Engagée dans le programme national de revitalisation des centres-bourgs, la ville de Salins-les-Bains (39) s’adjoint les compétences d’une équipe de recherche pluridisciplinaire associée à la MSHE Ledoux. Déroulant pour eux un fil conducteur original et citoyen, les chercheurs accompagnent les acteurs impliqués dans la vie de la cité dans une enquête inédite, pour trouver ensemble des pistes de développement.
Encore très dynamique au XIXe siècle, Salins-les-Bains voit son activité industrielle péricliter au cours du XXe siècle, un déclin marqué, à la fin des années 1990, par la fermeture de ses faïenceries, symboles de sa prospérité contemporaine. Son activité repose aujourd’hui essentiellement sur le tourisme et le thermalisme. Salins ne compte plus que 2 800 habitants, une population vieillissante avec plus de 40 % de personnes retraitées, et la ville, autrefois peuplée de 8 000 citadins, présente par bien des aspects le visage d’une cité au ralenti, avec des vitrines vides et des logements vacants, même si le tourisme y est bien présent. Mais le charme de Salins reste bien vivant, riche d’un patrimoine hérité d’un passé florissant et qui se date en millénaires, et d’un environnement naturel exceptionnel. C’est sur ces atouts que la commune souhaite bâtir son renouveau, aidée dans cette ambition par un programme national de revitalisation des centres-bourgs ruraux, auquel elle a été élue en 2014. Sur ces atouts et sur l’imagination et l’implication de ses citoyens, qu’elle entend solliciter. C’est partant de ces objectifs qu’une équipe de recherche pluridisciplinaire s’est engagée dans le projet, en a affiné le cahier des charges pour développer une méthode de travail originale. « L’idée est d’accompagner les citoyens sur leur propre territoire de vie », confient Christian Guinchard, sociologue, et Alexandre Moine, géographe, faisant tous deux partie de l’équipe de chercheurs associés à la MSHE Ledoux et impliqués dans le projet Salins 2025 (1).
« L’intégration de la population à un groupe de réflexion est une demande plutôt rare, qui a forcé notre intérêt et nous a aidés à bien comprendre les tenants et les aboutissants du projet. » Une « communauté d’enquêteurs » se constitue alors autour d’une cinquantaine de personnes, choisies en concertation avec la population pour leur représentativité et leur dynamisme. Il s’agit en effet de donner à ce groupe moteur un rôle de prescripteur, chacun dans sa sphère familiale, professionnelle et sociale étant en capacité de diffuser des informations et d’emporter l’adhésion autour de lui. Jeunes et seniors, hommes et femmes, représentants de catégories sociales et d’activités différentes, chefs d’entreprises et salariés, habitants de la ville et usagers y travaillant mais résidant dans une autre commune… sont ainsi au cœur du dispositif et constituent un relais auprès de la population dans son ensemble.
Comment voient-ils leur ville ? Quelles attitudes et quels ressentis partagent-ils ? Quelle perception ont-ils d’un travail de construction en commun, en voient-ils toutes les facettes et toutes les imbrications ? La réflexion a nourri deux journées organisées sous forme d’ateliers, dans le but à la fois de valoriser des méthodes de travail et de dégager des consensus autour des actions à mener. Trois grands thèmes sont désormais identifiés comme porteurs d’enjeux, comme possibles leviers de développement : les vitrines, les cheminements et les jardins.
