Université de Franche-Comté

Grand format
[Formes olympiques]

Jeux mosaïques

Exhumés de l’Antiquité sous l’impulsion de Pierre de Coubertin, revisités, mondialisés, institutionnalisés, les Jeux olympiques mettent en compétition les idéaux et les malversations, les postures politiques et les contestations, dans une arène sacrée auréolée de performances.

Épreuves, classement, trêve… le jeu des différences

Cent ans après leur périple à travers le monde, les Jeux olympiques d’été sont de retour à Paris où ils avaient aussi été organisés en 1900, après Athènes qui les avait vus renaître de leurs cendres antiques. Des concours olympiques de l’Antiquité aux Jeux modernes, quels fils conducteurs ont-ils été tissés d’un millénaire à l’autre ? Quelles similitudes ont-elles traversé le temps ? Si les Jeux à Olympie au VIIIe siècle av. J.-C sont admis pour origine, ils ne sont pas la seule référence pour se prendre au jeu des différences.

Vue du stade de Némée, derniers tiers du IVe siècle ; il a été fouillé et restauré par les archéologues de l’université de Chicago. Cliché Aurélie Montel.

Les jeux, du latin ludi, comme ils seront nommés plus tard, étaient à l’origine des concours, du grec agôn signifiant compétition, qui prirent un essor considérable en Grèce entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C. Mais, dès le IIe millénaire avant notre ère, ces compétitions sportives existaient déjà sur le sol hellène, elles faisaient partie du rituel funéraire entourant un décès dans les familles de la haute société. « Les témoignages de ces concours sportifs nous sont parvenus par les écrits d’Homère et par des fresques, dont l’une date de 1600 av. J.-C. », rapporte Sophie Montel, enseignante-chercheuse en histoire de l’art et archéologie du monde grec à l’université de Franche-Comté / ISTA.
Les « jeux funéraires » comportaient courses de char, pugilat, lutte, lancers de disque et de javelot, tir à l’arc, toutes disciplines qui se sont transmises au cours des siècles et de jeux qui quitteront le royaume des morts pour investir celui des dieux. Les sources historiques ne permettent pas vraiment de savoir comment s’opère ce glissement ; mais elles établissent l’origine de jeux donnés en l’honneur des dieux à Olympie en 776 av. J.-C., avec les premiers noms connus de vainqueurs aux épreuves. Olympie, puis Isthme et Némée, Delphes, les concours olympiques dits de la période (períodos) se succèdent pendant les quatre ans de l’Olympiade, en alternance autour de ces grands sanctuaires grecs.

Vestiges des bains du sanctuaire de Némée, à destination des athlètes comme des visiteurs, vers 320 av. J.-C. Cliché Aurélie Montel.

Ce sont eux que l’on a retenus, que l’histoire connaît le mieux : les écrits antiques sont complétés par la découverte de ces grands sites archéologiques, objets de fouilles à partir de la fin du XIXe siècle. Mais la recherche récente a montré que les concours de la períodos, pour être les plus importants, n’étaient pas les seuls ; pas moins d’une centaine d’événements sportifs bâtis sur leur modèle ont été recensés à partir du VIe siècle av. J.-C. dans la Grèce antique. Des cérémonies religieuses mêlant prières et offrandes, selon les lieux en l’honneur de Zeus, Poséidon, Apollon ou tout autre dieu de l’Olympe, encadraient des épreuves assez similaires d’un concours à un autre. « Certaines variantes tenaient aux possibilités d’organisation, mais on retrouve à peu près partout les sports de combat, lutte, pugilat et pancrace¹, les courses de char, les courses à pied, vitesse et endurance, et les lancers », raconte Sophie Montel.
À noter que des châtiments corporels sont réservés à ceux qui sont responsables d’un faux départ, et qu’il n’y a de gloire que pour les vainqueurs : les classements n’existent pas. « Les athlètes se présentent sous leur nom et celui de leur cité, qui finance leur participation aux concours et sur laquelle l’honneur rejaillit aussi en cas de victoire », explique Georges Tirologos, ingénieur en analyse des sources historiques à l’ISTA. Les vainqueurs reçoivent le droit de faire élever des statues à leur effigie, pour peu qu’ils aient les moyens de les payer ; en bronze ou en pierre, elles s’élèvent nombreuses dans les sanctuaires et les cités.

Vue du stade d’Olympie, restauré par les archéologues allemands. On distingue la ligne de départ en pierre. Les spectateurs s’installaient sur les talus : seuls les juges, les Hellanodices, avaient une tribune en dur !
Photo Wikimedia Commons.

