Université de Franche-Comté

Fruitières jurassiennes et émergence de l’agronomie scientifique

Entre 1800 et 1880, le nombre de fruitières augmente de plus de 70 % dans l’Arc jurassien franco-suisse, passant de 700 à 1 200 établissements. Lieu de production des fromages locaux, structure juridique de type coopératif si typique de la région, la fruitière est un bon exemple de l’évolution des pratiques laitières depuis la fin du XVIIIsiècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Elle est l’angle qu’a choisi d’exploiter Fabien Knittel, enseignant-chercheur à l’université de Franche-Comté / Centre Lucien Febvre, pour comprendre le cheminement mené en parallèle par le métier d’agronome, une analyse qu’il restitue dans l’ouvrage Agronomie et techniques laitières.

« Vers la fin du XIXsiècle, on assiste à une accélération de la scolarisation des apprentissages des futurs fruitiers, qui deviennent des techniciens. L’ENIL de Mamirolle est fondée en 1888, l’école de fromagerie de Poligny l’année suivante, en lien direct avec les discours des agronomes sur le lait et ses transformations. » L’industrialisation de la fabrication du fromage s’accentue à la même période, favorisant l’essor du machinisme. Scolarisation et industrialisation vont de pair et veulent répondre à une crise agricole provoquant la chute des prix du lait. Ce double mouvement est propice aux transferts techniques, qui jusqu’alors se limitaient à la transmission des gestes du savoir-faire entre maître fruitier et apprenti, au sein de la coopérative.

« Si les agronomes se sont placés en observateurs des pratiques paysannes, qu’ils ont souvent jugées sévèrement pour leur caractère routinier alors qu’eux-mêmes encourageaient l’innovation et le progrès agricole, en réalité la circulation des idées et des savoir-faire entre praticiens et savants était bien plus complexe qu’une prise de position systématique et caricaturale. »

Au cours de cette période s’étirant sur plus d’un siècle et après avoir été le fait de spécialistes aux compétences très diverses, du biochimiste au marchand de bestiaux, l’agronomie se structure peu à peu comme discipline scientifique ; l’enseignement se professionnalise et c’est en 1893 que le métier d’agronome est reconnu par un diplôme d’ingénieur spécifique.

« L’agronomie s’est construite comme un ensemble de savoirs scientifiques hybrides, à proximité de la médecine vétérinaire, de la zootechnie, de l’hygiénisme, de la chimie et de la microbactériologie pastorienne. » Une dynamique mise en valeur par l’étude de cas que constituent les fruitières jurassiennes.

 

Knittel F., Agronomie et techniques laitières. Le cas des fruitières de l’Arc jurassien (1790-1914), Classiques Garnier, 2021
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