Adapter et personnaliser les stratégies thérapeutiques, considérer le patient dans son intégralité plutôt que se focaliser sur le traitement de la tumeur seulement…, la lutte contre le cancer évolue selon une philosophie nouvelle. La recherche régionale entre pleinement dans cette mouvance avec des innovations thérapeutiques et des travaux de premier plan, et l’octroi de moyens importants.
– La chimiothérapie, stimulant du système immunitaire
– Un GPS cellulaire pour cibler précisément la tumeur
– Évolution des traitements sur écran
– Les marqueurs biologiques orientent les stratégies thérapeutiques
– La qualité de vie entre dans l’évaluation des traitements
Lutter contre le canceren utilisant les ressources du système immunitaire ? Il y a dix ans encore, la question faisait sourire plus d’un spécialiste. Depuis, l’idée de prendre appui sur le système immunitaire pour trouver des réponses au cancer a fait son chemin, à tel point qu’elle a aujourd’hui carrément le vent en poupe. Un retournement de situation qui n’est pas pour déplaire aux chercheurs comtois et bourguignons, qui depuis longtemps sont persuadés de son intérêt. L’immunologie des cancers est même le principal thème de recherche qu’ils développent en commun. La renommée de leurs travaux sur la scène mondiale est telle qu’elle a donné lieu à la création d’un Centre d’essais cliniques de phase précoce (CLIP²) entièrement voué à cette thématique et labellisé par l’INCa, l’Institut national du cancer.
Seize centres de cet acabit existent en France ; la Région Bourgogne – Franche-Comté peut s’enorgueillir d’accueillir le seul de tout le Grand Est. Le centre CLIP² est dédié à l’essai de nouvelles molécules en vue de mettre au point les thérapies de demain ; il rassemble d’importants moyens humains et technologiques sous la direction du Pr Christophe Borg à Besançon et du Dr Nicolas Isambert à Dijon.
Vue du CHRU de Besançon – Photo Ludovic Godard – UFC
De manière plus générale, l’organisation de la prise en charge du cancer a pris une nouvelle direction ces dernières années en Franche-Comté : elle est aujourd’hui mutualisée et coordonnée dans le cadre du groupement de coopération sanitaire de l’IRFC, l’Institut régional fédératif du cancer, une organisation territoriale unique en France, créée en 2008. L’activité de cancérologie du CHRU de Besançon est hébergée dans le nouveau bâtiment « Pôles de Cancérologie et biologie » sur le site de l’hôpital Jean Minjoz depuis fin 2015. « Cette organisation garantit une offre de soins identique dans toute la Franche-Comté, avec vingt-cinq spécialistes qui se déplacent et une prise en charge homogène des patients dans tous les hôpitaux », explique le Pr Borg.
En matière de recherche clinique, les médecins du CHRU assurent le suivi de cohortes pour étudier l’évolution des maladies et mesurer l’impact des traitements. Des essais cliniques sont mis en place, auxquels adhèrent 450 nouveaux patients chaque année, en collaboration avec le Centre d’investigation clinique (CIC) du CHRU de Besançon et bien sûr la plateforme CLIP2.
En Bourgogne, la structuration des soins et de la recherche en cancérologie est bâtie sur un modèle différent : plus éclatée, elle inclut à la fois des opérateurs privés comme le Centre Georges François Leclerc (CGFL) et publics comme le CHU de Dijon.