À partir du IVe siècle av. J.-C., est attestée l’existence de logements en dur pour les organisateurs, juges et arbitres, les athlètes et leurs familles étant logés sous des tentes autour du site, accompagnés de leurs animaux. « Il est difficile d’estimer combien d’athlètes participaient aux épreuves, explique Sophie Montel. Mais on sait qu’un site comme Olympie pouvait accueillir 35 000 spectateurs, ce qui laisse imaginer une certaine importance des concours ». « Les citoyens libres de toute la Grèce antique, dont le territoire s’étendait alors sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, venaient participer à la períodos », complète Georges Tirologos. C’est de là que la trêve olympique tire ses origines : elle était mise en place pour assurer la sécurité des participants, qui voyageaient par bateau puis à pied, parfois pendant des semaines, pour rejoindre la Grèce. « La trêve était instaurée un mois avant le début des épreuves, annoncée partout par des messagers, les hérauts, et toutes les cités l’acceptaient et la respectaient », souligne Sophie Montel.

¹ Le pugilat est l’ancêtre de la boxe anglaise, avec usage exclusif des poings ; le pancrace, plus violent, autorise quasiment tous les coups.

 

Des fonds privés pour la première édition des jeux modernes

En 394 de notre ère, l’empereur Théodose met fin à l’aventure olympique, une fête païenne pour le christianisme, désormais religion officielle de l’empire romain. En 1896, à Athènes, c’est sous le règne de Georges Ier qu’elle reprend le fil de son histoire.

Affiche officielle des Jeux d’Athènes 1896. © CIO

Mille cinq cents ans se sont écoulés. L’État grec moderne est en cours de formation. Les jeux seront l’opportunité pour le roi d’asseoir sa légitimité et pour la population d’affirmer son identité, après des années de guerre contre les Ottomans et l’accès à l’indépendance en 1830. Jeune et pauvre, le pays manque cependant de moyens pour assumer un tel projet : ce sont des fonds privés qui financeront les premiers Jeux modernes. « Des dons proviennent de la diaspora grecque, mais c’est surtout à l’homme d’affaires et mécène Georges Averoff, qui restaure le stade panathénaïque, que l’on doit l’organisation des Jeux d’Athènes », raconte George Tirologos. Athènes, depuis peu capitale de la Grèce, ne compte alors que 5 000 habitants ; elle doit accueillir 250 athlètes venus de 14 pays, et 80 000 spectateurs.
« Le directeur de la police convoque tous les escrocs pour leur demander de cesser leurs activités le temps des Jeux, pour ne pas ternir l’image de la ville. Et ça marche. Le sentiment patriotique existe même chez les voleurs, qui vont jusqu’à surveiller ceux qui viennent d’ailleurs ! » Problématiques de financement, questions de sécurité, valorisation de l’image d’un pays, au-delà des aspects liés au sport et à l’éthique, Athènes inaugure les Jeux modernes selon des caractéristiques qui resteront récurrents dans leur organisation.

Jeux et enjeux

1924-2024 : un siècle d’exploits sportifs et de records, de podiums et d’espoirs déçus, de controverses et de scandales, de tensions politiques, d’enjeux économiques et d’envolées médiatiques.

Affiche officielle des Jeux de Paris 1924. © CIO

Ce sont ces dimensions que l’exposition Les Jeux olympiques miroir des sociétés met en lumière autour de l’événement sportif le plus célèbre du monde et de son centenaire parisien. Une rétrospective à voir jusqu’en novembre au Mémorial de la Shoah à Paris, qui met l’accent sur différentes formes de discrimination rencontrées lors des Jeux. L’exposition témoigne en préambule de la naissance de la « religion olympique » selon Pierre de Coubertin, de ses rituels et de ses symboles : le défilé des athlètes en 1908, le serment olympique prêté en 1920, et la même année la création du drapeau reprenant les anneaux dessinés en 1913 par l’illustre baron, la flamme allumée pour la première fois en 1928, en référence à un cérémonial antique. Historien du sport à l’université de Franche-Comté / Centre Lucien Febvre, Paul Dietschy est l’un des commissaires de l’exposition : « Le parcours de la flamme apparaît aujourd’hui comme un rituel inclusif, mais il est inventé pour les Jeux de Berlin de 1936 par les Nazis, qui voient les Aryens comme les descendants des Grecs anciens et insistent sur les références à l’Antiquité. »
C’est justement toute l’ambivalence des Jeux, entre valeurs d’universalité pacifistes et réalités pour le moins contrastées, qui est mise en exergue dans l’exposition : elle s’appuie pour cela sur trois années qui ont marqué au fer l’histoire des Jeux : 1936, Berlin, les jeux du nazisme ; 1968, Mexico et la ségrégation raciale ; 1972, Munich et la reviviscence de l’antisémitisme, avec la prise d’otage et l’assassinat de onze athlètes et entraîneurs juifs.
En 1936, les Jeux de Berlin sont une démonstration de force du régime hitlérien. « L’événement est organisé dans des installations gigantesques et servi par les films de propagande de la réalisatrice Leni Riefenstahl. Les podiums offrent l’occasion de lever le bras non pour faire le salut olympique, mais le salut fasciste ou nazi », souligne Paul Dietschy. Et si Paris, en 1924, fait entrer les Jeux dans la modernité avec la radiodiffusion, la presse illustrée et les premières vedettes du sport, Berlin en 1936 est l’édition des premières retransmissions télévisées, d’une manière certes encore confidentielle, mais utile à la propagande.

