Université de Franche-Comté

Forêts sentinelles comtoises

Le dépérissement des forêts, ou tout au moins leur fragilisation, est une conséquence directe du bouleversement climatique. Les transformations des paysages et des socio-écosystèmes forestiers du massif du Jura font l’objet de recherches menées aux laboratoires ThéMA et Chrono-environnement, aujourd’hui fédérées au sein d’un observatoire dédié à ces enjeux.

 

Photos prises sur une placette d’observation. Réserve biologique intégrale de la Grand’ Côte, Remoray (25)

Connaître le climat qui règne en forêt : le sujet est devenu capital, c’est l’un des objectifs de l’Observatoire des forêts sentinelles comtoises, qui concerne plus spécifiquement les parcs naturels régionaux du Haut Jura et du Doubs horloger. Les premiers jalons en ont été posés voilà plus de dix ans à ThéMA par le climatologue Daniel Joly, l’un des pionniers en France pour s’intéresser à la problématique et la rendre concrète avec l’installation de capteurs de température sous couvert forestier.

Aujourd’hui, ce sont soixante-six capteurs qui, accrochés au tronc des arbres, enregistrent la température ambiante toutes les trente minutes, sur une large bande forestière le long de la frontière franco-suisse. Ces mesures se doublent de relevés sur l’état sanitaire des épicéas, des sapins et des hêtres, effectués tous les ans sur six placettes d’observation d’environ 5 000 m² chacune : l’évolution du climat et celle de la santé de la forêt sont suivies en parallèle, de façon à saisir les interactions qui se jouent et à appréhender les phénomènes de manière globale. « L’observatoire mêle différents niveaux d’analyse, d’abord l’arbre pour établir son bilan de santé, puis le groupe d’arbres pour analyser la structure du peuplement forestier, enfin la biodiversité de l’écosystème, qui s’évalue à une échelle régionale. C’est un véritable défi, qui appelle à croiser différentes expertises », explique le géographe Xavier Girardet, enseignant-chercheur à l’université de Franche-Comté / ThéMA, spécialiste en écologie du paysage.

Plusieurs chercheurs1 de ThéMA et du laboratoire Chrono-environnement sont ainsi engagés dans ce projet piloté par la palynologue Carole Bégeot. « Entre étude du dépérissement de la forêt et impacts des changements sur l’écologie et les paysages, l’un des objectifs est de donner des clés de compréhension aux professionnels et aux décideurs, pour qu’ils réussissent le mieux possible à concilier gestion de la forêt et bouleversement climatique », précise Xavier Girardet.

 

Signes de faiblesse

Depuis au moins trois ans, les spécialistes ne peuvent que constater que les forêts du massif jurassien donnent de très sérieux signes de faiblesse et de mortalité. Dans les placettes d’observation qui sont des laboratoires à ciel ouvert régulièrement investis par les chercheurs et leurs étudiants, la mesure du diamètre des troncs, et donc de leur vitesse de croissance, l’analyse des champignons mycorhiziens, qui sont des indicateurs de la santé des arbres, ou le constat d’invasions d’insectes témoignent de l’état sanitaire de la forêt. « Les arbres puisent dans les réserves d’eau qu’elles possèdent au niveau racinaire pour supporter la sécheresse, mais cette faculté n’est plus suffisante lorsque les épisodes secs se multiplient. »

Le stress hydrique subi fragilise les arbres qui deviennent plus sensibles à l’attaque des insectes, comme les scolytes qui ravagent les épicéas. Ces résineux sont les premiers à dépérir, ce qui n’est pas sans obéir à une certaine logique car cette essence, qui a fait l’objet de plantations après-guerre issues du Fonds forestier national, n’est pas à son optimum écologique en dessous de 800 m d’altitude et se montre plus vulnérable aux changements que les autres. Les sapins et les hêtres présentent eux aussi des signes de stress en raison du changement climatique, mais les dépérissements sont moins marqués. Le couvert forestier garantit une certaine inertie des températures, qu’elles soient froides ou chaudes, ce qui laisse à un processus en cours davantage de temps pour se réaliser ; il favorise par exemple une fonte lente de la neige, permettant à l’eau de pénétrer dans les sols et de recharger les nappes. « La forêt se protège par elle-même. Mais jusqu’à quand ? », s’inquiète le chercheur.

Les modifications des paysages forestiers se caractérisent par un fort impact visuel, et s’accompagnent de la disparition d’habitats pour la faune et la flore. L’évolution des populations d’oiseaux sont révélatrices des changements, notamment celle du pic cendré, en danger critique d’extinction en France ; l’espèce est spécialiste des forêts feuillues et très dépendante de ses conditions microclimatiques. Le pic cendré fait l’objet d’obser­vations depuis des années par la LPO, la Ligue pour les oiseaux, avec laquelle collaborent les chercheurs. « Ses populations jurassiennes ne sont pas adaptées au climat océanique, qui est celui vers lequel on se dirige avec des hivers beaucoup plus doux et un enneigement moindre que par le passé. Étudier le pic cendré est important à la fois parce qu’il témoigne des changements à l’œuvre et qu’il en subit les conséquences de plein fouet. »

 

Une structure fédératrice

Officiellement créé en août 2022 et appelé à fonctionner sur le très long terme, l’Observatoire des forêts sentinelles comtoises fédère des recherches menées de longue date à ThéMA et à Chrono-environnement, auxquelles il donne un cadre. Il s’adjoint les compétences de chercheurs de l’Institut FEMTO-ST, notamment pour le développement des GPS qui aident à la localisation des capteurs de température disséminés sur un vaste espace forestier, et dont il faut assurer la maintenance jusque dans des reculées ou points de la haute chaîne difficiles d’accès.

L’Observatoire s’inscrit dans les activités de la Zone atelier de l’Arc jurassien (ZAAJ) et une collaboration se met en place avec l’IRP Forêts froides ; ce groupement de recherche international, créé en 2021 sous l’égide du CNRS, mobilise des chercheurs et techniciens de différents pays, France, Canada, Finlande, Chine, Norvège, Russie et Suède, autour de problématiques communes aux forêts de moyenne et haute altitude. Les données, qu’elles soient brutes, analysées pour en permettre l’interprétation ou modélisées pour l’élaboration de projections, seront stockées et mises à disposition aussi bien des chercheurs de tous champs disciplinaires que des professionnels sur le terrain.

 

 

 

 

1 Chercheurs participant au projet :
• CHRONO ENVIRONNEMENT Montbéliard : Philippe Binet (Microbiologie, mycorhizes), Coralie Bertheau-Rossel (Biologie, insectes ravageurs et entomofaune)
• CHRONO ENVIRONNEMENT Besançon : Julien Parelle (Ecophysiologie, Téledetection) ; Fabienne Tatin Froux (Ecophysiologie, Cycles biogéochimiques), Olivier Girardclos (Dendrochronologie), Eric Lucot (Pédologie), Arnaud Mouly (Biologie, Botanique), Carole Bégeot (Biologie, Paléoécologie), Julien Azuara (Biologie, climat/végétation), Pascale Ruffaldi (Botaniste/Paléoécologue), Sylvie Damy (Base de données).
• THEMA, UFR SLHS : Damien Marage (Géographie, paysage et écologie forestière), Sebastien Nageleisen (Géographie, paysage et écologie forestière), Eric Bernard (Géographe, climatologie), Xavier Girardet (Géographe, écologie du paysage).
Contact(s) :
Laboratoire ThéMA
uFC / UB / CNRS
Xavier Girardet
Tél. +33 (0)3 81 66 53 48
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