Elles nourrissent la planète et soignent ses habitants : les plantes portent des enjeux considérables ! Elles sont depuis de nombreuses années dans le point de mire de chercheurs de l’université de Neuchâtel, qui font notamment valoir par leurs travaux la formidable et nécessaire capacité des végétaux à communiquer avec leur environnement.
« Je souhaite de tout cœur que cet ouvrage aide à saisir l’importance de nos alliées que sont les plantes soignantes, dont la grandeur des vertus est proportionnelle à l’étendue de notre ignorance : immense. » C’est par ces mots que Blaise Mulhauser, biologiste et écologue, directeur du Jardin botanique de Neuchâtel, conclut avec humilité Plantes soignantes, un livre dont il a assuré la direction éditoriale et qui a reçu la contribution de spécialistes du Canada, du Cameroun, de Colombie, de France et de Suisse. Les apports de chercheurs en biologie, écologie, anthropologie et médecine fondent l’originalité du propos, considérant les plantes au-delà de leur statut de spécimens botaniques, au-delà de classifications, qui, pour être utiles, ne constituent qu’un premier pas vers leur connaissance. Les chimistes et les écologues savent par exemple aujourd’hui que les centaines, voire les milliers de molécules que les plantes produisent au cours de leur existence assurent toutes des fonctions essentielles. Ainsi nombre de ces molécules permettent aux végétaux de communiquer et d’interagir avec les champignons, les insectes, les bactéries qui les entourent, des échanges conditionnant pleinement leur survie et leur développement. Ces molécules, que l’on croyait encore récemment des productions résiduelles et pour cette raison qualifiait de métabolites secondaires, sont aujourd’hui promues au rang de métabolites spécialisés.
C’est justement parce que les êtres vivants évoluent de façon simultanée en interaction avec leur environnement que se crée une « perméabilité du vivant », rendant possible le passage de certaines propriétés d’un règne à un autre. Ainsi dans le cas des plantes, les principes actifs qu’elles développent pour se défendre ou survivre ont la capacité d’exercer une action chez les animaux, homme compris. Aussi bienfaisantes qu’elles peuvent se montrer dangereuses, les plantes recèlent un potentiel thérapeutique encore largement insoupçonné. Selon les caractéristiques de leur espèce, leur état de santé ou encore l’endroit où elles ont élu domicile, elles recourent à des modes d’action qu’elles mélangent à loisir en fonction de leurs besoins ; ce phénomène explique que leurs propriétés médicinales sont, entre autres, liées au contexte de leur cueillette.
Pour pouvoir interroger l’immense potentiel de plantes « en devenir perpétuel » et trouver les meilleurs « seuils de correspondance » entre l’humain et le non humain, les auteurs soulignent l’intérêt d’ouvrir le champ d’investigation de la recherche médicale, notamment en s’inspirant des enseignements des médecines traditionnelles et des cultures attentives à saisir l’expression des plantes dans leur environnement.
C’est aussi selon une large perspective que cet ouvrage étudie la place des plantes en médecine, des premiers remèdes élaborés au XVIIIe siècle jusqu’aux apports de la chimie synthétique au XXe siècle, de l’usage thérapeutique de la morphine à l’addiction aux opiacés, des parades offertes par les antibiotiques aux résistances qui leur sont à leur tour opposées, des savoirs ancestraux aux connaissances actuelles. De tout temps, partout dans le monde, les hommes ont recouru aux plantes pour soulager leurs maux les plus divers. Aujourd’hui, l’automédication par l’usage des végétaux s’affirme auprès de citoyens désireux d’être acteurs de leur santé, et le lien oublié entre aliment et médicament se renoue. Aujourd’hui aussi, selon l’OMS, 3,6 milliards d’êtres humains n’ont pas accès aux services de santé moderne. Le pouvoir des plantes soignantes, dans cette dualité de contexte, gagne d’autant à être connu.
En 1990, Ted Turlings découvrait que les plantes produisent des odeurs particulières pour alerter qu’elles sont victimes d’une attaque d’insectes nuisibles, appelant ainsi des prédateurs de ces ravageurs à la rescousse. Les relations entre les plantes et les insectes sont au cœur des recherches d’envergure que le biologiste développe depuis bientôt trente ans à l’université de Neuchâtel avec son équipe, et qui lui valent aujourd’hui de recevoir le Prix scientifique suisse Marcel Benoist. Considéré comme « le prix Nobel suisse », ce prix décerné depuis 1920 concerne toutes les disciplines scientifiques. Ted Turlings est le deuxième chercheur de l’UniNE à être honoré de ce prix prestigieux, près de cent ans après le géologue Émile Argand, qui en a été le récipiendaire en 1926.
Grâce à la compréhension des processus chimiques impliqués dans la production des molécules odorantes par les plantes pour se défendre, Ted Turlings met au point des moyens de lutte biologique contre les ravageurs des cultures, évitant le recours aux pesticides. Ses travaux portent également sur la sélection des variétés de plantes les plus intéressantes pour la production de composés aromatiques volatils, ainsi que sur la synthèse de ces molécules, dans l’idée de les utiliser pour attirer les prédateurs avant que les plantes en aient besoin, en amont des périodes de récolte. Des travaux reconnus par la sphère scientifique à l’international, et aujourd’hui récompensés de façon éclatante.
« Ce prix est un grand honneur, confie Ted Turlings. C’est une reconnaissance pour les travaux menés pendant des années avec des collègues extrêmement compétents, ainsi que pour le type de recherches que nous menons. Notre système actuel de production de nourriture contribue de manière importante au changement climatique et aux problèmes environnementaux. Nous avons les moyens de faire mieux, et la science a un rôle important à jouer. »