C’est au cours de ces Jeux que l’Américain Jesse Owens, petit-fils d’esclaves affranchis, remporte quatre médailles d’or, au 100 mètres, 200 mètres, saut en longueur et 4 x 100 mètres. L’athlète accède à une notoriété internationale, aussi bien pour son formidable exploit sportif que pour avoir damé le pion à Hitler et à ses théories sur la supériorité de la race aryenne. Mais c’est dans son pays natal, où la ségrégation raciale est alors inscrite dans les mœurs et les lois, que le sprinter afro-américain souffre au quotidien de la différence. Pointant l’évolution du contexte social américain, l’exposition dresse un parallèle entre le triomphe de Jesse Owens et celui de Carl Lewis, qui établit un palmarès rigoureusement identique en 1984 à Los Angeles.
Entre ces deux bornes historiques, en 1968 à Mexico, ce sont deux autres athlètes noirs qui vont entrer dans la légende, pour leur prise de position contre la ségrégation raciale. Tommie Smith et John Carlos se présentent pieds nus pour rappeler la pauvreté de leur peuple et, tête baissée, lèvent un poing ganté de noir pour protester contre la condition des Noirs aux États-Unis, alors qu’ils prennent place sur le podium qui les consacre respectivement à la première et à la troisième place du 200 mètres. Ce geste leur vaudra d’être exclus des Jeux et de perdre leur statut d’athlètes. Ils seront réhabilités au début des années 2000, devenant alors de véritables idoles.

Affiche officielle des Jeux de Berlin 1936. © CIO

D’autres figures incontournables des JO sont présentes dans l’exposition : outre leurs performances remarquables, leurs parcours sont emblématiques de l’ambivalence des Jeux.

Parmi eux, Alfred Nakache (1915-1983) est un athlète français, juif, acclamé pour ses talents exceptionnels de nageur, notamment par Jean Borotra, le commissaire aux sports du régime de Vichy, même s’il est déchu de la nationalité française et perd son emploi en vertu du statut des Juifs publié en octobre 1940. Arrêté par la Gestapo en 1943, il survit à l’enfer d’Auschwitz où sa femme et sa fille sont en revanche assassinées dès leur arrivée. À la fin de la guerre, affaibli par des mois de camp et anéanti par la nouvelle, il reprend néanmoins l’entraînement.

Alfred Nakache participera aux Jeux de Londres de 1948, comme la Hongroise Éva Székely (1927-2020), elle aussi enfant prodige de la natation, elle aussi juive. Éva Székely aura également à fuir les persécutions, mais elle échappera à la déportation. La nageuse s’astreint à un incroyable entraînement physique, montant et descendant pendant des heures les escaliers de la maison dans laquelle elle vit recluse jusqu’à la fin de la guerre. Elle obtiendra les médailles d’or puis d’argent au 200 mètres brasse, respectivement aux Jeux de 1952 et 1956, avant de s’incliner et de renoncer à la compétition, sous la contrainte cette fois du parti communiste au pouvoir en Hongrie.

En natation également et symboliquement, quoique sur un tout autre plan, Paris 2024 marque le quarantième anniversaire de la mort de Johnny Weissmuller (1904-1984) et le centième anniversaire de sa consécration : en juillet 1924, le nageur, atteint de la polio quand il était enfant, remporte trois médailles d’or en trois jours. Légende de la natation mondiale avec vingt-huit records du monde à son actif en 1928, alors qu’il met un terme à sa carrière à l’âge de 24 ans, Johnny Weissmuller reste cependant plus célèbre pour son rôle mythique de Tarzan à l’écran que pour ses performances sportives exceptionnelles.

