De l’infrarouge lointain à l’extrême ultraviolet, en passant par les couleurs visibles à l’œil humain, le laser passe par (presque) toutes les couleurs du spectre électromagnétique. Il se décline en projets de recherche et en réalisations technologiques qui font désormais partie de notre quotidien.
Inventé en 1960, le laser est une révolution technologique majeure, qui trouve des applications dans de nombreux domaines de la vie quotidienne ou de la science. Avec un laser, on peut découper de la peau, du verre ou de l’acier, lire un code barre ou un CD, déterminer la teneur en CO2 de l’atmosphère, disposer d’horloges atomiques d’une formidable exactitude… À l’instar de son rayon se propageant dans le vide à ce qui nous semble être l’infini, le laser ne semble avoir aucune limite. Son incroyable potentiel reste un enjeu majeur pour les chercheurs, qui explorent le laser sous quasiment toutes ses formes et toutes les couleurs du spectre électromagnétique, qu’elles soient visibles ou invisibles à notre œil.
Le laser est un rayon de lumière cohérent, monochromatique et unidirectionnel. Tout l’inverse de la lumière blanche qui, émise par le Soleil ou une ampoule, est en réalité composée des sept couleurs de l’arc-en-ciel, le spectre visible, et se diffuse dans toutes les directions. L’émission et la multiplication de photons, qui possèdent tous les mêmes propriétés, sont à l’origine de l’émission du rayonnement laser ; ce processus se produit au cœur d’un matériau qui sert de milieu amplificateur pour la réplication des photons, et qui peut être un liquide, un gaz ou un solide, notamment un cristal. La longueur d’onde du laser, et donc sa couleur, dépend directement de ce matériau, dont le choix est fonction des applications souhaitées. Enfin, le laser est la seule source lumineuse avec laquelle il est possible de produire des impulsions puissantes et brèves. Longueur d’onde, nature du rayonnement et puissance lumineuse sont les trois composantes à l’origine des multiples déclinaisons du laser.
Certaines longueurs d’onde sont bien identifiées et servent des applications précises : à 1,5 µm, le proche infrarouge est par exemple utilisé pour les télécommunications longue distance, car il n’est que peu absorbé par la silice des fibres optiques dans lesquelles le laser passe pour transmettre des informations. Les lasers à impulsions brèves et de forte puissance, comme les lasers femtoseconde, sont aujourd’hui largement exploités par l’industrie. Mais la technologie laser, à la base de l’optique moderne, n’a pas fini de révéler toute l’étendue de ses possibilités. Les recherches continuent à se développer autour du laser femtoseconde, et s’orientent vers une brièveté encore plus vertigineuse, celle de l’attoseconde, assortie à des puissances capables d’atteindre le pétawatt. Les lasers attoseconde permettront d’étudier les dynamiques de la matière à l’échelle de l’atome, de filmer les électrons en mouvement, ouvrant la voie à de nouvelles investigations, notamment dans le domaine de la santé (imagerie, étude de l’ADN ou des virus…)
Une femtoseconde (fs) représente un millionième de milliardième de seconde (10-15 s). Le rapport entre une femtoseconde et une seconde est comparable à la différence entre 7 mn et l’âge de l’univers, soit 13,8 milliards d’années. Ou encore : si la lumière fait presque huit fois le tour de la Terre en une seconde, elle parcourt seulement l’épaisseur d’un cheveu humain en 100 fs.
Une attoseconde représente un milliardième de milliardième de seconde (10-18 s). Une attoseconde est à une seconde ce qu’une seconde est à 31,71 milliards d’années. À l’échelle atomique, cette durée infime correspond cependant à des phénomènes de premier ordre. En quelques attosecondes par exemple, les électrons se déplacent d’un atome à un autre ; ces mouvements ultrarapides sont à l’origine de l’émission de lumière dans les domaines du visible, de l’ultraviolet et même des rayons X. Ils sont également responsables du fonctionnement des biomolécules ou de l’influx nerveux qui transporte l’information le long des nerfs. Décrypter ces mouvements ultrarapides permettrait de progresser dans le traitement de certaines maladies, ou dans un tout autre domaine, de réaliser des composants électroniques plus efficaces et plus petits. Un pétawatt est égal à 1015 watts, soit une puissance d’un million de milliards de watts.
