Dans les années 1970, une canine d’enfant âgé de 5 à 7 ans est découverte à Vergranne, dans le Doubs. Datée entre -500 000 et -420 000 ans, elle est une trace de l’occupation du territoire par Homo heidelbergensis, l’ancêtre de l’homme de Néandertal, et l’un des témoignages les plus anciens de la présence de l’homme en France.
Cette dent minuscule, arrivée de la préhistoire jusqu’à nous, marque comme un symbole le début de l’ouvrage Histoire(s) de Bourgogne – Franche-Comté. Un demi-million d’années d’histoire ne sauraient être condensées dans un livre, même de près de quatre cents pages, même richement illustré. C’est pourquoi les auteurs ont choisi de les évoquer par petites touches chronologiques, composant ainsi une vue d’ensemble saisissante. Plus de cent spécialistes de diverses disciplines ont réalisé cette fresque historique sous la direction de Philippe Barral, enseignant-chercheur en archéologie à l’université Marie et Louis Pasteur, ancien directeur de la MSHE, et de Thomas Charenton, conservateur en chef du patrimoine à la Région Bourgogne-Franche-Comté.
Temps forts et petites histoires se mêlent au fil des pages de cet ouvrage scindé en six grands chapitres, correspondant chacun à une période : la Préhistoire et la Protohistoire, courant jusqu’à la bataille d’Alésia, en -52 ; l’Antiquité ensuite, jusqu’à 476, date de la chute de l’empire romain d’Occident ; le Moyen Âge, couvrant la période suivante jusqu’en 1492 et la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb ; l’époque moderne, arrêtée à la Révolution française ; l’époque contemporaine, inscrite entre 1789 et la fin de la Seconde Guerre mondiale ; le temps présent, de 1945 à nos jours. Agencement du territoire, économie, politique, religion, architecture, culture…, les différentes facettes des activités humaines et de l’évolution des sociétés prennent place en toute liberté à l’intérieur de ce cadre posé de manière classique.
De l’installation des premiers hommes en -500 000 jusqu’à la célèbre bataille d’Alésia en -52, qui voit Vercingétorix rendre les armes devant César, de nombreuses traces rendent compte de l’occupation précoce d’un territoire situé de façon privilégiée entre bassin parisien, vallée du Rhône et axe rhénan. Les trois siècles suivant l’intégration de la Gaule à l’Empire romain sont une période d’essor économique, sur fond de romanisation progressive des peuples gaulois, émaillée de luttes fratricides.
En mai 68 (!), Vesontio (Besançon), géographiquement coincée entre les peuples fidèles à Néron et ceux s’opposant à son administration, est le lieu d’une bataille qui aurait fait 20 000 morts selon les écrits de Plutarque. En 350, le général Magnence s’autoproclame empereur à Autun (71) alors qu’il est de passage avec son armée, une insubordination qui le rend maître d’une partie de l’Occident romain pendant trois ans que les manuels d’histoire ont oubliés. Longtemps capitale des Éduens, Autun représente quant à elle l’un des témoignages les plus documentés de cette période.
Le IVe siècle est marqué par l’avènement du christianisme en Gaule. Quelques siècles plus tard sont fondées les abbayes de Cluny (71) et de Citeaux (21), respectivement en 910 et 1098 ; elles donnent naissance à des ordres religieux qui rayonnent dans toute l’Europe.
Leurs bâtiments font partie de l’important patrimoine architectural témoignant de l’occupation humaine de la région à travers les siècles.
Les vestiges très bien conservés des villages lacustres de Chalain et de Clairvaux (39) procurent de formidables informations sur l’organisation de l’habitat au Néolithique. La Porte noire de Besançon, érigée vers 180, est un arc de triomphe pour lequel plusieurs explications sont toujours en lice. Le théâtre de Mandeure (25) s’affirme comme le plus grand de la Gaule romaine. La Saline d’Arc-et-Senans, en 1774, imprime de façon inédite un style artistique à des bâtiments à vocation industrielle, selon des plans qu’un aménagement paysager parachèvera en 2022.
L’artisanat et l’industrie laissent de nombreuses traces racontant l’évolution des activités productives de la région.