Natation, gymnastique, athlétisme, boxe…, les exploits et parcours d’athlètes de toutes disciplines, qui, d’une façon ou d’une autre, ont fait l’histoire des Jeux, revivent sur les murs de l’exposition, de Nadia Comaneci à Marie-José Perec, d’Alain Mimoun à Mohammed Ali.

 

Femmes et minorités en lutte

Dans l’Antiquité, les femmes, dès lors qu’elles étaient mariées, n’avaient pas le droit d’assister aux concours olympiques.

Paris 1900. Utiliser l’image d’une athlète féminine est inhabituel pour l’époque, et d’autant plus surprenant que les débuts olympiques des femmes en escrime ne datent que de 1924 !
La nature olympique du concours d’escrime des Jeux de 1900, organisés pendant l’Exposition universelle de Paris, n’est pas mentionnée sur l’affiche. © CIO

Mais dès le VIe siècle av. J.-C., des compétitions étaient organisées pour elles, quinze jours après la fin des épreuves réservées aux hommes. À l’avènement des Jeux modernes, Coubertin est opposé à la participation des femmes ; les réactions sont immédiates. En 1896 à Athènes, le lendemain de l’épreuve de marathon disputée par les hommes, une femme refait seule la course, en signe de protestation. Voile, tennis, golf, rares sont les épreuves accueillant des femmes à partir de 1900. Il faut attendre 1928 pour que la gent féminine soit admise aux JO dans les épreuves d’athlétisme : la volonté de Coubertin plie devant celle de la nageuse et rameuse française Alice Milliat, instigatrice au début des années 1920 de mondiaux féminins que le Comité international olympique (CIO) reprendra sous sa bannière pour les intégrer officiellement aux Jeux.
Pour faire entendre la voix des minorités ou des oppositions, des contre-olympiades s’organisent. En 1928 à Moscou, les premières Spartakiades s’opposent aux fascismes et valorisent la culture sportive prolétarienne sur toile de fond communiste. Également contre les valeurs bourgeoises de l’olympisme et surtout prenant le parti des athlètes afro-américains victimes de discrimination, la fédération sportive communiste américaine Labor Sports Union organise en 1932 ses propres jeux à Chicago, en parallèle à ceux de Los Angeles. Les Maccabiades, elles, se mettent en place dans un contexte d’antisémitisme montant en Europe, et réunissent dans les années 1930 des Juifs de toute la diaspora ; elles ont notamment pour objectif d’obtenir la reconnaissance d’une délégation juive aux Jeux olympiques, après que des fédérations nationales ont opposé leur veto à la participation d’athlètes juifs.

 

Des jeux en marge des Jeux

« À la fin du XIXe siècle, alors que la Révolution industrielle produit ses bouleversements économiques et sociaux, Coubertin est un républicain qui veut donner une nouvelle morale aux élites, en les incitant au mouvement et à l’action. Les Jeux olympiques sont au service de cette ambition », explique Cyril Polycarpe, historien du sport au laboratoire C3S. Mais d’autres jeux s’organisent, répondant à d’autres prétentions. Le CIO devra revoir son organisation pour pouvoir les placer sous son autorité.

Image macrovector – Freepik

En 1913, les jeux de l’Extrême-Orient se tiennent pour la première fois à Manille, aux Philippines. Ils sont orchestrés par la YMCA américaine : l’association d’origine protestante entend diffuser vers l’Asie les idéaux de son pays, symbolisés par le modèle du self-made man. Les sports américains, comme le baseball, et les sports mécaniques font leur apparition dans la compétition, avec le soutien des clubs sportifs que la YMCA a aidé à créer en Asie.
« La dimension politique que revêtent ces jeux, dont il est absent, est vue comme une menace pour le CIO. » Dans les années 1920 et 1930, l’organisation s’oriente vers le recrutement de diplomates, qui offrent de nouvelles perspectives par rapport aux membres autrefois choisis par Coubertin dans ses réseaux militaires et aristocratiques. « Le changement est tel que le CIO est alors vu comme une organisation sportive et également diplomatique, au même titre que la SDN, la future ONU », souligne Cyril Polycarpe. C’est grâce aux talents de ses diplomates que le CIO réussira à sceller des alliances, comme c’est le cas avec la YMCA.

