Université de Franche-Comté

Durabilité(s)
[Dossier]

Des matières et des hommes

Le lin, matière millénaire pour des matériaux d’avenir

Photo Annette Meyer – Pixabay

Le lin est l’une des premières plantes à avoir été cultivée par l’homme. Les plus anciennes traces de fibres torsadées et teintées, datant de plus de 30 000 ans et découvertes dans une grotte en Géorgie, seraient apparentées à du lin. Des graines de la plante, mises au jour au cœur du Croissant fertile, sont attestées à plus de 10 000 ans. Depuis ces lointaines origines, l’histoire de l’humanité est truffée de références à l’emploi des fibres et des graines issues du lin, qui se positionne aujourd’hui comme un matériau durable, et toujours à usages multiples.

Les graines de lin, transformées en huile pour la consommation humaine et animale, proviennent d’une variété à tiges de 30 à 40 cm de hauteur, dont les pailles sont laissées sur pied, souvent brûlées au sol. Dans un projet financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et débuté en janvier dernier, des chercheurs de l’Institut FEMTO-ST étudient la possibilité de valoriser les pailles issues de la production de lin oléagineux, pour la fabrication de matériaux composites.

Recours à une ressource renouvelable, valorisation de déchets, limitation de l’émission de gaz à effet de serre : c’est à plus d’un titre que l’idée s’inscrit dans une démarche de durabilité.

« Le projet TREC intervient dans un contexte de demande de fibres végétales pour le textile en forte augmentation, qui a vu les prix du lin tripler sur le marché mondial en cinq ans », raconte Vincent Placet, pilote du projet à FEMTO-ST. « Les fibres extraites des pailles du lin oléagineux sont d’un coût largement inférieur et les résidus de production sont essentiellement utilisés pour des applications à faible valeur ajoutée, comme le paillage ou l’isolation. » D’où l’intention d’ajouter le lin oléagineux à la gamme des matières naturelles utilisables pour des applications techniques, et notamment la mise au point de matériaux composites, un fer de lance des recherches menées au département Mécanique appliquée.

Photo Annette Meyer – Pixabay

L’objectif poursuivi par les chercheurs impliqués dans le projet est d’améliorer la résistance mécanique des fibres, directement impactée par les défauts qui peuvent apparaître dans la structure du lin lors des différentes étapes de culture et de transformation de la plante. La caractérisation de ces défauts et la modélisation qui permet d’en prévoir l’évolution font partie des spécialités de l’équipe FEMTO-ST.

Leurs collaborateurs étudient, quant à eux, les conditions de culture de la plante et de son exploitation. « En Franche-Comté, où les exploitations sont modestes, la volonté est d’optimiser la qualité de la production en utilisant des moyens traditionnels pour la culture et les opérations de transformation de la plante. »

C’est avec cette sensibilité aux réalités économiques que les chercheurs, au-delà des intérêts techniques et scientifiques qui sont les leurs, participent activement à la structuration d’une filière régionale autour du lin, comme ils le font également pour le chanvre.

 

Du bois dans les machines

La forêt fournit un matériau d’un intérêt inestimable, de tout temps exploité par l’homme : le bois. À la Haute Ecole Arc, une équipe d’ingénieurs a récemment mené une recherche pour étudier la possibilité d’intégrer du bois densifié à la conception de machines. Une démarche originale, questionnant la durabilité des moyens de production (retrouvez l’article Usine miniature pour microtechniques paru dans le journal en direct n°292 janvier-février 2021).

Photo Pexels – Pixabay

Elle a été initiée par Pierino De Monte, spécialiste en conception mécanique à la HE-Arc Ingénierie. « Le granit et le marbre sont des matériaux avec lesquels nos équipes ont déjà construit des prototypes pour des équipements de production. Pourquoi pas le bois ? », s’est-il interrogé en préambule. Du bois densifié, c’est-à-dire comprimé sous l’action d’une presse, avec jusqu’à 60 % de réduction de son volume initial, provenant de résidus industriels, et susceptible de remplacer des éléments en acier ou en aluminium.

