Si la formule populaire soutient qu’en général, « on n’est pas à une seconde près », pour la science la réalité est tout autre. En 1967, la définition de la seconde change, la façon de mesurer cette unité de temps aussi : à partir de cette date, le temps sera délivré par des horloges atomiques, et non plus déterminé par le mouvement des astres. La seconde pourrait aujourd’hui se voir redéfinie en raison de nouveaux développements technologiques.
Les horloges atomiques font preuve d’une stabilité de fréquence incroyable, puisqu’elle se mesure aujourd’hui à 16 chiffres après la virgule, ne dérivant que d’une seconde tous les 30 millions d’années. C’est amplement suffisant pour être à l’heure chaque jour. En réalité, c’est indispensable pour la science et pour les nombreuses applications du quotidien qu’elle met en œuvre.
L’exemple le plus parlant et qui concerne le plus grand nombre est celui de la géolocalisation : la durée de propagation d’ondes électromagnétiques échangées entre un réseau de satellites et la Terre, mesurée par triangulation par des horloges atomiques embarquées et d’autres placées au sol, est convertie en distance. Seule une très grande exactitude de la mesure du temps indiquée par les horloges permet une localisation sur Terre des plus précises : une microseconde d’erreur dans la mesure de la propagation des ondes représente une erreur de positionnement de 300 m au sol.
Le cœur des horloges atomiques – un oscillateur à quartz – bat au diapason d’oscillations d’atomes de césium qui l’empêchent de s’emballer ou de ralentir. C’est le cas de la majorité des horloges.
Aujourd’hui cependant, une nouvelle génération d’horloges, recourant à des principes optiques, permet de faire passer la stabilité de l’oscillateur à quartz de 10-16 à 10-18. Une dizaine de modèles de ces horloges optiques sont aujourd’hui opérationnelles. Elles fonctionnent sur la base d’oscillations de strontium, d’ytterbium ou d’autres atomes encore, qui contrôlent et ajustent toujours plus rapidement la fréquence du signal généré par l’oscillateur à quartz, et rendent la mesure du temps d’autant plus exacte.
Redéfinir l’unité de mesure qu’est la seconde à l’aune des performances des horloges optiques apparaît une conséquence logique à cette évolution technologique.
Directeur-adjoint du laboratoire Temps-fréquence de l’université de Neuchâtel, Gaetano Mileti est l’un des experts chargés d’instruire le dossier de la redéfinition de la seconde auprès du Bureau international des poids et mesures (BIPM): « Plusieurs scénarios sont possibles, car tous les pays ne disposent pas d’horloges optiques, ou pas tous des mêmes. Nous devons trouver le meilleur consensus pour harmoniser les contributions des nombreux pays participant à la détermination du temps atomique ».
L’une des possibilités consiste à établir une moyenne du temps fourni par plusieurs types d’horloges, comme c’est le cas actuellement ; la moyenne pourrait être pondérée par un poids plus important de l’horloge présentant les meilleures performances. « Cette solution permettrait de redéfinir la seconde de manière plus exacte qu’aujourd’hui, tout en récompensant les efforts fournis par les équipes de recherche à travers le monde, dont les travaux portent sur différentes versions d’horloges atomiques. »
Sur la base de différents critères d’ordre scientifique, les spécialistes du temps pourraient proposer la solution qu’ils jugent la meilleure lors de la prochaine conférence générale du BIPM, qui aura lieu en 2026, pour une redéfinition de la seconde à l’horizon 2030.
À la suite de l’introduction de l’heure atomique en 1967, un écart minime, mais réel, est devenu possible entre l’heure légale et le temps astronomique. Lorsque la mesure physique a pris le relais de l’observation du mouvement des astres pour mesurer le temps, les horloges au césium ont donné naissance au Temps atomique international (TAI), garant d’une mesure du temps stable, mais déconnectée de la rotation de la Terre. Le temps astronomique existe toujours en parallèle, c’est le Temps universel (TU). Le Temps universel coordonné (UTC), qui est celui que le monde entier utilise, est une échelle comprise entre les deux : il a la stabilité du TAI, mais reste connecté à la rotation de la Terre. Afin qu’il reste en phase le plus possible avec le Temps universel, on le modifie d’une seconde, dite intercalaire, lorsque l’évolution de la rotation de la Terre rend nécessaire ce réajustement.
« La vitesse de rotation de la Terre varie en fonction de phénomènes qui parfois s’opposent », souligne Gaetano Mileti. Elle s’est accélérée au cours des dernières décennies, au point qu’au lieu d’ajouter une seconde intercalaire, il pourrait être question d’en enlever. Mais cette accélération est aujourd’hui remise en cause par la fonte des pôles, qui déplace des masses d’eau en les éloignant des latitudes extrêmes de la planète. D’autres événements, comme des mouvements sismologiques ou tectoniques impossibles à prévoir, pourraient aussi affecter la vitesse de rotation de la Terre, dans un sens ou dans l’autre…
Depuis 1967, 27 secondes intercalaires ont été ajoutées au Temps universel coordonné. Si une seconde de plus dans une journée ne bouscule pas franchement le quotidien, c’est un problème de taille à gérer pour la multitude d’appareils et d’instruments dont le fonctionnement est calqué sur l’hyperprécision du temps. Devant les difficultés rencontrées, la communauté internationale a décidé en 2022 de supprimer la seconde intercalaire. Là encore, les spécialistes auront à se prononcer. « La question de fond est de savoir quelle différence on va tolérer entre l’échelle UTC et le Temps universel. »
Si la décision de principe d’une suppression de la seconde intercalaire est bien actée, elle reste pour l’instant suspendue à l’adoption éventuelle d’un scénario de remplacement capable de faire consensus autour de ces questions, et d’une date pour sa mise en œuvre.
C’est un fait qui découle de la loi de la relativité : le temps ne s’écoule pas à la même vitesse sur la Lune et sur la Terre. Sur la Lune, moins massive que la Terre, il va un peu plus vite, à raison de 56 millionièmes de seconde par jour. Le temps lunaire ne peut donc physiquement être jaugé avec les horloges atomiques mesurant le temps terrestre.
Élaborer un temps lunaire devient cependant aujourd’hui une nécessité : plusieurs missions habitées en direction du satellite naturel de la Terre se préparent à court terme depuis les États-Unis, l’Europe, la Chine et l’Inde pour répondre à de nouveaux enjeux scientifiques, plus de cinquante ans après les premiers pas de l’homme sur la Lune.
« Le temps lunaire permettrait aux astronautes de se géolocaliser, de communiquer entre eux et de coordonner leurs actions. Le concept pourrait mettre en jeu des horloges spatiales et une horloge de référence placée à la surface de la Lune, selon un principe assez similaire à celui prévalant entre le réseau satellitaire et terrestre d’horloges atomiques. »
Concerné par le projet à titre d’expert, Gaetano Mileti l’est aussi avec son équipe du Temps-fréquence à Neuchâtel, dont les dernières horloges atomiques miniatures ont l’exactitude et la stabilité requises pour l’élaboration du temps lunaire, dans des volumes de quelques centimètres cubes peu gourmands en énergie et commodes à embarquer pour un voyage sur la Lune.