Les oscillateurs optiques sont des lasers qui délivrent un champ électromagnétique oscillant à une fréquence extrêmement élevée, et dont les variations sont tellement infimes qu’elles pourraient être comparées à une variation de la distance entre la Terre et le Soleil d’à peine l’épaisseur d’un cheveu. Une telle stabilité est indispensable pour développer les horloges optiques qui délivrent la mesure du temps, et pour effectuer des mesures interférométriques de très haute précision, nécessaires par exemple aux communications à très haut débit, aux mesures de constantes physiques fondamentales ou encore à la détection des ondes gravitationnelles. La stabilisation en fréquence des lasers est un enjeu pour lequel sont engagés des chercheurs du département Temps-fréquence de l’Institut FEMTO-ST, suivant différentes techniques.
Jacques Millo, de l’équipe Ondes, Horloges, Métrologie et Systèmes (OHMS), cherche à stabiliser la fréquence de résonance d’une cavité (de type Fabry-Pérot) utilisée pour connaître la fréquence des photons émis par une source laser. Son objectif est de fabriquer des lasers ultrastables dans le proche infrarouge, à une longueur d’onde précise de 1 542,14 nm. Cette longueur d’onde est celle qu’utilise le réseau REFIMEVE+ pour transférer des signaux optiques ultrastables par fibre optique à l’échelle nationale, en connectant les différents laboratoires impliqués dans ces problématiques de recherche. « En rendant la longueur de la cavité ultrastable par la maîtrise et la réduction des bruits mettant en péril cette stabilité, on obtient une référence de fréquence remarquablement stable. La source laser asservie en fréquence sur cette cavité devient elle-même ultrastable ».
Les cavités sont ici fabriquées en silicium monocristallin, un matériau de faible coefficient de dilatation thermique, qui devient nul à environ 124 K, 17 K et au voisinage de 0 K. À ces températures « cryogéniques », le bruit thermique affectant la fréquence de la cavité est réduit et lui permet d’atteindre des performances ultimes. Les cavités sont par ailleurs développées selon des géométries particulières, pour réduire l’influence des vibrations qui peuvent les déformer et changer leur fréquence. « Une fois les bons ingrédients choisis, comme le matériau ou la température, ce qui importe le plus pour produire un bon laser ultrastable, c’est la maîtrise des nombreux bruits et des variations des conditions expérimentales, ce qui requiert des ajustements très fins de l’expérience. »
L’infrarouge est aussi le domaine de prédilection de François Courvoisier, pour une tout autre application. À 1 030 nm, le chercheur développe de nouvelles techniques d’usinage. « Jusqu’aux années 2010, les lasers ultrabrefs étaient utilisés comme instruments de découpe dans le domaine médical, pour la chirurgie des yeux principalement. Les lasers ont ensuite gagné en puissance et ont ainsi pu être employés dans l’industrie, notamment pour la découpe du verre des écrans équipant les smartphones et les tablettes. » Mais les lasers ultrabrefs actuellement utilisés pour l’usinage industriel présentent une limite importante : chacune des impulsions qu’ils envoient n’enlève que peu de matière à la fois. Pour augmenter ses performances, le laser doit encore monter en puissance.
Dans le projet européen kW-Flexiburst qu’il pilote au département Optique de l’Institut FEMTO-ST, François Courvoisier travaille, avec six autres partenaires, au développement et aux applications d’une source d’une puissance de 1 kW, soit dix fois celle des lasers les plus puissants disponibles sur le marché. L’accroissement d’énergie concentrée dans les impulsions permettra de gagner de façon incroyable en rapidité d’exécution. Le temps de gravure des rouleaux d’impression pour la technologie roll-to-roll pourrait ainsi passer d’une dizaine d’heures à seulement trente minutes !
Pour parvenir à une telle puissance, plusieurs étages d’amplifications sont nécessaires. Cependant la puissance n’est pas le seul cheval de bataille du consortium européen kW-Flexiburst. Le deuxième objectif majeur du projet est de réussir à contrôler la distance qui sépare les impulsions entre elles, pour obtenir une source laser flexible, adaptable aux besoins en usinage. C’est à partir de la modulation du spectre d’une diode que le consortium rend, de façon inédite, cette configuration possible. « Différents lasers sont produits à partir d’une longueur d’onde choisie, permettant la mise en œuvre de différentes formes d’impulsions. » Un laser ultrabref, d’une puissance de 1 kW et produisant des impulsions à la demande…, le projet kW-Flexiburst est ambitieux à plus d’un titre. Au sein du consortium regroupant laboratoires académiques et entreprises, les chercheurs travaillent aux côtés des sociétés Daetwyler Graphics Precision en Suisse et GFH GmbH en Allemagne, qui disposeront de plusieurs mois pour effectuer des tests à partir du prototype réalisé en laboratoire. Les résultats du projet devraient être connus fin 2023.