« Le bois comprimé fait preuve d’une isolation thermique supérieure à celle du métal, témoigne de facilités de fabrication et d’entretien, présente des qualités esthétiques, répond à certaines exigences de résistance mécanique. Point non négligeable également, il demande beaucoup moins d’énergie pour sa fabrication que, par exemple, celle de l’aluminium », énumère Pierino De Monte, pour qui ce matériau pourrait être utile à la réalisation de pièces mécaniques de châssis ou de bâtis, notamment pour des équipements d’assemblage automatique. « L’étude a montré l’étendue des qualités du bois densifié comme elle a confirmé nos hypothèses sur ses limites, par exemple sa variabilité à l’humidité. Sur ce point, le bois densifié pourrait cependant gagner en stabilité grâce à l’adjonction d’un polymère ou un traitement de surface. »

C’est l’une des pistes ouvertes par cette recherche menée entre la HE-Arc et l’École supérieure du bois de Bienne, initiée dans le but de réaliser une revue des caractéristiques mécaniques du bois densifié et de son comportement à l’usinage. La comparaison entre deux essences, le hêtre et l’épicéa, a vu la balance pencher en faveur du hêtre sur de nombreux critères. Les partenaires ont par ailleurs pu déterminer les opérations les plus adaptées au bois densifié, comme le fraisage, réalisé sans que le bois soit brûlé malgré l’échauffement provoqué par la rotation de l’outil de coupe.

Pour Pierino De Monte et ses collaborateurs, l’intérêt du bois densifié est réel pour la production de certaines typologies de pièces mécaniques, et son potentiel demande à être confirmé et amélioré avec de nouveaux projets : « C’est en combinant les points de vue et les compétences, ici la conception mécanique et la connaissance du bois, qu’on rend l’innovation possible. »

 

Des bâtiments pleins d’énergie

La créativité et l’ingéniosité fournissent aussi des solutions pour garantir le confort des maisons, bureaux et autres bâtiments occupés par l’homme, dans le respect de l’environnement. Il est cependant nécessaire d’étudier un maximum de paramètres et de capitaliser des connaissances pour développer ces concepts intéressants pour l’avenir.

En haut, la face avant et la face arrière du système mur Trombe instrumenté dans la maquette réalisée au département Énergie de l’Institut FEMTO-ST.
En bas, le champ de vitesse de l’air au niveau de l’ouïe haute pratiquée dans le mur, après post-traitement numérique.

C’est l’un des objectifs de l’énergétique des bâtiments, une discipline dont Yacine Ait Oumeziane a fait sa spécialité et qui se développe au département Énergie de l’Institut FEMTO-ST depuis dix ans. « Le confort est lié aux conditions de température et d’humidité, qui sont elles-mêmes dépendantes des variations de l’environnement extérieur et intérieur d’un bâtiment. Ces transferts de flux obéissent à des mécanismes physiques complexes, qu’il convient d’étudier pour faire le choix d’une conception ou d’une rénovation. » Il s’agit par exemple de comprendre les processus de captation et de libération d’eau dans un matériau, ou de régulation de son inertie thermique.

Les recherches se concentrent à la fois sur la brique, largement présente dans les constructions anciennes du Grand Est, le béton cellulaire, dont la légèreté et les propriétés isolantes sont prisées, et le béton de chanvre, matériau biosourcé à l’avenir prometteur. Elles montrent par exemple que la brique témoigne d’une capacité inattendue de transmission de la vapeur d’eau, et que le béton de chanvre fait preuve d’excellentes qualités de transfert, à la fois pour la chaleur et l’humidité. Elles attestent aussi que les propriétés isolantes et hygroscopiques du béton cellulaire pourraient être mises à profit dans un mur Trombe, ce système de chauffage passif expérimenté dans les années 1960 par le physicien qui lui a donné son nom.

Le mur Trombe, composé d’une vitre, d’un mur d’accumulation et d’un espace vide entre les deux, tire un parti positif de l’effet de serre : les rayons solaires sont piégés entre la vitre extérieure et le mur d’accumulation intérieur, teinté en noir, ce qui augmente le transfert d’énergie vers l’ambiance intérieure. La chaleur ainsi produite dans l’espace intermédiaire passe par une ouverture pratiquée en haut du mur dans la pièce d’habitation, d’où l’air refroidi revient par une ouverture percée en bas. Dans une maquette cubique de 2 m de côté qu’ils ont construite pour représenter ce système, les chercheurs soumettent à l’expérience le modèle numérique qu’ils ont mis au point pour étudier les mécanismes fluidiques en jeu. Ce dispositif est instrumenté selon des configurations très fines de capteurs, hygromètres, fluxmètres ou encore vélocimétrie par images de particules (PIV), qui permet de mesurer le champ de vitesse des flux, notamment de décrire de façon inédite le mouvement de l’air sur une surface, sans perturber son écoulement.

Les travaux de l’équipe dans laquelle travaille Yacine Ait Oumeziane donnent lieu à une meilleure connaissance des processus à l’œuvre dans les matériaux et dans l’environnement qui les entoure. Leurs avancées seront utiles à la préconisation de solutions pour la conception et rénovation de bâtiments, dans une optique durable.

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