Les cancers digestifs sont une cible largement étudiée à Besançon comme à Dijon, les aspects fondamentaux et cliniques de la recherche progressant en parallèle depuis des années, et se nourrissant chacun des apports de l’autre. Ils constituent une voie privilégiée pour les investigations en immunologie des cancers. À Dijon, au Centre de recherche Lipides, nutrition et cancer, et dans le cadre du laboratoire d’excellence LipSTIC, le Pr François Ghiringhelli et le Dr Lionel Apetoh travaillent à comprendre les mécanismes fondamentaux de réponse du système immunitaire, dont le fonctionnement n’est pas homogène devant une attaque cancéreuse. « Certains globules blancs s’attaquent aux tumeurs, mais leur action peut être bloquée par d’autres globules blancs, résume le Pr Ghiringhelli. L’idée est d’éliminer les cellules immunosuppressives pour pouvoir activer la réponse immunitaire antitumorale. »
Encore peu connue, l’action bénéfique des lymphocytes T CD4 retient particulièrement l’attention des chercheurs dijonnais. En cas de danger, ces globules blancs ont la particularité de faire réagir d’autres cellules, au pouvoir immunitaire puissant. C’est ce processus de mise en relation que le Dr Apetoh a pu observer dans le cadre de traitements par chimiothérapie. « La chimiothérapie tue les cellules tumorales, qui à leur mort libèrent leur contenu, un processus qui s’accompagne de l’émission de signaux moléculaires de danger : c’est ici que les T CD4 entrent en scène, activant le réveil des globules blancs chargés d’assurer la défense de l’organisme. » La chimiothérapie a donc un impact direct sur le renforcement du système immunitaire, lui-même actif pour lutter contre les cellules cancéreuses. La boucle est bouclée… sauf qu’elle peut être rompue par l’action délétère d’autres globules blancs encore, qui vont eux freiner cette action. Les recherches se dirigent donc sur les deux fronts pour tenter de décrypter des mécanismes qui ne manquent pas de complexité…
Photo CHRU Besançon
La recherche concernant plus spécifiquement l'implication des lymphocytes T CD4 dans le processus de lutte contre les cellules tumorales a valu deux récompenses en 2015 au Dr Apetoh : le prix Olga Sain que lui a remis la Ligue contre le Cancer en mars dernier, et une bourse Starting Grant accordée par l’ERC (European Research Council) en novembre. Le budget lié à cette deuxième distinction permettra au jeune chercheur de l’INSERM de constituer une équipe pour aller plus loin dans la compréhension du mécanisme biologique et la perception de ses enjeux thérapeutiques ; la preuve de concept apportée en 2010 à Dijon fait actuellement l’objet d’essais cliniques de phase 2.
« Beaucoup d’investigations restent à mener pour comprendre l’action du système immunitaire sur le cancer, savoir quels organismes réagissent mieux que d’autres et pourquoi, si on peut les rendre répondants et comment. L’immunothérapie entre complètement dans le concept de médecine personnalisée », estime le Pr Ghiringhelli. L’engouement que cette voie de défense naturelle de l’organisme suscite témoigne d’une philosophie nouvelle dans la manière d’aborder le traitement médical. « Hier, la cellule cancéreuse était le problème sur lequel il fallait concentrer tous les efforts ; aujourd’hui, on tient compte de son environnement et de la personne de manière plus globale », conclut le Dr Apetoh.
On l’a vu, le système immunitaire est un moyen très puissant de défense de notre organisme contre les cellules qui lui sont étrangères, les cellules tumorales autant que d’autres. Les lymphocytes T interviennent de façon déterminante dans ce processus. Les possibilités offertes par la thérapie cellulaire et génique permettent de diriger plus efficacement et de façon plus pertinente l’action naturelle du système immunitaire et des lymphocytes T. « L’idée est de donner le moyen aux lymphocytes T de repérer leur cible tumorale grâce à un élément de reconnaissance caractéristique, pour qu’ils s’attaquent aux cellules cancéreuses et à elles seules », explique Francine Garnache-Ottou, professeur en hématologie au laboratoire Hôte-greffon-tumeur & Ingénierie cellulaire et génique. Élaboré au laboratoire, ce récepteur spécifique de la tumeur s’appelle un CAR, pour Chimeric Antigen Receptor, il est « greffé » sur le lymphocyte T, qui, ainsi modifié, est dénommé CAR T-Cell. « Les résultats obtenus sont exceptionnels et représentent un progrès majeur, cela se vérifie notamment dans le cas de leucémies réfractaires aux traitements habituels », témoigne Francine Garnache-Ottou.