La puissante organisation devient incontournable. Ralliés à sa bannière, les jeux de l’Extrême-Orient se verront cependant stoppés par la seconde guerre sino-japonaise et l’annulation de l’édition prévue en 1938. Dans cette région du monde, les jeux d’Asie du Sud-Est apparaissent en 1959. Les jeux des nouvelles forces indépendantes (GANEFO), créés en 1963 sur fond de crise entre l’Indonésie et le CIO, ne comptent que deux éditions, ne trouvant pas le soutien politique nécessaire pour se mesurer à l’organisation olympique. Les jeux d’Amérique centrale et des Caraïbes naissent en 1926, les jeux sud-américains en 1978. Les jeux panarabes ont vécu de 1953 à 2023. Les jeux méditerranéens, créés en 1951, et les jeux du Commonwealth, succédant en 1978 aux jeux de l’Empire britannique datant de 1930, sont associés au contexte de la colonisation et à son évolution. Malgré la proposition de Pierre de Coubertin, en 1923, de créer des jeux africains, ceux-ci ne voient le jour qu’en 1965, après les luttes d’indépendance. Les jeux du Pacifique donnent depuis 1963 la possibilité aux territoires de cette zone de faire valoir des sports qui leur sont spécifiques, comme la chasse sous-marine. Les premiers jeux européens font leur apparition en 2015 à Bakou, en Azerbaïdjan ; entre considérations géographiques et politiques, ils peinent à trouver leur périmètre, mais sont envisagés comme un moyen de redorer le blason du continent devant l’influence grandissante du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient sur la scène internationale.

Tous les jeux régionaux sont sous la supervision du CIO, dont ils adoptent la charte olympique. « Si certains sont apparus comme des contre-modèles, ce n’est plus le cas. Les jeux régionaux reflètent aujourd’hui des identités géographiques ou culturelles par le biais du sport, et sont le plus souvent des tremplins vers une participation aux Jeux olympiques mondiaux. »

 

Peinture à l’huile de Jean Jacoby, exposée aux Jeux de Berlin en 1936.
Le peintre luxembourgeois remportera deux médailles d’or
dans des concours d’art olympiques.

Jeux artistiques

Les Jeux modernes n’ont pas toujours été uniquement sportifs : entre 1912 et 1948, ils ont aussi comporté des concours d’art : l’objectif était de se rapprocher de l’idéal antique de l’homme, associant muscle et esprit.

À Delphes, à Olympie et ailleurs, la poésie, la musique, le chant ou le théâtre avaient leur place, et les sanctuaires où se déroulaient les concours regorgeaient « d’œuvres d’art ». Pour renouer avec la dimension culturelle et artistique de l’Antiquité, il est décidé dès 1906 que la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique et la littérature constitueraient les domaines d’expression associés aux épreuves sportives.

Si la première édition, en 1912, à Stockholm, ne suscite pas l’enthousiasme des artistes, l’idée fait peu à peu son chemin. Paris 1924 marque l’apogée des concours d’art, avec la présence de près de deux cents concurrents issus de 23 pays, les peintures et les sculptures étant exposées au Grand Palais.

« Joueur de football » vaut au peintre et affichiste belge Alfred Ost une médaille de bronze
au concourt d’art olympique à Anvers, en 1920.

Des artistes de plusieurs pays, dont la France, boycottent les concours d’art des Jeux de Berlin en 1936. « Après l’édition londonienne de 1948, les concours d’art disparaissent, pour différentes raisons », explique Jean-Yves Guillain, historien du sport au C3S.

Les artistes ont du mal à adhérer à un système qui les juge et les classe ; les organisateurs, quand ils n’oublient pas de les pressentir, se plaignent de ne pas toucher les plus grands d’entre eux, qui préfèrent honorer leurs commandes ou exposer à titre personnel. Pour autant, les œuvres olympiques sont parfois de bonne facture et certains de leurs auteurs sont réputés, comme Van Dongen, Lartigue, Gropius, Montherlant, Landowski, Breker… Mais le sport n’est pas le domaine d’expression favori des artistes : le dynamisme et la vitesse sont difficiles à rendre, par exemple sur une toile. Surtout, les mouvement avant-gardistes, émergeant dans la première moitié du XXe siècle, bousculent les lignes de l’art, se heurtent à l’académisme, impulsent de nouvelles idées.

« Coubertin se fait dépasser, avec une vision de l’art fondée sur un réalisme inspiré de l’Antiquité et un idéal olympique s’appuyant sur des valeurs aristocratiques. Il est en décalage avec le monde », explique Christian Vivier, directeur du C3S et spécialiste d’histoire culturelle du sport. Jean-Yves Guillain ajoute que les concours d’art butent sur un vice de forme : « Pour assurer leur niveau artistique, ce sont des professionnels qui participent aux concours ; or, l’amateurisme est une règle aux JO. » Pointé par l’Américain Avery Brundage, le futur et très controversé président du CIO, ce manquement à une stricte application de la charte olympique signe la fin des concours d’art aux Jeux. Les Olympiades culturelles d’aujourd’hui apparaissent comme un relais de la dimension artistique qui les animait, avec des événements produits avant et pendant les Jeux, par exemple à l’occasion du passage de la flamme olympique.

