Université de Franche-Comté

Du manteau de la terre à la cime des arbres, les terres rares aident à comprendre le cycle des éléments


Les continents subissent en permanence des altérations chimiques ou physiques. Les étudier permet de comprendre la composition de la biosphère, l'atmosphère ou l'hydrosphère. Comment alors reconstituer les réactions et transferts chimiques qui ont eu lieu pour pouvoir retrouver l'histoire des éléments chimiques issus de la destruction de la lithosphère ? Parmi les différentes méthodes mises au point par les géochimistes, il en est une qui utilise les terres rares ou lanthanides. Ces éléments chimiques* ont tous sensiblement la même réactivité, mais se distinguent les uns par rapport aux autres par un rayon ionique qui décroît quand le nombre atomique croît. Toutes les terres rares ont une charge de 3+ à l'exception de l'europium et du cérium. L'europium existe sous la forme Eu2+ dans le manteau, en profondeur, ce qui lui permet d'être sur-représenté dans les feldspaths, constituants principaux de la croûte terrestre. Un enrichissement en europium indique ainsi la présence de feldspaths, et un fort appauvrissement de l'europium par rapport aux autres terres rares, appelé  anomalie négative en europium Ÿ, est le signe d'une dissolution du feldspath par l'eau**. La deuxième exception est le cérium qui a une charge de 3+ uniquement en milieu réducteur et qui se transforme en Ce4+ en milieu oxydant. Le Ce4+ est beaucoup moins soluble dans l'eau que les autres terres rares et un enrichissement en cérium est ainsi caractéristique des roches qui ont subi une altération chimique en milieu oxydant.
• Le laboratoire de géosciences apporte, en collaboration avec le laboratoire de biologie environnementale (LBE) de l'université de Franche-Comté et le centre de géochimie de la surface de Strasbourg, sa pierre à l'étude de l'altération de la lithosphère, en intégrant l'absorption et le rejet des terres rares par la végétation. Ce phénomène n'est que très peu étudié mais les quelques données disponibles montrent qu'il modifie largement les échanges entre lithosphère et hydrosphère.
Il devient alors important de déterminer comment le système racinaire des végétaux absorbe les terres rares. Dès lors, des biologistes doivent entrer en jeu, et qui plus est, des biologistes de terrain capables de prélever les échantillons. Le LBE, qui s'intéresse à l'absorption des éléments traces par les végétaux, s'est donc emparé de la question.

• L'étude proprement physiologique a également tout son intérêt. En effet, les premiers résultats montrent que les arbres ont un comportement sélectif vis-à-vis des terres rares : un premier tri est effectué à l'interface eau / racines, où les terres rares avec un nombre atomique proche de 57 ( légères Ÿ) sont préférentiellement absorbées. Ensuite, lors du transport à travers le tronc vers les feuilles, on observe un pic d'europium, ce qui implique des mécanismes actifs de sélection. Il s'agit donc ici de mieux comprendre le comportement physiologique de l'arbre et le rôle des lanthanides dans cette physiologie***.
• Cette étude présente un autre intérêt, qui relève davantage d'une problématique de pollution et de respect de l'environnement. Les terres rares sont de plus en plus utilisées dans de nombreux procédés et produits technologiques. Elles interviennent en médecine dans l'imagerie par résonance magnétique pour améliorer le contraste, dans les écrans cathodiques et plats pour améliorer le rendement des couleurs, dans certains aimants et supraconducteurs pour améliorer leurs performances. Dans les produits de ponçage, elles viennent aussi doper les oxydes d'aluminium pour renforcer leur rôle abrasif, et en Chine des engrais enrichis en terres rares sont utilisés depuis quelques années pour les cultures de céréales. Il est donc à prévoir une augmentation des terres rares anthropiques dans le milieu naturel. En prévention, il est primordial de comprendre la circulation et le rôle des lanthanides dans le monde végétal et leur propagation dans les réseaux trophiques.
• Le LBE et géosciences démarrent donc leur collaboration sur ce sujet, qui préfigure les thématiques qu'ils pourront aborder à l'occasion de leur regroupement, ensemble et avec le laboratoire de chrono-écologie dans la future UMR chrono-environnement.

* Ils occupent les places 57 à 71 de la classification périodique.

** L'analyse de l'eau vient confirmer cette hypothèse si l'on retrouve l'anomalie, cette fois-ci en positif.

*** D'un point de vue pratique, hêtres et épicéas sont collectés, tronçonnés, échantillonnés à différents niveaux du tronc, tant en hauteur qu'en largeur. Un protocole expérimental a été mis en place pour extraire les terres rares et les analyser. Deux sites ont été sélectionnés, l'un en majorité calcaire, dans le Jura, l'autre en majorité granitique, dans les Vosges. En effet, il semblerait que la teneur en calcaire ait à voir avec l'absorption plus ou moins importante des terres rares. 

 

 

Marc Steinmann – Pierre-Marie Badot –
Éric Lucot
Géosciences (EA 2642) / LBE
(USC INRA-EA 3184)
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 65 46 / 57 08 / 57 82
marc.steinmann@univ-fcomte.fr
pierre-marie.badot@univ-fcomte.fr
eric.lucot@univ-fcomte.fr

 

 

retour