L’équipe bisontine est spécialiste des leucémies dérivées des cellules dendritiques plasmacytoïdes (LpDC), qu’elle a caractérisées au début des années 2000 et pour lesquelles elle a donné une définition depuis utilisée par toute la communauté scientifique (voir en direct n°258, mai-juin 2015). Elle travaille dans l’objectif de mettre au point un médicament de thérapie innovante fondé sur la technologie CAR pour soigner ces pathologies, grâce à l’aide de l’équipe du Dr Christophe Ferrand, spécialisée en développement de produits de thérapie cellulaire innovants.
La molécule CD123 est un marqueur spécifique de ces leucémies. Les chercheurs ont réussi à identifier des anticorps qui réagissent à cette molécule, et à partir de là, leur gène de codification. Il restait à trouver un moyen d’apparier ce gène aux lymphocytes T pour qu’il puisse assurer le guidage de ces derniers dans le réseau sanguin : c’est un rétrovirus qui assurera cette fonction de fixateur. Le récepteur CAR est en cours de fabrication.
« Les lymphocytes T du patient, prélevés lors d’une prise de sang, seront modifiés lors d’une mise en culture d’environ une semaine par un vecteur comportant le gène capable d’identifier les cellules tumorales. Les lymphocytes T « armés » seront ensuite réinjectés au patient. » La thérapie génique est très sécurisée et sa stratégie d’action est contrôlée.
La fabrication des CAR est assurée à l’Établissement français du sang par les chercheurs Christophe Ferrand et Marina Deschamps, avec le soutien du Pr Olivier Adotevi, responsable de l’équipe Cancer et réponses immunitaires au sein du laboratoire. Depuis les premiers pas vers l’identification du groupe de leucémies il y a un peu plus de dix ans, la recherche progresse étape par étape en gardant ses attaches locales grâce à un tissu de collaborations exemplaires et des équipements adéquats, une configuration suffisamment rare pour être remarquée.
Le maillage du territoire avec le Pr Eric Deconinck, chef du service d’hématologie clinique du CHRU de Besançon, a permis de centraliser tous les cas de LpDC en France ; ces informations et analyses constituent un socle solide sur lequel la recherche peut s’appuyer.
La mise au point, dans un proche avenir, d’un nouveau traitement par thérapie génique dans cette maladie, est l’aboutissement de ce processus scientifique de grande envergure. Des travaux pour lesquels le Pr Garnache-Ottou et son équipe viennent d’obtenir un financement conséquent sur trois ans de la part de l’INCa.
« La plateforme de préparation de médicaments de thérapie innovante récemment inaugurée à l’Établissement français du sang et dirigée par le Dr Fabienne Pouthier nous donne les moyens de pratiquer des essais dans les conditions requises. Ces essais s’appuieront sur l’expérience acquise depuis vingt ans dans le domaine de la thérapie génique et sur l’acceptation récente par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) d’un protocole de thérapie génique utilisant un MTI « SIDe by CIDe ». C’est elle aussi qui nous permettra, lorsque nous serons prêts, de fabriquer les médicaments dont pourra bénéficier chaque patient de façon personnalisée », souligne Francine Garnache-Ottou.
La plateforme de préparation de médicaments de thérapie
innovante de l’EFSbà Besançon – Photo Ludovic Godard / UFC
L’apparition et le développement des cancers sont en grande partie liés à un dysfonctionnement génétique. L’ICGC (International Cancer Genome Consortium) a été créé en 2008 pour mieux comprendre ces altérations génétiques et mettre le maximum d’informations à disposition des chercheurs du monde entier. Cette connaissance passe par le séquençage de tumeurs, une démarche complexe et coûteuse que se partagent les cinq continents.