 

Cérémonies mythiques

Les spectacles d’ouverture et de clôture des Jeux, quant à eux, s’inspirent de l’art total. Au service de l’événement et plus encore de l’image du pays hôte, ils sont pour celui-ci une formidable opportunité de se raconter. « Les organisateurs ont la maîtrise de ce qu’ils veulent dire, ont le pouvoir de montrer leur pays et leur ville sous leur meilleur jour », souligne Yann Descamps, historien spécialiste des représentations du corps sportif au C3S. En travaillant sur le sens véhiculé par les cérémonies des Jeux, le chercheur analyse les discours des pays sur eux-mêmes, le message qu’ils veulent transmettre à l’international, et la façon dont ce message est reçu.

Photo kirill_sobolev – Pixabay

« La France a bâti ses récits autour de son histoire. Paris 2024 montrera si elle poursuit sur ce type de discours ou si elle le renouvelle, en intégrant par exemple les questions postcoloniale, du genre ou de l’environnement. » En observant les réactions autour de la cérémonie d’ouverture, Yann Descamps pourra analyser les distances séparant la production du message et sa réception, mettre en rapport l’affiche du spectacle et l’envers du décor. L’historien étudie aussi les discours prévalant de l’autre côté de l’Atlantique.

« Les États-Unis mettent l’accent sur leurs mythes fondateurs, dont celui d’une nation pionnière, et dressent un parallèle entre les idéaux américains et olympiques pour que les deux se confondent. » Les États-Unis utilisent la force du visuel et même celle de la musique : à trois reprises, elle est signée par John Williams, connu pour les bandes originales qu’il a composées pour de célèbres films américains.

Le Japon, lui, distille son modèle culturel à travers les mangas, bénéficiant d’un formidable succès depuis une quarantaine d’années, notamment en France qui en est le deuxième plus gros consommateur au monde.
« Dans les mangas, les JO représentent le summum de l’expérience sportive. Mais c’est le parcours initiatique qui mène jusqu’à cet idéal qui est mis en valeur, plus que le fait d’obtenir ou non une médaille », explique Yann Descamps. Les mangas n’éduquent pas à l’ensemble des valeurs prônées par le CIO, mais plutôt à celles du bushido, le code de conduite associé à la figure du samouraï : travailler très dur et surmonter les obstacles sont des fondamentaux pour s’imposer au judo, en gymnastique ou au volley. Le respect dû aux aînés est également une dimension incontournable. « Certaines de ces valeurs sont peu à peu intégrées par les jeunes, notamment en France ; il est intéressant de regarder si elles sont susceptibles de compléter ou d’aller à l’encontre de notre propre culture sportive. » Fort du succès phénoménal de Pokémon au tournant des années 2000, le Japon s’appuie sur le manga pour vendre sa culture et transmettre les principes du bushido au monde. Miraitowa et Someity, les mascottes des jeux de Tokyo en 2021, sont des symboles de la « japonisation » en cours dans le sport, comme elle l’est ailleurs.

 

Planches de sport

La bande dessinée francophone s’est quant à elle toujours intéressée au sport, comme à d’autres aspects de la vie sociale, en premier lieu pour s’en amuser.

Debois F., Lacroix P., Bibi Fricotin aux Jeux olympiques, Société parisienne d’édition, 1948.

En lice pour les Jeux olympiques dès les années 1950, Bibi Fricotin et Les Pieds nickelés se servent du sujet pour multiplier les gags et les situations comiques. « L’héritage de caricaturistes comme Daumier ou Gustave Doré se sent très tôt dans la BD. L’objectif est de faire rire, et pour cela les Jeux olympiques sont un prétexte comme un autre, il n’y a pas de véritable fondement au propos », explique Sébastien Laffage-Cosnier, historien du sport au C3S. Restés dans les annales du 9e art, Astérix aux jeux olympiques (1968) et Les Schtroumpfs olympiques (1980) conjuguent la morale à l’humour ; les deux albums tournent en dérision différentes facettes du sport et de l’olympisme, comme l’entraînement, l’esprit de compétition, la pression sociale, la gloire des vainqueurs, le régime alimentaire, la tricherie, le dopage.