« Il s’agit de transformer en ressources et en atouts des éléments négatifs, qui au mieux passent inaperçus, au pire affichent de la ville une image de déclin. » En centre-ville, l’état des vitrines des commerces fermés, entourés de façades dégradées, est à cet égard très symptomatique. Plutôt que les habiller de décors ou trompe-l’œil pour redonner un peu d’agrément à une rue, il s’agit de les faire vivre autrement que dans leur destination première, de les considérer comme des espaces potentiels à mettre au service de projets culturels, artistiques et d’animation, avec par exemple la création de scènes éphémères et pourquoi pas l’organisation d’un festival de rue. L’idée de la « valorisation de cheminements » est de s’éloigner de l’axe routier traversant la ville pour promouvoir une circulation plus facile et plus plaisante aux habitants comme aux touristes. Quels sont les chemins empruntés pour les activités quotidiennes, pour se rencontrer, pour se balader ? Quelles sont les habitudes déjà prises et les possibilités à développer ? L’identification des panneaux de signalisation
indiquant ces « chemins de traverse » dresse un état des lieux, en préambule à de futures propositions ; elle est l’œuvre patiente des membres du groupe, qui sur le terrain en ont effectué un relevé exhaustif. Des données par la suite transformées en référentiel spatial par l’entremise d’un SIG (Système d’information géographique), un outil de spatialisation mis à disposition par la MSHE. Il devient dès lors possible d’établir des scénarios de développement de ces cheminements en modifiant leurs paramètres, accès, fléchage… Une enquête élaborée en concertation entre les habitants et les chercheurs est menée en parallèle pour recueillir les avis, les envies et les suggestions de la population. La troisième piste de développement concerne les jardins particuliers ou propriétés de la commune dont l’existence est peu valorisée voire insoupçonnée. « Une maison avec jardin, c’est ce que souhaitent la majorité des gens désireux de s’installer dans la région. » Or ils ignorent que Salins compte plusieurs dizaines d’habitations pourvues de jardins, situés en terrasse pour la plupart, parfois mal entretenus car abandonnés par leurs propriétaires, peu visibles car dissimulés derrière des murs. Ces éléments du patrimoine salinois gagneraient à être mis en valeur, et les parcelles communales ou les anciens vergers pourraient faire l’objet d’une exploitation agricole collective, développée au profit de la cité. Les problèmes de sécurité liés au manque d’entretien des murets pourraient par ailleurs devenir un moteur pour une réhabilitation servant le patrimoine et sa mise en valeur.
L’intervention des chercheurs permet de canaliser, de dynamiser et d’intégrer dans une stratégie globale de développement les souhaits et les réflexions émanant de tous les acteurs de la ville, par l’intermédiaire de la communauté d’enquêteurs. Elle vise à émettre des propositions auprès des élus et des décideurs pour qu’à l’horizon 2025, et dans le cadre fixé par le programme de revitalisation auquel s’intègre la démarche, la ville de Salins ait emprunté les pistes les plus pertinentes vers son renouveau.
(1) L’équipe de recherche pluridisciplinaire adossée à la MSHE Ledoux est composée de Christian Guinchard et Sophie Némoz, sociologues (Laboratoire LASA), Alexandre Moine, géographe (Laboratoire ThéMA), Cyril Masselot, spécialiste en information et communication (Laboratoire CIMEOS), tous enseignants à l’université de Franche-Comté, et de Laure Nuninger, chargée de recherche CNRS en archéologie spatiale (Laboratoire Chrono-Environnement)
Si elle n’habite pas Salins même, mais un petit village situé à côté, Raymonde Kiene connaît parfaitement la ville où elle a enseigné pendant quarante ans au lycée, et où elle s’implique depuis de nombreuses années dans une troupe de théâtre amateur. Elle ne peut que constater et regretter le déclin de la cité jurassienne. « En dehors des thermes, de l’hôpital et du lycée, il ne reste plus grand-chose. La ville n’a plus rien à voir avec le Salins de mon enfance. » Pourtant l’ex-enseignante note les efforts consentis et les initiatives prises : « Les commerçants essaient de bouger et au niveau culturel, les animations et les fêtes sont un peu plus nombreuses depuis quelque temps ». Le travail réalisé par les chercheurs lui paraît d’un grand intérêt, tout comme l’idée d’impliquer les habitants à la réflexion ; elle a d’ailleurs accepté de s’investir dans le groupe « cheminements ». « Mais aujourd’hui l’enthousiasme est un peu retombé, les gens attendent du concret et on ne sait pas ce que les pistes développées avec l’équipe de chercheurs vont donner. Nous espérons vivement que le travail réalisé, les réflexions et avis partagés seront pris en considération dans le projet municipal. »
Contacts :
Christian Guinchard – Laboratoire de sociologie et d’anthropologie (LASA) – Université de Franche-Comté
Alexandre Moine – Laboratoire ThéMA – UFC / UB / CNRS
Tél. +33 (0)3 81 66 54 96