Le séquençage des tumeurs du sein HER2 a été confié à la France, mondialement reconnue pour la recherche sur ces cancers grâce aux études PHARE puis PHARE-SIGNAL, qui, labellisées par l’INCa, sont pilotées par le CHRU de Besançon. Démarrée en 2005, PHARE est la plus grande étude clinique et scientifique jamais menée au niveau national sur le cancer HER2, qui représente 15 % des 48 000 cancers du sein déclarés chaque année en France.
Chef du pôle Cancérologie au CHRU de Besançon, responsable de l’organisation de la recherche sur le cancer du sein à l’INCa, le Pr Xavier Pivot est aussi responsable du programme PHARE. Il explique que ces études ont tissé de multiples collaborations aux niveaux national et international et ont complètement bouleversé les convictions concernant le rôle de la protéine HER2 dans la formation de ces cancers. « HER2 ne correspond pas à un sous-type de cancer comme on le croyait, pas plus qu’il ne favorise l’oncogenèse, contrairement à des facteurs comme la prise d’hormones ou le tabagisme. En fait, HER2 est un événement qui peut survenir sur tout type de cancer du sein existant ; il modifie alors de façon redoutable le comportement de la tumeur. »
Cette découverte majeure s’est accompagnée de la compréhension du processus responsable de l’amplification du gène codant HER2. L’explication est mécanique : la prolifération des cellules cancéreuses fragilise les brins d’ADN constitutifs de ces cellules, qui se cassent. C’est à ces points de rupture que se situent les protéines HER2, qui possèdent la faculté de se recoller à l’autre extrémité du brin rompu à la manière d’un aimant, doublant ainsi leur point d’ancrage ; une amplification apparaît, qui très vite devient exponentielle. « Interpréter cette amplification est une nouvelle étape de la recherche, reprend le Pr Pivot. Cela nous donnera des clés de compréhension nouvelles pour, à terme, améliorer encore les traitements ».
Pour l’heure, les cancers du sein HER2 font l’objet de thérapies ciblées à base de trastuzumab, un anticorps monoclonal connu sous le nom pharmaceutique d’Herceptin®, qui reconnaît la protéine HER2 à la surface des cellules tumorales, et stoppe le mécanisme responsable de leur prolifération. L’efficacité du traitement a fait reculer le spectre des cancers HER2, mais présente encore des inégalités. La poursuite des recherches génétiques devrait aider à comprendre pourquoi certains organismes sont plus réceptifs que d’autres au traitement, et en amont, de savoir pourquoi HER2 se développe dans certains cancers et pas d’autres.
Plateforme préclinique du CGFL – copyright : A. Chezière
Outre les futurs médicaments issus de la thérapie génique, la personnalisation des traitements concerne aussi le développement des thérapeutiques ciblées. Une priorité à laquelle la pharmaco-imagerie apporte une contribution innovante.
À Dijon, le Centre Georges François Leclerc (CGFL) est un acteur de premier plan du consortium Pharm’image®, un dispositif unique en France dans le domaine de l’imagerie. Depuis quatre ans, Pharm’image® réunit dans un périmètre grand comme un mouchoir de poche un ensemble de compétences humaines et techniques de haut niveau, issues de structures privées et publiques.
Les sociétés ONCODESIGN et CYCLOPHARMA, les start-up NVH Medicinal et CheMatec, le CGFL et le CHU de Dijon sont les membres de ce groupement d’intérêt économique dédié à l’évaluation et à l’amélioration, grâce à la pharmaco-imagerie, des thérapeutiques personnalisées dans le traitement des cancers.
« Cette complémentarité et cette proximité sans équivalents représentent un atout formidable pour s’engager dans des programmes de recherche d’envergure » souligne le Pr Pierre Fumoleau, directeur du CGFL. Exemple-type de la collaboration Pharm’image® : dans la plateforme préclinique du CGFL, l’administration d’un traitement rend des souris immunodéficientes ; chez ONCODESIGN, des cellules issues de tumeurs humaines sont préparées pour être injectées aux souris en vue de leur inoculer une pathologie cancéreuse et de vérifier l’efficacité d’un médicament ; le cyclotron de CYCLOPHARMA produit une substance radioactive pour marquer un médicament ciblé et le rendre visible sur une image qui, obtenue par scintigraphie, atteste qu’il a bien atteint exclusivement la tumeur.
