Université de Franche-Comté

Durabilité(s)
[Dossier]

Plantes, arbres et coopérations en tous genres

Un vaccin pour les plantes ?

Les plantes savent se défendre ! Sous la menace, il se déclenche chez elles une suite d’événements biochimiques qui activent leur résistance. Pour lutter contre un ravageur par exemple, certaines de leurs molécules défensives retardent la progression de l’agent pathogène dans leurs tissus, d’autres exercent sur lui une fonction antimicrobienne.

Photo Freepik

La connaissance des mécanismes biochimiques prévalant chez les plantes, qui s’est remarquablement développée au cours de soixante années de recherches à travers le monde, a permis de mettre au point des molécules capables de renforcer les défenses innées des végétaux. Ces produits commerciaux, élaborés à base de substances naturelles comme le chitosane ou l’algue brune, bien connus en agriculture biologique, agissent comme un « vaccin » : en exposant les plantes à des virus, bactéries ou champignons pathogènes, ils stimulent leur « système immunitaire » pour qu’il soit plus prompt à réagir et se montre plus efficace en cas de nouvelle agression.

« Car les plantes, non seulement savent se défendre par elles-mêmes, mais en gardent aussi la mémoire » : ce constat fascinant a guidé toute la recherche en biologie moléculaire de Brigitte Mauch-Mani1. « Ce qu’on appelle « la résistance induite » des plantes se développe au plus proche de ce que la nature ferait. Son intérêt est validé scientifiquement, confirmé dans les essais réalisés pour l’agriculture, mais son utilisation reste encore marginale », rapporte la biologiste, pour qui cette stratégie apparaît essentielle à la transition vers une protection des cultures et un approvisionnement alimentaire véritablement durables.
« Cependant, le besoin est urgent d’une meilleure communication entre la recherche, axée sur la découverte, et les autres parties prenantes, qui possèdent l’expertise nécessaire pour traduire les découvertes en applications. »

Brigitte Mauch-Mani expose aussi les limites de la stratégie, qui, si elle permet de réduire de façon notable l’emploi de pesticides, ne saurait s’y substituer totalement. « La résistance induite n’est pas une solution à tous les problèmes. Elle doit être envisagée en combinaison avec d’autres méthodes, comme la lutte intégrée, qui a recours de façon raisonnée à la chimie de synthèse. »

La résistance induite fait la preuve de son efficacité en plein champ, sur différentes productions comme le blé, le maïs ou la tomate ; la Suède l’a adoptée pour prémunir les pommes de terre des ravageurs.
Outre son efficacité pour protéger les cultures, elle joue un rôle bénéfique sur la qualité nutritionnelle des aliments. Les recherches autour de cette stratégie se poursuivent pour toujours mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la résistance des plantes. Elles s’orientent aujourd’hui notamment vers les apports de l’épigénétique, qui étudie l’impact de facteurs environnementaux sur l’expression des gènes.

1Aujourd’hui professeure honoraire de l’uni­versité de Neuchâtel, Brigitte Mauch-Mani est l’autrice principale d’un dossier édité par la prestigieuse revue Frontiers in Science en octobre 2024, auquel ont participé d’autres spécialistes à l’international, et qui établit le bilan des recherches menées sur les dernières décennies autour de la résistance induite des plantes.

 

La milpa, un modèle d’agriculture durable fondé sur les interactions entre plantes

Exemple de milpa

Maïs, haricot et courge : c’est le trio gagnant de la milpa, une pratique agricole traditionnelle en cours depuis des siècles au Mexique et en Amérique centrale. Ce système ingénieux repose sur la complémentarité des plantes : en grandissant, le maïs fournit un tuteur naturel au haricot grimpant, lequel apporte des bactéries facilitant l’accès des plantes à l’azote, et les feuilles de la courge couvrent le sol, limitant l’évaporation de l’eau et la croissance des mauvaises herbes.
À l’université de Neuchâtel, la biologiste Betty Benrey croit fermement que les principes de la milpa peuvent être intégrés à l’agriculture moderne pour la rendre plus durable. Elle s’est rendue au Mexique avec son équipe pour étudier in situ les mécanismes et les impacts de cette pratique sur la biodiversité.

Les résultats confirment de manière incontestable son intérêt pour la diversité notamment des arthropodes, ces « animaux articulés » comptant entre autres dans leurs rangs les mille-pattes, les araignées, les crustacés et tous les insectes. Une bonne nouvelle, car si ce sont les arthropodes qui englobent le plus grand nombre d’espèces et d’individus du règne animal, ils sont en nette régression depuis une quinzaine d’années, comme les carabes, ces insectes à la carapace d’aspect métallique et très colorée, précieux pour lutter contre de nombreux ravageurs des cultures.

Au-delà de la diversité des plantes, c’est surtout la synergie entre elles qui fait la force de la milpa. La recherche a mis en évidence un phénomène de résistance associative, où la présence d’une plante protège indirectement sa voisine. Par exemple, le haricot produit un nectar en dehors de ses fleurs, dont se nourrissent des guêpes parasitoïdes capables de tuer les chenilles qui attaquent le maïs. Plus étonnant encore : un maïs attaqué par des insectes envoie des signaux chimiques qui incitent le haricot voisin à produire davantage de nectar pour attirer ces guêpes protectrices. Un bel exemple de savoir écolo­gique traditionnel, aujourd’hui éclairé par la recherche scien­tifique, qui ouvre des perspectives prometteuses pour concevoir des systèmes agricoles plus durables et plus résilients face aux défis environnementaux actuels.