Épées, pointes de lances et autres vestiges du registre guerrier trouvés dans la Saône sont des exemples du travail de la métallurgie du bronze, attestée dans toute l’Europe de -2300 à -850. La sidérurgie, instaurée dès l’Antiquité, se développe dans des milliers d’ateliers de production du fer, cela jusqu’à l’époque moderne et après avoir bénéficié des innovations du Moyen Âge. L’exploitation du gisement de charbon découvert au Creusot commence à partir de 1768 et durera plus de cent ans, avant que la mine soit progressivement abandonnée, la fermeture du dernier puits datant de 1943. L’installation précoce des premiers faïenciers à Nevers, en 1588, amènera à l’ouverture de 58 fabriques de faïence dans la région. En 1793, la manufacture d’horlogerie nationale ouvre ses portes à Besançon et connaît de sombres années, dans un contexte marqué par l’hostilité de la population vis-à-vis des ouvriers suisses embauchés.
Dans le Nord Franche-Comté, à la fin du XIXe siècle, Peugeot se lance dans des activités aussi diverses que la meunerie, les crinolines, l’outillage et les cycles, avant de produire sa première voiture à moteur à essence en 1890, et de remporter la course mythique d’Indianapolis en 1913 avec son modèle L76. En 1972, Alsthom Belfort met sur les rails sa première motrice TGV et en 1973, SEB devient un groupe industriel. Les ressources naturelles servent bien sûr aussi les activités économiques. Si de nombreuses salines ont exploité « l’or blanc » au XVIIIe siècle, les sources salées du massif jurassien sont mises en valeur dès le Néolithique. Comptant parmi les richesses du territoire, les vignes de Saône-et-Loire, de Côte d’Or et du Jura sont tour à tour ravagées par le phylloxéra au cours des décennies 1870 et 1880, provoquant un bouleversement phénoménal à la fois pour le paysage et dans la société.
Au chapitre des fléaux, la peste noire jette une ombre tragique sur la fin du Moyen Âge. Le registre paroissial de Givry (71), le plus ancien document de ce genre en France, rend compte de l’importance de l’épidémie : s’il fait état de 43 morts, au plus, par an, avant l’arrivée de la peste en 1348, 649 décès sont enregistrés lors de cette sombre année. Un siècle plus tard sont édifiés les hospices de Beaune (21), placés sous la protection du pape. Consacrés aux soins des malades, ils fonctionnent de 1452 à 1971, date à laquelle ils sont transformés en musée.
Les lieux et les édifices parlent de la vie politique, culturelle et artistique de la région, et des personnalités très diverses qui l’ont animée. L’ébéniste et architecte Hugues Sambin, né vers 1518 à Gray (70), a légué les témoignages de son art à Besançon et à Dijon. « Le banquet des Girondins », donné en 1847 en l’honneur d’Alphonse de Lamartine (1790-1869), est à nouveau célébré par une mosaïque murale immense, inaugurée en 1983 à Macon (71), la ville natale du poète et homme politique. Gustave Courbet (1819-1877) n’a cessé de s’inspirer de sa région pour produire des toiles d’un réalisme souvent critiqué, comme son fameux Enterrement à Ornans (25). Originaire de Chalon-sur-Saône (71), Nicéphore Niépce invente en 1824 la photographie, image instantanée qui sera relayée par le mouvement filmé par les frères Lumière, nés à Besançon et pionniers du cinéma.
La musique résonne aussi sur le territoire, comme le son des Eurockéennes de Belfort (90) depuis 1989, qui donne une nouvelle identité à la ville industrielle. Le sport n’est pas en reste. En 1996, l’AJA Auxerre (89) remporte la coupe et le championnat de France de football, un doublé inédit pour une ville de moins de 40 000 habitants, qui fait entrer le club dans la légende. En 2014, c’est à la Planche des Belles Filles (70) de rejoindre la cour des grands : la station de ski vosgienne deviendra une étape emblématique du Tour de France…
Avec le passage de cette ligne d’arrivée peut se refermer la course folle à travers le temps en Bourgogne – Franche-Comté.
Une longue histoire à parcourir dans un ouvrage hors norme, et qui chaque jour continue de s’écrire.