« La pharmaco-imagerie est un domaine en plein essor et Pharm’image® est particulièrement bien structuré pour remplir son rôle », résume le Pr Fumoleau. De nombreux projets sont en cours, comme Imakinib, qui s’attache spécifiquement aux cancers broncho-pulmonaires et à la résistance aux traitements qu’ils développent parfois. ONCODESIGN a mis au point une molécule capable d’enrayer la mutation T790M responsable de cette résistance. « Le marquage de T790M avec un glucose marqué au fluor 18 (FDG) permet de visualiser par TEP (tomographie par émission de positons) si le patient développe cette mutation. Si tel est le cas, le nouveau médicament sera inclus dans son protocole de traitement. »
Dans l’étude Avataxher portant sur les cancers du sein, l’imagerie des récepteurs HER2 révèle avant et après chimiothérapie l’index de fixation de la substance radioactive FDG sur la tumeur, et donc l’évolution de cette dernière. Ces informations tirées de l’imagerie permettent d’élaborer des stratégies thérapeutiques différentes selon les patientes et leur réponse au traitement.
Plateforme préclinique du CGFL – copyright : A. Chezière
Le consortium Pharm’image® est renforcé par le programme IMAPPI, élu Équipement d’Excellence (EquipEx) au titre des Investissements d’Avenir accordés par le gouvernement français en 2011. IMAPPI est une technologie combinant l’imagerie par résonance magnétique IRM et la tomographie par émission de positons TEP. Utilisé en préclinique, cet équipement assure un repérage tissulaire d’une grande précision et se montre peu nocif pour l’animal. IMAPPI est porté par François Brunotte, professeur en biophysique et médecine nucléaire à l’université de Bourgogne, et les machines sont installées au CGFL, opérateur du projet. Le Pr Fumoleau rappelle par ailleurs l’engagement du Conseil régional de Bourgogne, qui sur quatre ans a octroyé au CGFL un budget de 1,6 million d’euros pour l’acquisition de nouveaux équipements pour sa plateforme préclinique.
Le traitement contre le cancer passe par différentes alternatives, proposées par autant d’outils thérapeutiques. La chimiothérapie s’attaque aux cellules tumorales en division ; les thérapies ciblées pointent la tumeur et son environnement : une mutation particulière, une voie de signalisation… ; et aujourd’hui l’immunothérapie, une option en devenir, considère le microenvironnement tumoral et l’organisme dans sa globalité. Des stratégies interventionnelles comme la radiothérapie, la radiofréquence ou la chirurgie complètent cet arsenal thérapeutique. Personnaliser les traitements signifie pouvoir choisir de la manière la plus éclairée possible dans ce panel de solutions. L’étude de biomarqueurs donne des indications sur la maladie et son évolution, incitant à adopter une stratégie thérapeutique en fonction de facteurs pronostiques.
« Dans le cancer du côlon métastatique, une simple prise de sang peut rendre possible l’analyse de molécules qui se trouvent dans l’environnement de la tumeur et ainsi d’établir un score biologique propre à chaque patient », explique le Dr Marine Jary, oncologue au CHRU de Besançon et étudiante en thèse au laboratoire Hôte-greffon-tumeur & Ingénierie cellulaire et génique.