 

La forêt, tout un écosystème

Photo Siggy Nowak – Pixabay

Comment lutter contre le dépérissement des forêts ? Le plus sage serait de ne rien faire, la forêt faisant preuve d’un potentiel de résilience que nulle intervention humaine ne saurait concurrencer. Mais c’est sur le long terme que s’envisagent de telles capacités d’adaptation, une échelle de temps qui n’est pas compatible avec les impératifs de gestion qu’impose l’exploitation de la forêt pour les besoins de l’homme. Le concept de « forêt durable » se confond dès lors avec celui de « forêt rentable ». Puisqu’il est nécessaire d’intervenir pour que la forêt puisse continuer à rendre ses services à l’homme à court terme, au moins faut-il le faire le mieux possible, en prenant en considération son écosystème tout entier.

Un arbre ne fonctionne pas seul. Il est bien sûr en interaction avec le sol, la pluie ou le soleil qui le nourrissent. Mais il est aussi intimement lié au vivant qui l’entoure : arbres, plantes, mousses, champignons, insectes, oiseaux… tissent des relations souvent invisibles et insoupçonnées. Dès lors, qui peut dire si le geai des chênes, qui dissémine des glands et favorise ainsi la naissance de jeunes pousses, remplirait le même rôle avec d’autres variétés de chênes que celles avec lesquelles il entretient depuis si longtemps une relation mutualiste ? Comment ignorer que depuis 2008, la chalarose fait mourir les frênes des forêts comtoises parce qu’ils ne sont génétiquement pas armés pour se défendre contre un champignon pathogène inconnu d’eux, et qui a été importé en même temps que des plants de frênes d’Europe de l’Est ? Et si les scolytes se sont multipliés en raison de sécheresses répétées, comment ne pas voir que ces insectes xylophages sont particulièrement redoutables pour les plantations d’épicéas qui cochent deux mauvaises cases : monoculture et basse altitude ?

Photo ymyphoto -Pixabay

C’est en prenant la mesure des caractéristiques et des équilibres prévalant dans son écosystème qu’on peut espérer protéger au mieux la forêt. Cette vision globale guide, de façon inédite en France, la démarche de l’Observatoire des forêts comtoises. Mis en place au tout début de la décennie 2020 pour fédérer les recherches menées à Chrono-environnement et à THéMA (voir l’article Forêts sentinelles comtoises paru dans le journal en direct n°308 septembre-octobre 2023), l’observatoire continue à se construire en agrégeant des travaux de différentes disciplines, en collaboration avec d’autres laboratoires, dont l’Institut FEMTO-ST, le LASA et UTINAM. Il concerne plusieurs niveaux d’analyse et d’échelles spatiales, de l’arbre au massif forestier en passant par des placettes d’observation, pour mieux cerner le fonctionnement de la forêt et faire le bilan de son dépérissement.

« Les instruments mis en place et les observations réalisées sur le terrain permettent de mesurer finement les conditions météorologiques et leurs impacts, de témoigner de l’évolution des paysages et de celle de la biodiversité au fil du temps », explique la responsable de l’observatoire, Carole Bégeot.
Analyse des micro-organismes présents dans le sol et des champignons mycorhiziens, relevés de température sous couvert forestier, évolution des populations d’insectes et d’oiseaux, analyses génétiques et mesures de croissance des arbres…, le suivi de nombreux paramètres et la compilation des informations permettent d’évaluer l’influence du bouleversement climatique comme celle des politiques forestières sur les capacités de résilience de la forêt.

 

Enseignements d’un lointain passé

Dans les travaux en paléoécologie qu’elle mène au laboratoire Chrono-environnement, Carole Bégeot cherche à mettre en évidence les impacts d’épisodes de sécheresse sur les écosystèmes forestiers, un recul de plusieurs millénaires sur la réponse des forêts au stress hydrique. Avec son équipe, elle assure actuellement un recueil de données dans des lacs jurassiens, qui donneront lieu à analyse et interprétation. « Les sédiments lacustres contiennent des brins d’ADN dont on peut aujourd’hui déterminer à quels organismes ils appartenaient, comme les insectes. C’est ainsi qu’on cherche à observer, par exemple, si la prolifération des scolytes est systématiquement liée aux périodes de sécheresse. »

Photo jcomp – Freepik

Des études antérieures sur les pollens d’arbres, très nombreux dans les sédiments, ont montré qu’en dehors des périodes de glaciation, il y a toujours eu un couvert forestier sur la région, attestant des capacités d’adaptation de la forêt. Elles remettent en question certaines idées reçues. Ces études révèlent, par exemple, que le hêtre était une essence partout très présente ; elles montrent aussi qu’en Méditerranée, c’est son intense exploitation par l’homme, autant que la chaleur, qui pourrait expliquer sa disparition.

Les données mises au jour sur plusieurs millénaires par l’analyse des sédiments lacustres, sur les derniers siècles par le biais des archives documentaires, enfin sur la période actuelle grâce aux observations et mesures de terrain se combinent avec intérêt. Elles fournissent de précieuses informations sur la distribution naturelle des essences forestières, la caractérisation génétique des espèces, les interactions du vivant dans l’écosystème forestier, et la mesure de l’influence des changements climatiques et des activités humaines. Ces connaissances-clés peuvent aider à guider les stratégies publiques de reboisement pour une forêt la plus durable possible, pour elle-même comme pour l’homme.

 

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