Trois volumes, deux mille pages et presque autant d’illustrations, il n’en fallait pas moins pour que Pierre Pétrequin et Anne-Marie Pétrequin puissent livrer l’aventure archéologique et ethnologique qui, depuis les lacs jurassiens, les a menés sur les chemins de la connaissance du Néolithique. Un livre exceptionnel, pour un parcours qui l’est tout autant.
Livrer la mémoire de plusieurs décennies de recherche en même temps qu’un nouveau regard sur le Néolithique, telle est la double ambition de l’ouvrage signé par Pierre Pétrequin et Anne-Marie Pétrequin, La Préhistoire du Jura et l’Europe néolithique en 100 mots-clés. Trois tomes totalisant près de deux mille pages pour relater une aventure scientifique fondatrice, qui a mené ses auteurs du Jura à la Nouvelle-Guinée en passant par le Bénin, ce raccourci étant bien trop rapide pour rendre compte du chemin parcouru, de l’extraordinaire moisson de connaissances engrangée, de la qualité de la démarche scientifique suivie, de la quête passionnée et inlassable de chercheurs encensés par leurs pairs.
L’ouvrage montre comment, depuis le Jura, les sites emblématiques de Chalain et de Clairvaux-les-Lacs ouvrent des portes sur la connaissance du Néolithique dans tout l’Est de la France, et plus largement en Europe. La période étudiée court sur trois millénaires, de 5300 à 2100 avant J.-C., un retour dans un lointain passé qui n’empêche pas Anne-Marie et Pierre Pétrequin de faire de solides et essentielles incursions dans le présent. Ces explorations les emmènent sur des terrains éloignés des sites comtois par la distance également. Les chercheurs se rendent ainsi en Nouvelle-Guinée pendant vingt-quatre années consécutives, des séjours qui nourrissent leur réflexion : l’observation du modèle culturel de certains groupes îliens leur permet d’étayer et de peaufiner les hypothèses qu’ils échafaudent à propos du passé, d’après les vestiges des lacs jurassiens.
Chalain et Clairvaux présentent un intérêt et une importance scientifiques dont la réputation n’est plus à faire. La mise au jour des villages littoraux préhistoriques, respectivement dès 1904 et 1869, s’est révélée fructueuse, mais au terme de quelques décennies, les sites sont considérés comme épuisés d’un point de vue archéologique. En 1969, Pierre Pétrequin et son équipe ont l’idée d’y effectuer des sondages sous la surface des eaux. Ce sont les premières d’une longue série d’investigations, qui seront à même de dévoiler toute l’étendue des richesses immergées là depuis des millénaires. Poteries, parures, armes, osiers…, des milliers d’objets et de matériaux ont survécu aux outrages du temps dans un parfait état de conservation, grâce au milieu aquatique dans lequel ils se sont trouvés enfouis. Ils livreront leurs secrets au fil de près de cinquante années de recherches aidées par de nouvelles techniques d’interprétation, notamment la datation dendrochronologique.
L’intérêt inédit des vestiges lacustres et les possibilités offertes par la technologie permettent de renouveler de manière significative la démarche archéologique. La façon de percevoir le Néolithique change. Les chercheurs ont désormais les moyens de reconstituer un contexte social, de comprendre des pratiques, de saisir une culture. Leurs hypothèses concernant le passé sont formulées à partir de modèles théoriques bâtis sur l’étude de sociétés contemporaines vivant sous d’autres latitudes, mais dans des contextes comparables. Eux-mêmes n’hésitent pas à se former aux gestes d’artisans pour mieux connaître les méthodes employées et cerner les pratiques, l’expérimentation tenant une place essentielle dans leur démarche.
Leurs conclusions font peu à peu s’éloigner le mythe d’hommes préhistoriques qui se seraient juste appliqués à survivre et auraient été contraints de se déplacer au gré des aléas climatiques. Les chercheurs évoquent une tout autre réalité, des outils de travail élaborés, la production de surplus agricoles, la création d’objets précieux, l’existence de rituels funéraires et de sacrifices humains…, autant de témoignages d’une organisation sociale déjà porteuse d’inégalités et d’une ouverture sur le monde de communautés étonnamment mobiles.
C’est pour mieux servir cette vision ethnologique que l’ouvrage s’articule autour de cent mots-clés, correspondant pour l’essentiel à des objets, des techniques ou des pratiques passés au crible de la recherche, et derrière lesquels se profile le contexte social dans lequel ils doivent être replacés. Tissus, pendeloques de chasse, enceintes fortifiées, bois d’œuvre, meules et mortiers, lin et pavot, traction animale, arc et violence, haches d’outre-Jura, sceptres en pierre, sépultures en grotte sont quelques exemples des cent chapitres, courts et abondamment illustrés, qui composent l’ouvrage, dont la consultation séduira autant l’amateur que le spécialiste.
La Préhistoire du Jura et l’Europe néolithique en 100 mots-clés est le 1 500e ouvrage publié par les Presses universitaires de Franche-Comté, soixante-sept ans après le premier, lui aussi consacré à l’archéologie ! Ce clin d’œil ne fait pas oublier toute l’étendue de la palette scientifique abordée par les PUFC : les lettres et les sciences humaines bien sûr, qui sont traditionnellement au cœur de l’édition universitaire, mais aussi les sciences de la vie, les sciences exactes, le droit…, qui ont rejoint leur politique éditoriale voilà une vingtaine d’années.
Les PUFC participent à la diffusion et à la valorisation de la recherche régionale ou émanant d’universités en France et à l’étranger. L’animation de sept collections et de dix revues est à mettre à leur actif, en plus de l’édition de monographies. Depuis la création des Annales littéraires en 1954, les PUFC n’ont de cesse de participer à l’évolution de leur environnement scientifique et technologique. La quasi-totalité de leurs publications sont aujourd’hui déclinées en édition numérique, et sont présentes sur les grandes plateformes scientifiques. Pour en savoir plus : https://pufc.univ-fcomte.fr