À leur sujet, Sébastien Laffage-Cosnier et Christian Vivier soulignaient dans un article scientifique paru en 2018 : « Les plus célèbres BD olympiques mettent en avant la manière dont les personnages principaux, mus généralement en « anti-héros sportifs », affichent l’archétype du « Français moyen », roublard, râleur et débrouillard, se désintéressant de la victoire finale. Aussi, à leur façon, les créateurs de ces BD olympiques célèbres questionnent la place, le rôle, voire l’utilité et la crédibilité du classement à l’issue d’un spectacle sportif ».

Pellos R., De Montaubert R., Les Pieds nickelés aux Jeux olympiques, Société Parisienne d’Édition, 1958.

Si la BD, longtemps considérée comme un art mineur et populaire, n’a pas toujours suscité l’intérêt de la recherche, elle participe pourtant bien à la construction d’un imaginaire collectif, et son impact est réel : son étude est une entrée particulière et riche d’enseignements pour aborder les réalités d’une société et la soumettre à des questionnements. Faire du sport est-il un moyen de rendre meilleur… ou d’être le meilleur ? Le dopage est-il la seule façon de réellement parler d’égalité des chances, comme il est suggéré dans Astérix, avec des athlètes ayant tous absorbé la mixture du druide et franchissant la ligne d’arrivée comme un seul homme ? La BD ne prend une dimension véritablement éducative qu’à partir des années 1980, alors que ses auteurs ont le souci de la voir légitimée dans sa capacité à apprendre aux jeunes. Des albums sur l’œuvre de Coubertin, le mouvement olympique ou d’anciens champions, célèbres pour leur succès ou leur militantisme, investissent le domaine de la narration graphique. S’adressant davantage à un public d’adultes, certains albums délivrent des messages critiques ou politiques, remettant par exemple en cause la bienveillance avec laquelle on envisage généralement « les prétendus bienfaits du sport compétitif », ou la vision du sport comme facteur d’intégration. « L’art questionne la société sur ce qu’elle est, et fait bouger les normes », note Christian Vivier. « L’artiste voit et montre le monde autrement », conclut Sébastien Laffage-Cosnier.

Pour en savoir plus : Laffage-Cosnier S., De l’histoire, du sport, et des images, Éditions de la Sorbonne, 2024.

 

Disciplines en jeu

Publicité Philips. Jeux de Londres 1948

Si l’athlétisme, qui semble établir un lien direct avec les Jeux antiques, est le sport roi des Jeux olympiques modernes, le 100 m restant l’épreuve la plus attendue, d’autres disciplines connaissent une histoire plus mouvementée.

Le football apparaît en 1900 aux Jeux de Paris, et dès 1912, l’organisation des tournois est confiée à la toute jeune FIFA. En 1924, le stade de Colombes affiche complet et le public assiste à la victoire de la sélection uruguayenne, un succès remis en cause par le CIO, accusant l’équipe de non-respect des critères d’amateurisme énoncés dans sa charte. Si le CIO durcit ses conditions, il continue à accepter le football comme discipline olympique, pour des raisons essentiellement financières : en 1928, à Amsterdam, le foot représente un tiers des recettes des JO. « Mais les relations avec la FIFA se tendent, au point que les dirigeants de la fédération créent leur propre compétition : la coupe du monde de football naît en 1930 », explique Paul Dietschy.

Record olympique de saut en hauteur aux Jeux de Paris 1924. « L’Américain Osborn franchit 1,98 m dans un style impeccable ». Illustration de couverture du Petit Journal du 20 juillet 1924.

Les professionnels du football, comme des autres disciplines, seront admis aux Jeux à partir de 1984. La FIFA souhaite cependant que ses meilleurs joueurs privilégient le terrain de la Coupe du monde : une limite d’âge de 23 ans a été fixée pour constituer les équipes olympiques, que peuvent rejoindre au maximum trois joueurs plus âgés.

Le golf compte aussi parmi les premières disciplines des Jeux modernes, et se distingue par la présence de femmes. Mais après les éditions de 1900 et 1904, il disparaît de la scène olympique… jusqu’en 2016. Désaccords avec le CIO, problématique posée par un sport à la fois aristocratique et pratiqué par des professionnels, volonté des Britanniques et des Américains de ne pas voir leurs grandes compétitions concurrencées, et absence, pendant longtemps, de fédération internationale ont été autant d’entraves à sa réapparition. « À partir des années 1990, la discipline se structure à l’international et les meilleurs golfeurs veulent vivre l’événement des JO ; parallèlement, le CIO souhaite pour son impact médiatique la présence des stars de la discipline », raconte Jean-Yves Guillain, spécialiste de l’histoire du golf. C’est le retour aux Jeux de ce sport de tradition anglo-saxonne, dont les règles ont été formalisées dès 1744.