L’infrarouge proche est aussi le domaine de référence pour la fusion laser de poudres métalliques : c’est avec un laser d’une longueur d’onde de 1 060 nm que sont en général fondues les poudres servant à la réalisation de dépôts ou à l’élaboration d’objets par imprimante 3D métal. Le cuivre, pur ou sous forme d’alliage, est un matériau de prédilection utilisé dans de nombreuses applications industrielles. Bon conducteur électrique et thermique, il est cependant également très réfléchissant, et le fondre exige beaucoup d’énergie lumineuse.
Sur la plateforme MIFHySTO, dont des équipements de fabrication additive métal sont installés à l’UTBM, les spécialistes ont décidé le placer le curseur à un autre endroit du spectre électromagnétique, pour « gagner en puissance de feu », et ont acquis l’année dernière une machine équipée d’un laser vert, d’une longueur d’onde de 515 nm exactement. « Le cuivre absorbe trois fois plus l’énergie du laser vert que celle du laser infrarouge. La fusion est mieux contrôlée, et comme elle est plus efficace, le matériau gagne en qualité et ses propriétés sont renforcées », explique Christophe Verdy, chercheur à l’ICB / LERMPS.
Les très bons résultats obtenus avec le cuivre invitent à investiguer d’autres matériaux. Dans un projet financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) depuis fin 2021, les chercheurs travaillent à l’élaboration de matériaux composites en cuivre et diamant, une association intéressante car elle est à l’origine de matériaux de très forte conductivité thermique, et qui peuvent prendre la forme de géométries complexes grâce à l’impression 3D.
Cette association pose cependant un problème d’ordre physique : en dehors des métaux, le diamant est certes le matériau qui a la meilleure conductivité thermique (environ 2 000 W/m-1.K-1 contre 400 W/m-1.K-1 pour le cuivre), mais celle-ci est dirigée par la vibration d’atomes, ou phonons, alors que la conductivité des matériaux métalliques, comme le cuivre, est assurée par le déplacement d’électrons. Cette discontinuité du mode de conductivité thermique est un verrou qui peut être levé en travaillant sur des interphases principalement à base de carbures, mais il faut aussi contrôler finement l’énergie thermique produite par le laser : « Chauffé au-delà de 1 700 °C en atmosphère neutre, le diamant se transforme en graphite, ce qui devient néfaste en termes de conductivité thermique et d’élaboration 3D avec le cuivre. »
Un supercontinuum est une source lumineuse résultant de phénomènes optiques non linéaires, parfaitement maîtrisés au département Optique de l’Institut FEMTO-ST : l’onde monochromatique d’un laser, située dans l’infrarouge proche, est envoyée dans une fibre optique ; en se propageant dans ce milieu non linéaire, elle interagit avec les modes de vibrations moléculaires et électroniques, puis se décompose en rayons de toutes les longueurs d’onde du visible pour donner naissance à une source lumineuse blanche.
Ce « laser blanc » allie ainsi la cohérence du laser aux propriétés spectrales de la lumière blanche. Sa brillance extrême est comparable à cinq cents fois celle du Soleil. Les travaux précurseurs de John Dudley, Hervé Maillotte et Thibaut Sylvestre placent l’équipe comtoise à l’avant-garde du domaine depuis le début des années 2000. Le supercontinuum est depuis devenu un phénomène optique clé pour de nombreuses applications. « L’intérêt de la lumière blanche est d’avoir accès à toutes les couleurs, et les recherches s’orientent aujourd’hui vers l’étude des structures biologiques avec la spectroscopie et l’imagerie, à des fins de diagnostic médical », explique John Dudley.
