Université de Franche-Comté

Dollar américain ou yuan chinois ? Quand la physique théorique compte les points…

Réseau du commerce international. La largeur d’un lien entre deux pays est proportionnelle au volume de produits échangés entre ces deux pays durant l’année 2016. Seuls les liens représentant plus de 10 milliards de dollars sont indiqués.

S’il règne en maître sur le commerce international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le dollar américain pourrait bien voir sa place menacée par d’autres monnaies, en particulier le yuan chinois. La reconfiguration des échanges et des liens entre les pays ces dernières années, la décision de certaines firmes d’effectuer leurs transactions en yuan et récemment le souhait formulé par le président brésilien Lula de voir les BRICS­1 créer leur propre monnaie sont autant d’indicateurs montrant l’ambition de certains à mettre un terme à la domination de la devise américaine sur les marchés mondiaux. Une tendance mise à l’épreuve des modèles mathématiques par les cher­cheurs en physique théorique de l’Institut UTINAM José Lages et Célestin Coquidé, en post-doctorat, et de l’université de Toulouse, forts de leur expérience en matière de réseaux complexes et de leur habileté à manier les algorithmes adéquats.

« Nous avons voulu voir si la structure du commerce international actuel est prête à accueillir le yuan ou une monnaie BRICS comme nouvelles devises dominantes », explique José Lages. Les chercheurs se sont basés sur les chiffres des exportations et des importations fournis par la banque de données Comtrade de l’Organisation des Nations Unies, qui recense l’échange de pas moins de 40 000 produits dans le monde, des matières premières aux machines-outils en passant par les matériaux de construction. Leurs projections sont purement mathématiques, et ne prennent aucunement en compte de quelconques considérations politiques. « À partir du modèle binaire d’Ising, selon lequel 0 correspond au dollar et 1 au yuan, on attribue une monnaie d’échange à tous les pays de manière aléatoire, hormis les deux pays de référence qui conservent chacun la sienne. Cette distribution est soumise aux algorithmes qui déterminent, en lien avec les chiffres d’import/export, si le pays a intérêt à conserver cette monnaie ou à basculer vers l’autre, pour réaliser ses échanges commerciaux. »

Distribution des préférences en 2010 et 2019 :
les pays en bleu, orange, et rouge ont structurellement plus intérêt à commercer en USD, en EUR, et en monnaie BRICS.

Les sphères d’influence ainsi dessinées pour 2019 donnent un net avantage au yuan dans l’ensemble des pays asiatiques, la Russie, l’Océanie, une grande partie du Moyen-Orient et la majorité des pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, le dollar restant prépondérant en Amérique du Nord et en Europe. « La configuration est très significativement différente de la projection réalisée pour l’année 2010. L’avantage à commercer en dollar était encore marqué pour la Russie, une grande partie de l’Afrique et la quasi-totalité du continent sud-américain. » Une redistribution complète des cartes en dix ans à peine, qui confirme la potentialité du yuan comme monnaie de référence dans le réseau des échanges internationaux.

L’inclusion de la monnaie BRICS dans le modèle montre qu’elle pourrait également capter d’autres pays que ceux « mis dans la balance » en premier lieu pour réaliser l’expérience, confirmant, comme le yuan, son potentiel d’influence. « Ces statistiques concernent la structure du réseau international d’import-export, et elle seule. D’un point de vue géopolitique, le yuan aurait à souffrir de l’opacité de la politique de la Chine et du manque de confiance en ses institutions financières pour s’imposer, mais c’est ici une toute autre histoire. » Ces recherches en physique théorique ont récemment été présentées lors d’un colloque international, où ils ont retenu l’attention des économistes. Sur la base des résultats produits, le modèle statistique devrait progresser en intégrant d’autres données, telles que la capacité d’investissement des États ou des multinationales, ou la signature de nouveaux traités commerciaux, pour une vision plus globale de l’économie mondiale.

 

 

1 Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud
Contact(s) :
Institut UTINAM
Université de Franche-Comté / CNRS
José Lages
Tél. +33 (0)3 81 66 66 67
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