Le hockey sur gazon fait de son côté une apparition éclair à Athènes en 1896. Boudé à Paris et Saint-Louis, ce dérivé du cricket anglais revient en 1908 aux Jeux de Londres. Les joueurs d’Inde et du Pakistan, qui ont reçu sa pratique en héritage à l’ère de la colonisation, se disputent les victoires des tournois en alternance, et la discipline a du mal à dépasser ces frontières. Mais aux Jeux de Montréal en 1976, les règles changent. Le hockey se jouera désormais sur un terrain synthétique, et la rapidité de jeu passera avant la tactique. Les Européens et les Américains s’imposent dès lors dans la compétition. « Le hockey sur gazon s’est « olympisé ». Il est devenu plus dynamique, et donc plus médiatique : le CIO et les médias sont aux commandes », analyse Cyril Polycarpe.

 

Le droit du sport

Inaugurant la collection Cahiers d’Études olympiques dirigée par Éric Monnin, l’ouvrage L’olympisme. Genèse, principes & gouvernance regroupe des contributions issues de la première rencontre « Droit et olympisme » du cycle de colloques proposé à l’université de Franche-Comté par le CÉROU et le CRJFC.
Ces échanges scientifiques ont pour ambition « d’aborder l’ensemble des thématiques juridiques liées à l’olympisme et à l’organisation des événements olympiques, dans une optique disciplinaire et en collaboration avec plusieurs centres de recherche en droit du sport ». Principes fondateurs, fonctionnement du CIO, attribution des olympiades, contrat de ville hôte…, puisant dans leur passé comme dans leur actualité, c’est par le prisme du droit que sont considérées l’organisation et la gouvernance des Jeux modernes. Sous-jacentes, les questions d’éthique et de respect des droits de l’homme feront l’objet de la parution d’un deuxième volume, à la suite du colloque prévu sur ce thème. « Du fait des enjeux dont il est le reflet, l’olympisme constitue ainsi dans notre monde moderne une sorte de « mini-laboratoire » des nombreux enjeux existant à l’échelle internationale et de la manière dont l’ensemble des protagonistes réagissent », indique Béatrice Lapérou-Scheneider, directrice du CRJFC et coresponsable de la coordination de l’ouvrage.

Monnin É., Lapérou-Scheneider B., Kondratuk L. (sous la direction de), L’olympisme. Genèse, principes et gouvernance, Éditions DésIris, 2023.

 

Rencontres sportives et scientifiques

C’est pour favoriser les échanges scientifiques que s’organise, dans le pays hôte et à la veille des Jeux, un colloque réunissant des chercheurs en sciences sociales de toutes disciplines. Pour sa 4e édition, les représentants de 80 centres d’études olympiques de 23 nations seront donc accueillis les 22 et 23 juillet à Besançon, à l’invitation du CÉROU ². Ce colloque fera suite au 16e Symposium international sur la recherche olympique et paralympique des 20 et 21 juillet, proposant des conférences ouvertes à tout public et également organisé à Besançon en collaboration avec l’ICOS, l’homologue du centre de recherche bisontin au Canada. Deux rendez-vous d’importance pour Éric Monnin, sociologue au laboratoire C3S, directeur du CÉROU et vice-président de l’université de Franche-Comté à l’olympisme, que Paris 2024 emmène sur d’autres fronts encore : l’édition d’un numéro spécial de la revue de sociologie Carnet esprit critique avec des doctorants du C3S, la présence de l’université sur le stand du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche au Club France à la Villette, pendant les Jeux, ou encore le commissariat de l’exposition Francophonie et olympisme à la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, inaugurée le 17 juillet. Infatigable promoteur de l’olympisme, Éric Monnin est consultant pour Eurosport et commentera sur la chaîne privée les cérémonies d’ouverture et de clôture Paris 2024, ainsi que les sports de combat. Porteur de la flamme olympique à deux reprises, à Besançon en juin, et à Nauplie, en Grèce, en avril, il garde de ces moments symboliques « émotion et fierté ».

² Centre d’études et de recherches olympiques universitaires de l’université de Franche-Comté.
Les affiches Athènes 1896, Paris 1900, Paris 1924, et leurs commentaires, sont extraits du document de référence Les affiches des Jeux Olympiques d’été, d’Athènes 1896 à Rio 2016,
Centre d’études olympiques, CIO, 2017.
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