L’Angiopoïétine 2 et le Syndecan 1 (CD138) sont deux marqueurs du microenvironnement d’une tumeur et de l’angiogenèse, un processus impliqué dans la croissance de nouveaux vaisseaux péri-tumoraux, l’invasion tumorale et le développement de métastases. Leur intérêt dans l’établissement d’un pronostic d’évolution de la maladie et de survie des malades a été validé dans une vaste étude menée sur plus d’une centaine de patients atteints d’un cancer du côlon métastatique. « La population observée s’est répartie par tiers entre pronostics pessimiste, optimiste et intermédiaire : selon le score biologique des patients obtenu grâce à ces biomarqueurs, il devient possible d’élaborer la stratégie thérapeutique la plus adaptée à leur situation. Jusqu’alors les patients de moins bon pronostic étaient identifiés par une altération moléculaire, retrouvée dans 5 à 8 % des cas seulement. »
Pour faire suite à ces résultats, une étude clinique portant sur trois cents patients est programmée dans le courant de l’année ; elle mesurera l’effet de l’intensification des traitements sur le sous-groupe des malades présentant un pronostic défavorable.
L’étude EPITOPES-CRC02, montée à Besançon en 2012 et depuis devenue nationale, veut aller plus loin encore en corrélant ces biomarqueurs tumoraux avec des marqueurs immunologiques et inflammatoires. Elle concernera prochainement 158 patients porteurs de tumeurs coliques métastatiques, auprès de qui elle examinera la pertinence du croisement de ces informations pour établir, entre autres, un score pronostique. Ce projet a reçu le financement d’un PHRC (Programme hospitalier de recherche clinique) interrégional en novembre dernier.
Marine Jary souligne que la simplicité, la rapidité et le bas coût des tests, effectués à partir d’une simple prise de sang, ajoutent à l’intérêt de l’analyse des biomarqueurs, ici effectuée en collaboration avec la société bisontine DIACLONE. Les études sont quant à elles menées avec l’unité Méthodologie et qualité de vie en cancérologie (UMQVC) du CHRU de Besançon, sous la houlette de Franck Bonnetain, professeur en épidémiologie et biostatistique.
Photo CHRU de Besançon
À la jonction entre recherche fondamentale et recherche clinique, cette unité créée en 2012 est la seule en France à être entièrement dédiée à la cancérologie. Elle co-coordonne également la plateforme nationale de recherche clinique Qualité de vie et cancer au CHRU de Besançon, labellisée par la Ligue nationale contre le cancer depuis 2008. La plateforme a pris aujourd’hui une ampleur nationale, elle a fédéré tous les Cancéropôles de France et à ce titre a reçu le soutien institutionnel de l’INCa.
L’UMQVC quant à elle propose son expertise et développe ses recherches en France (GERCOR, AFSOS-UNICANCER, GERICO, ARCAGY-GINECO) et bien au-delà des frontières de l’Hexagone. Une équipe forte de vingt ingénieurs-chercheurs, doctorants, data-managers et techniciens développe et gère une centaine d’études en parallèle, dont certaines sont programmées jusqu’à cinq ans et concernent l’Europe et jusqu’aux USA.
L’objectif est de rechercher les méthodologies statistiques optimales pour mieux « designer » les essais cliniques en prenant en compte non seulement des paramètres biologiques, mais aussi la qualité de vie des patients, afin de juger du bénéfice clinique réel des nouvelles thérapeutiques. « Nous compilons des données d’essais provenant du monde entier, dont l’analyse fournit des paramètres discriminants pour élaborer et évaluer les nouvelles stratégies thérapeutiques », explique le Pr Bonnetain.
La qualité de vie fait partie des facteurs influençant l’évolution d’une maladie et l’espérance de vie des patients au même titre et parfois davantage que certains facteurs biologiques. « On sait par exemple que dans le cas du cancer du côlon métastatique, la dimension sociale de la qualité de vie du patient est celle qui impacte le plus l’espérance de vie après la taille tumorale. »
Autres dimensions que considère également la notion de qualité de vie, la douleur et la fatigue font l’objet d’évaluations et sont également intégrées dans des scores pronostiques : il est impératif de les stabiliser à un certain seuil, voire de les diminuer pour espérer obtenir les bénéfices d’un traitement sur la maladie.
La qualité de vie comprend les aspects fonctionnels, émotionnels et sociaux du quotidien d’un patient. Elle tient compte non seulement de symptômes comme les douleurs, les nausées ou les difficultés de sommeil, mais aussi des répercussions de la maladie et des traitements sur la vie de couple, familiale ou sociale.
