Au cours des années 1970, l’effondrement du secteur horloger en Suisse se traduit par la fermeture des écoles et une chute spectaculaire de l’emploi, emportant avec lui un savoir-faire historique. Le pays ne sort pas indemne de cette épreuve : trente ans après l’amorce d’une reprise qui se confirme depuis les années 1990, la formation des horlogers est toujours un défi.
La Suisse manque de main d’œuvre et certaines compétences métier font défaut. Emboîtage, réglage, polissage…, les tâches de fabrication spécialisées, et parfois exigeantes, ne font plus beaucoup recette auprès des jeunes. Devenir un horloger complet, capable de tout connaître d’une montre et d’intervenir à toutes les étapes de sa fabrication ou de sa réparation, est un rêve difficile à réaliser, qui requiert une formation de quatre ans, souvent abandonnée en cours de route.
Adapter l’offre de formation, la rendre plus attractive, sont des enjeux auxquels s’efforcent de répondre les marques horlogères. À la Haute Ecole de gestion Arc, Armand Brice Kouadio et ses adjointes scientifiques, Maria Bashutkina et Natasa Vukasinovic, souhaitent les aider dans cette ambition. L’équipe propose des solutions de formation innovantes, sur la base d’une enquête¹ menée auprès de grands groupes horlogers, d’entreprises de sous-traitance et d’instituts de formation. « L’objectif est d’attirer un public jeune, qui d’emblée ne s’intéresserait guère aux métiers de l’horlogerie, par le biais du numérique, un monde qui, lui, leur parle davantage », explique ce professeur de gestion des ressources humaines.
L’idée d’un jeu sérieux comme support de formation est retenue par l’équipe. Innovation ou utopie ? Les résultats de l’enquête montrent qu’en réalité, bien des aspects de l’apprentissage théorique et pratique des métiers horlogers sont susceptibles de faire l’objet d’une approche digitale. « Certains outils sont d’ailleurs déjà utilisés dans le cadre de la formation horlogère, comme la représentation numérique de mouvements en 3D permettant de mieux visualiser les pièces qui les composent. « De la même façon, repérer un dysfonctionnement ou une pièce défectueuse est tout à fait envisageable sur un support digital, et donne de plus la possibilité de travailler à distance, dans des ateliers disséminés dans le monde entier. »
Mais au-delà de la technique, les chercheurs ont identifié que ce sont surtout les compétences transverses qui pourront faire l’objet d’entraînements par le jeu numérique, comme la précision, la dextérité, la rigueur, la patience, des qualités indissociables de l’exercice de tout métier horloger.
Les auteurs de l’étude ne sous-estiment pas pour autant le fait que le mimétisme des gestes et la dimension tactile sont essentiels pour l’apprentissage et la transmission des savoir-faire. Ils préconisent de trouver un équilibre entre apprentissage en atelier et enseignement par le numérique, qui, selon les métiers, pourrait représenter 50 à 70 % de la formation globale.
Un référentiel élaboré d’après les résultats de l’étude sera diffusé auprès des entreprises et des instituts de formation dans les prochaines semaines sous la forme d’un ouvrage électronique, également bientôt disponible en libre accès sur le net.