequel sont implantés, par des méthodes issues de la chimie quantique, des groupements chimiques tels que -OH (hydroxyle) ou -COOH (carboxyle).

L'influence de ces groupements hydrophiles sur la capture de molécules d'eau est ensuite étudiée par un programme de simulation numérique. Ce travail a déjà permis de démontrer que, si la capture des molécules d'eau est préférentiellement effectuée par les groupements -COOH plutôt que par les -OH, il faut néanmoins une densité importante de ce genre de  défauts chimiques Ÿ pour qu'une particule de suie devienne hydrophile. La seconde piste est consacrée à la modélisation de la morphologie des suies pour comprendre son impact sur leur caractère hydrophile. Un code de calcul a ainsi été spécifiquement conçu pour construire des oignons de carbone tels que ceux observés expérimentalement. L'influence de ces structures en oignon dans le piégeage des molécules d'eau est caractérisée par des méthodes stochastiques de type Monte-Carlo Grand Canonique, qui permettent en particulier de calculer le nombre moyen de molécules piégées par une particule de suie. Ce résultat est ensuite directement comparable aux mesures thermodynamiques expérimentales réalisées à Marseille dans un laboratoire partenaire (centre de recherche en matière condensée et nanosciences).
• L'influence potentielle des suies sur notre santé est également étudiée. En effet, ces particules, à cause de leur petite taille, sont facilement inhalées. Or, elles captent aussi très facilement des molécules hautement cancérigènes d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), présentes en grand nombre dans les traînées de condensation des avions. Les suies sont donc susceptibles d'agir comme agents de transport. La caractérisation du comportement des suies vis-à-vis des molécules de HAP est donc fondamentale. Les chercheurs du LPM vont prochainement utiliser les modélisations déjà effectuées pour étudier leur interaction avec les molécules de HAP. Des méthodes de simulation numérique spécifiques seront ainsi mises en ¶uvre pour caractériser le piégeage des HAP sur les particules de carbone, en prenant en compte une éventuelle réactivité, puis pour étudier leur devenir sur les suies (dégradation, retour en phase gazeuse…).
• L'ensemble de ce travail bénéficie du soutien financier de l'ADEME et du ministère de l'Environnement, au travers du programme intitulé  Étude de l'évolution en zone aéroportuaire des suies émises par les avions Ÿ. Coordonné par l'ONERA, il regroupe dix laboratoires français.

 

Sylvain Picaud
Laboratoire de Physique moléculaire
CNRS / Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 64 78
sylvain.picaud@univ-fcomte.fr

 

 

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