Le supercontinuum est également très utilisé pour la métrologie des fréquences ou les télécommunications. Différents types de sources sont développés pour les besoins de l’industrie, donnant lieu à des collaborations de type R&D : les chercheurs bisontins conçoivent des lasers supercontinuum dont ils confient ensuite le développement à diverses entreprises en France, telles que la société Leukos, à Limoges. En amont de la recherche, les efforts se concentrent sur l’extension du spectre vers l’ultraviolet et vers l’infrarouge moyen notamment, entre 2 à 20 µm. « C’est là que se situent de nombreuses empreintes moléculaires, comme celles du dioxyde et du monoxyde de carbone, ou encore du méthane », explique Thibaut Sylvestre.
Pour accéder à de nouvelles couleurs, il est indispensable d’optimiser les composants, tels que le verre de la fibre optique dans laquelle se propage l’onde lumineuse de départ. Un projet de recherche est actuellement mené avec des chimistes de l’université de Rennes et un fabricant de fibres optiques en Pologne sur ce sujet. Dans un autre projet intitulé OPTIMAL, financé par l’ANR, il est question de rendre autonomes les manipulations que nécessite la réalisation d’un laser à fibre. « Dans une fibre optique, des polariseurs sont chargés de diriger et stabiliser l’onde lumineuse », explique John Dudley, qui précise : « Un nombre incroyable de constructions est possible, dès lors qu’on s’attaque à la mise au point d’un laser un peu complexe. Et 1 % seulement d’entre elles nous amène au point de fonctionnement voulu, le laser blanc ».
Pour créer des spectres étendus, l’intelligence artificielle relaie utilement la manipulation manuelle. Une expérience menée récemment au laboratoire a permis de tester en une semaine des milliards de milliards de combinaisons… L’intelligence artificielle est également requise pour optimiser l’utilisation d’un laser. Dans le cas d’un laser de découpe, les algorithmes veillent à garder constante la qualité du faisceau, que des particules de poussière éjectées lors de l’usinage sont susceptibles de ralentir.
Une autre technologie consiste à découper la lumière d’un laser à la façon d’un stroboscope. Cette technologie est l’un des fers de lance du Laboratoire Temps-fréquence (LTF) à l’université de Neuchâtel. Dans une recherche menée récemment au laboratoire, les chercheurs ont réussi à transformer un laser infrarouge en un stroboscope dont chacune des impulsions dure à peine 27 femtosecondes, et concentre une puissance comparable à celle d’une centrale nucléaire. « L’intensité du laser devient à ce point gigantesque qu’elle permet l’accélération des électrons par le champ électrique du laser. Grâce à ces électrons accélérés, nous pouvons transformer la longueur d’onde du laser jusqu’à atteindre l’extrême ultraviolet », explique Jakub Drs, doctorant au Laboratoire Temps-fréquence sous la direction de Thomas Südmeyer, et qui signe en même temps que sa thèse une véritable prouesse technologique.
L’extrême ultraviolet, produit naturellement par la couronne solaire, n’est en principe accessible que dans des installations de grande échelle comme les accélérateurs de particules, où il est généré par rayonnement synchrotron. Avec cette recherche, il devient disponible sur une table de laboratoire ! À l’heure actuelle, l’extrême ultraviolet reste essentiellement un objet d’étude pour la physique fondamentale. D’un point de vue applicatif, ses performances le font pressentir pour l’imagerie médicale, un domaine où il pourrait être utilisé de façon moins invasive que les rayons X.
Adapté pour révéler la structure cristalline de certains matériaux, il pourrait à ce titre intervenir dans la conception des semi-conducteurs intégrés aux circuits électroniques de nombreux objets du quotidien. L’équipe de Thomas Südmeyer travaille à sonder l’extrême ultraviolet depuis une dizaine d’années. Les performances accomplies jusqu’à aujourd’hui incitent à poursuivre les recherches dans ce domaine. « En réduisant encore la durée des impulsions, nous pouvons imaginer un jour visualiser en direct la transition énergétique d’un seul électron lorsqu’il change d’état électronique. Cette transition ne dure que quelques dizaines d’attosecondes, et commence à s’observer depuis quelques années grâce au développement de la science de l’attoseconde. C’est un pas expérimental incroyable en physique fondamentale. Nous espérons également réaliser ce type de mesures au Laboratoire Temps-fréquence dans les prochaines années », s’enthousiasme Jakub Drs. D’une couleur à l’autre du spectre électromagnétique, le laser n’a pas fini de faire parler de lui…