Une énigme a longtemps tenu en haleine les historiens : alors quil y a de nombreuses sources salées dans le Jura, alors que le sel représentait une valeur marchande importante, alors quautour de certaines sources de forts regroupements dhabitats préhistoriques sont avérés, aucune trace dexploitation avant le Moyen Âge navait été retrouvée.
• Le laboratoire de Chrono-écologie de luniversité de Franche-Comté sest penché sur le problème. Jusquà présent, les exploitations de sel sur le territoire de lEurope occidentale étaient révélées par lexistence de briquetages, témoins danciens ateliers de fabrication, comprenant des fours ou des récipients en terre cuite pour la confection de pains de sel ; or, aucun briquetage na été retrouvé en Franche-Comté. Ainsi, si les sources étaient exploitées, cétait très certainement un autre mode de fabrication quil fallait rechercher. En épluchant Ÿ la littérature antique et ethnographique, des observations sur les pratiques dextraction du sel sans usage de la terre cuite ont mis la puce à loreille des chercheurs. Ils sont alors partis en expédition ethnographique en Nouvelle Guinée indonésienne pour observer les techniques traditionnelles utilisées dans les Hautes Terres de lîle. Des pains de sel durs et compacts circulent alors que ces populations papoues nutilisent pas la terre cuite. Comment ces groupes papous extraient-ils le sel de leau ? Ils utilisent des plantes très spongieuses quils font tremper dans leau de la source salée. Grâce au phénomène dosmose, cette eau pénètre dans les tissus et chasse leau douce. Au terme dune journée et demie, les plantes gorgées deau salée sont déposées sur un bûcher de 4 m x 4 m et la combustion très lente est contrôlée de près. Une nuit est nécessaire pour que soit entièrement évaporée leau et brûlée la matière organique. On retrouve alors des cendres, du charbon et les précieuses concrétions de sel qui ont épousé les pores des plantes. Celles-ci sont ensuite broyées, malaxées avec de leau salée et compactées à lintérieur dun cadre en bois posé sur de longues feuilles de pandanus qui seront rabattues et ligaturées. Les pains de sel moulés seront alors mis à sécher durant plusieurs jours au-dessus dun foyer. Ainsi, sur le site dexploitation, les seuls vestiges laissés par ce mode de fabrication sont les charbons, les cendres et le sol brûlé. Autre indice : Pline lAncien, naturaliste romain du Ier siècle après J.-C., et en quelque sorte premier grand reporter, témoigne dune pratique proche en Allemagne : Ils jettent de leau salée sur un bûcher incandescent et en tirent un produit noir quils pensent être du sel Ÿ. Longtemps cette phrase est restée mystérieuse, soulevant des controverses quant à sa traduction.
• Munis de ces deux hypothèses, les archéologues du laboratoire ont poursuivi la piste en cherchant sur, et en aval des sources salées de Franche-Comté des couches de charbons et de cendres dans les sédiments. En effet, cette technique étant très consommatrice de bois, les restes carbonisés ont dû saccumuler dans les sédiments et doivent pouvoir être décelables dans les profils sédimentaires. Après une étude de la toponymie pour localiser les petites sources comblées soit naturellement, soit au moment de la gabelle, lensemble des émergences naturelles deau salée de la région ont été sondées. Et effectivement, lanalyse des carottages fut concluante sur de nombreuses sources, tout particulièrement dans le Jura, comme par exemple à Salins-les-Bains, Lons-le-Saunier ou Grozon, où 12 m de sédiments charbonneux, datés du Néolithique au Moyen Âge, ont été relevés dans les carottes.
• Une fois ces accumulations charbonneuses analysées (charbon, pollen et sédiment) restait à déterminer la technique exacte de fabrication du sel. Utilisaient-ils une plante équivalente à celle de Nouvelle Guinée ? Les chercheurs du laboratoire de Chrono-écologie ont reconstitué des bûchers, ont fait de nombreuses tentatives avec des plantes et des bois spongieux de la région connus dès le Néolithique. Sans succès. Lhypothèse la plus probable et surtout la plus rentable est quils utilisaient de hauts bûchers laissant leau salée ruisseler le long, à limage des bâtiments de graduation*, et sévaporer lentement pour permettre la cristallisation du sel.
Olivier Weller
Laboratoire de Chrono-écologie
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 62 58
olivier.weller@univ-fcomte.fr