Université de Franche-Comté

Dynamiques chaotiques appliquées à la cryptographie


Chaos et information, rapprochement de deux théories vers la cryptographie. Le chaos, ou plus pompeusement le comportement chaotique de systèmes dynamiques non linéaires, est souvent considéré comme un phénomène indésirable. L'idée d'utiliser de tels comportements à des fins de sécurisation de l'information est récente (1990) et peut sembler étonnante. Pourtant, la théorie du chaos et celle de l'information font toutes deux appel à des notions communes telles que l'imprévisibilité, la nature statistique, l'utilisation de grandeurs comme l'entropie, ou encore le phénomène d'étalement spectral. Ce dernier point commun permet d'ailleurs d'illustrer dans le domaine des fréquences le principe de masquage utilisé pour crypter l'information : le spectre d'une information est brouillé ou masqué par le spectre d'un signal chaotique d'amplitude beaucoup plus forte, et d'étalement spectral au moins aussi grand. L'opération de décodage utilise, quant à elle, une des différences fondamentales entre chaos et information : le déterminisme. Celui-ci, associé à un procédé de synchronisation*, permet de générer à la réception exactement le même spectre chaotique que celui qui a permis le masquage : l'information d'origine peut alors être restituée par soustraction du chaos synchronisé.
• De la génération de chaos au décodage de signaux chaotiques. L'émetteur (Alice) et le récepteur (Bob) sont reliés par le canal de transmission, ici une fibre optique.


Dynamiques chaotiques

L'émetteur est constitué d'un générateur de signal chaotique et d'un mélangeur entre ce signal et le message. Le résultat du mélange est envoyé sur le canal. Une personne accédant à ce canal pour pirater la liaison (Eve) aura donc accès à un signal pseudo-aléatoire dans lequel est masquée l'information. Côté récepteur, un générateur local de chaos est couplé au signal reçu et au système de synchronisation pour extraire l'information.
La clé du système cryptographique réside dans les nombreux paramètres permettant de définir le déterminisme de la dynamique chaotique. Il s'agit donc d'un système cryptographique à clé secrète. Les premiers essais de cryptographie par chaos étaient basés sur des circuits électroniques qui n'étaient capables de produire que des chaos de faible complexité**, ce qui limitait le degré de confidentialité du système de cryptage. Une des originalités des travaux effectués au laboratoire d'Optique P. M. Duffieux de l'université de Franche-Comté, a consisté en la mise au point d'un générateur de chaos décrit théoriquement par un tout autre type de dynamique, celui des équations différentielles non linéaires à retard. Ces systèmes possèdent une description mathématique simple (correspondant à un système physique réalisable et maîtrisable expérimentalement), mais admettent des solutions dont la complexité  peut être très grande (espace des phases infini et dimension d'attracteurs chaotiques typiquement supérieure à 100).

Grâce à ces dynamiques non linéaires à retard, il a été possible d'utiliser des signaux chaotiques (donc déterministes), très difficilement discernables d'un vrai bruit aléatoire. Typiquement, la statistique de la variable dynamique est proche de celle d'une variable aléatoire gaussienne, son spectre en fréquence ressemble à celui d'un bruit blanc, et sa fonction d'auto-corrélation présente un pic très étroit, ce qui constitue aussi la signature d'un processus réellement aléatoire. Enfin, le modèle de base du générateur de chaos est tellement simple qu'il est facile, si nécessaire, de compliquer un peu plus encore le comportement chaotique, et d'améliorer ainsi le niveau de confidentialité !
Codage et décodage. Le principe de synchronisation utilisé ensuite au récepteur pour parvenir au décryptage, est relativement simple : il s'agit de dupliquer la dynamique non linéaire à retard de l'émetteur (la clé  secrète Ÿ du principe de codage), de manière à réaliser au niveau du récepteur le même processus dynamique déterministe. On montre alors que, très rapidement, le chaos du récepteur converge vers celui de l'émetteur, au message près. Il suffit ensuite de soustraire le signal généré localement (chaos synchronisé) au  signal reçu (chaos émetteur + message) pour récupérer le message.


Récupération message

Techniquement, le système cryptographique par chaos construit par l'équipe a la particularité d'utiliser une variable dynamique originale, la longueur d'onde (ou encore la couleur) d'une diode laser accordable, celle-ci fluctuant de manière chaotique dans le temps.
• Recherches actuelles et perspectives de la cryptographie par chaos. De nombreux démonstrateurs ont dès à présent été reportés par diverses équipes à travers le monde. Certains ont déjà vu leur système cryptographique brisé, principalement à cause de l'utilisation de dynamiques chaotiques de faible dimension. Le système mis au point au laboratoire d'Optique P. M. Duffieux résiste encore, même dans sa forme la plus simple présentée ici. Les travaux actuels portent évidemment sur la crypto-analyse pour mettre en évidence les points faibles du montage, et pour pouvoir ensuite le renforcer par des petites modifications. Des variantes sont également explorées dans le but de créer progressivement des systèmes optoélectroniques directement utilisables par les moyens de transmission actuels (réseaux de fibres optiques installés). Un générateur de chaos large bande (plusieurs GHz) en intensité optique est quasiment achevé, cette variable physique étant en effet plus adaptée aux télécommunications optiques courantes. Un autre système, qui génère un signal à variation chaotique de la fréquence électronique, a également été développé au laboratoire dans le contexte des télécommunications hertziennes (téléphones mobiles par exemple). Des schémas de modulation numérique ont également été explorés, tels que le CSK — Chaos Shift Keying.

* Cette synchronisation peut être vue comme un moyen surprenant de maîtriser une des propriétés déroutantes des systèmes chaotiques, la sensibilité aux conditions initiales : deux systèmes chaotiques identiques soumis à des conditions initiales infiniment proches ont une tendance naturelle à se comporter rapidement de manière complètement décorrélée.
 

** Dynamiques de type Lorenz, fondées sur des équations différentielles ordinaires non linéaires, dont la dimension d'attracteur chaotique est inférieure à 3.

 

Laurent Larger
Laboratoire d'Optique P.M. Duffieux
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 64 68
laurent.larger@univ-fcomte.fr

 

 

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