Elle s’intéresse à des concepts comme l’image de soi et considère les troubles psychiques ou psychologiques liés à la maladie.
Outre les informations qu’elle procure pour guider le praticien au regard de l’évolution du cancer et des toxicités des traitements, son étude constitue une source de préconisations pour améliorer l’état de santé et le bien-être des personnes au quotidien, en les orientant vers des soins de support : aide psychologique, activités physiques adaptées, soins socio-esthétiques, hypnothérapie…
« L’idée est de considérer la personne dans son ensemble, de traiter le patient et pas seulement la tumeur », explique le Pr Bonnetain.
C’est à ce titre qu’au CHRU de Besançon, les patients vont désormais être sollicités dès une première consultation en cancérologie pour répondre à un questionnaire d’évaluation de leur qualité de vie, une évaluation dont le suivi sera assuré tout au long de leur prise en charge (projets GYNEQOL et QOLIBRY).
La généralisation de cette pratique, qui concerne déjà plusieurs centaines de malades, à l’ensemble des patients suivis au CHRU représentera une première en France.
Le Dr Marine Jary fait partie de l’équipe du Pr Christophe Borg au laboratoire Hôte-greffon-tumeur & Ingénierie cellulaire et génique. Une de leurs recherches sur les cancers digestifs porte sur la résistance au traitement par radiothérapie de malades atteints d’un cancer du canal anal. Pourquoi ce traitement, pourtant reconnu comme le plus efficace, est-il dénué d’effet sur certains malades ? Un séquençage des gènes réalisé à partir de biopsies de tumeurs a révélé une mutation du promoteur de la télomérase, présente seulement sur le groupe de patients résistants à la radiothérapie. « La télomérase est une enzyme impliquée dans le vieillissement des cellules, particulièrement active chez les cellules cancéreuses, qu’elles rend immortelles. Dans la mutation observée, la télomérase est surexprimée par un mécanisme contre lequel la radiothérapie semble impuissante : l’analyse moléculaire pourrait donc orienter à terme directement le traitement de ces patients vers la chirurgie. Ces premières conclusions ont fait l’objet d’une publication scientifique en 2014.
Un autre essai clinique mené auprès de cent patients, et dont les résultats ont également été publiés en 2014, aide à reconsidérer le protocole de traitement du cancer du rectum grâce à l’analyse moléculaire des tumeurs. Les séances de chimiothérapie habituellement programmées en fin de traitement seraient nettement plus efficaces en début de protocole. Dans l’étude, deux fois plus de patients ont été guéris en suivant cette recommandation, portant le taux de rémission complète de 11 à 23 %. Ces deux exemples montrent combien l’analyse moléculaire s’avère particulièrement pertinente à la fois pour la personnalisation des traitements et l’optimisation thérapeutique.
Contacts :
À Besançon :
Pr Christophe Borg / Pr Francine Garnache-Ottou / Dr Marine Jary
Laboratoire Hôte-greffon-tumeur & Ingénierie cellulaire et génique
EFS Bourgogne – Franche-Comté / Université de Franche-Comté / INSERM
Tél. +33 (0)3 81 66 90 63 / 61 56 15 / 47 99 99
Pôle de cancérologie
CHRU de Besançon
Tél. +33 (0)3 70 63 22 47
Pr Franck Bonnetain
Unité Méthodologie et qualité de vie en cancérologie / Plateforme nationale de recherche clinique Qualité de vie et cancer
CHRU de Besançon
Tél. +33 (0)3 70 63 21 71
http://www.umqvc.org/en/index.html
À Dijon :
Pr François Ghiringhelli / Dr Lionel Apetoh
Centre de recherche Lipides, nutrition et cancer
Université de Bourgogne / INSERM
Tél. +33 (0)3 80 39 33 71
Centre Georges François Leclerc
Tél. +33 (0)3 80 73 75 01