Université de Franche-Comté

De la responsabilité des retenues d’eau dans le déclenchement des tremblements de terre

Le 14 novembre 1981, un tremblement de terre de magnitude 5,4 sur l’échelle de Richter se produisit à quelque 70 km au sud du grand barrage d’Assouan, sur le Nil. Cet ouvrage fournit l’énergie électrique et l’eau à l’Égypte et régularise le cours du Nil. Actuellement, le lac Nasser, créé par le barrage, s’étend sur plus de è km en Égypte et 150 km au Soudan. La rupture du barrage constituerait une catastrophe sans précédent, la majeure partie de la population égyptienne vivant le long du fleuve. À la suite de ce tremblement de terre, l’Institut national égyptien de recherches astronomiques et géophysiques (NRIAG) initia un important programme pour l’étude des mouvements récents et la détection des déformations associées aux tremblements de terre dans la zone concernée.

• La plupart des tremblements de terre sont liés à la tectonique des plaques. Leur origine est indépendante de l’activité humaine. Toutefois, celle-ci peut tout de même influencer leur déclenchement par cinq biais différents : l’activité minière, l’exploitation de carrières, l’injection de fluides, l’extraction de fluides et la création de lacs artificiels. Le mécanisme généré par ce dernier a été observé de nombreuses fois dans le monde. En effet, la nouvelle charge d’eau modifie localement le régime des tensions existantes dans le sous-sol. L’action peut être directe, par simple effet du poids de l’eau ou indirecte, par la modification de la pression hydrostatique à l’intérieur des porosités de la roche. L’effet net est une augmentation ou une diminution des contraintes, suivant l’orientation et la géométrie du réservoir et de failles préexistantes.

• Le séisme du 14 novembre 1981 se produisit trois ans après que le lac eut atteint sa cote maximale et inondé la dépression de Wadi Kalabsha. Il fut suivi de nombreuses répliques. La qualité du réseau de sismographes installés par le NRIAG permit de localiser la source de l’activité sismique le long d’un plan de faille majeure, la faille de Kalabsha. Une certaine activité est encore enregistrée actuellement. Le niveau du lac d’Assouan subit de fortes variations saisonnières. Pour établir la responsabilité du lac dans la survenue de tremblements de terre, l’Institut de géologie de l’université de Neuchâtel a étudié la corrélation entre le niveau du lac et la fréquence des tremblements de terre, en exploitant le catalogue sismique de la région, qui comprend environ 4 514 événements de magnitudes comprises entre 1 et 5,5.

• La corrélation est évidente. Elle indique qu’une augmentation d’activité sismique se produit deux mois après le maximum des eaux pour les séismes superficiels (foyers de profondeur inférieure à 15 km), quatre mois pour les séismes profonds (15 à 30 km). Il est normal que l’effet ne soit pas immédiat, puisque l’eau, ou tout au moins sa pression, doit se propager à l’intérieur de la faille. En accord avec ces observations, certains auteurs mentionnent que la vitesse de propagation du front de pression de l’eau atteint 600 mètres par jour dans ces formations hautement poreuses du désert Nubien.

• Souvent, les fluides qui circulent dans la croûte terrestre sont fortement minéralisés ; ils représentent donc d’excellents conducteurs du courant électrique. Tirant profit de cette propriété, la seconde partie de l’étude a mis en évidence les fluides responsables des tremblements de terre. La méthode magnétotellurique utilisée combine une mesure ponctuelle du champ magnétique naturel variable et du champ électrique qu’il induit dans le sous-sol. À partir de ces mesures, une résistivité  apparente Ÿ du site est calculée. Une dizaine de sites se répartissant le long d’un profil qui coupe la faille à angle droit, ont été étudiés par cette méthode. La modélisation de l’information de surface ainsi obtenue trahit la présence des bons conducteurs crustaux*. Le résultat sur la faille de Kalabsha s’avère positif. On observe que le plan de faille est parfaitement localisé au milieu d’une zone de conductivité anormalement élevée (10 Ωm), sur une profondeur de 5 km. Un rapide calcul basé sur cette conductivité montre que dans toute la zone, la porosité de fracturation atteint 22 %, ce qui constitue une forte augmentation par rapport à la valeur de 6 % estimée pour les zones homogènes.

• Une étude similaire entreprise dans les Vosges méridionales a montré que la sismicité de la région (crise sismique de Remiremont de 1984) pouvait probablement s’expliquer par la présence de fluides crustaux qui imprègnent le système complexe de failles. En effet, le profil magnétotellurique effectué par l’Institut a mis en évidence une anomalie positive de conductivité électrique là où justement le profil traverse l’une des failles majeures. Pierre-André Schnegg Institut de Géologie Université de Neuchâtel Tél. 41 32 718 26 76 Fax 41 32 718 26 01 pierre.schnegg@unine.ch

 

Laurent Larger
Laboratoire d’Optique P.M. Duffieux
Université de Franche-Comté
Tél. 03 81 66 64 68
laurent.larger@univ-fcomte.fr

 

 

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