Le poisson nettoyeur Labroides dimidiatus est, depuis de nombreuses années, un sujet d’étude passionnant pour Redouan Bshary, biologiste à l’université de Neuchâtel, spécialiste des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel. Avec des collègues de l’université de Cambridge, il a mis en évidence, pour la première fois chez l’animal, des agissements que l’on croyait l’apanage du genre humain. La dernière découverte en date montre que le poisson nettoyeur réagit à l’ombre du futur, c’est-à-dire qu’il adapte sa conduite en fonction des conséquences futures de ses actions. Les hommes coopèrent plus volontiers entre eux lorsqu’ils sont amenés à se rencontrer fréquemment. S’ils utilisent la tromperie, c’est en général quand ils savent qu’ils n’auront plus à rencontrer à l’avenir la personne abusée. Le poisson nettoyeur agit de même ! Chargé de débarrasser d’autres poissons de leurs parasites, et trouvant ainsi sa nourriture, il respecte cet accord tacite dans les zones où il passe beaucoup de temps. Il met à mal le contrat dans des endroits où il évolue peu, dès lors qu’il sait qu’il ne croisera pas ses « clients » de sitôt, en profitant pour les mordre et les délester des délicieuses mucosités qui recouvrent leur peau, améliorant ainsi son ordinaire.
Cette révélation suit de près un autre constat, révélant le caractère machiste de l’individu en matière d’alimentation. Car si notre poisson sait agir sournoisement vis-à-vis de ses « clients », c’est le mâle qui veut se tailler la meilleure part du gâteau, punissant la femelle lorsqu’elle cède à la tentation. Plus petite, celle-ci est pourchassée par le mâle lorsqu’elle est prise en flagrant délit de gourmandise, et par crainte des représailles, évite ensuite de tricher. Cette découverte a été prouvée par une expérience menée en laboratoire. D’appétissantes crevettes, placées à proximité de flocons de poisson moins attirants, sont livrées en pâture aux nettoyeurs voraces. Lorsque les femelles s’y attaquent, la nourriture est retirée par les opérateurs, provoquant le mécontentement des mâles qui pourchassent les fautives. Les crevettes sont alors à nouveau proposées, mais les femelles se rabattent sur les flocons de poisson, refoulant leur préférence au profit des mâles vainqueurs… Les mâles plus puissants que les femelles, les gros plus forts que les petits… les lois de la nature sont sans appel.
Le poisson nettoyeur Labroides dimidiatus réagit à l'ombre du futur
Contact : Redouan Bshary
Laboratoire d’Éco-éthologie
Université de Neuchâtel
Tél. (0033/0) 41 32 718 30 05