Université de Franche-Comté

Crise économique  : faites vos jeux…

« J’aurais dû voir venir. Je m’en veux de ne pas avoir compris à quel point nous sommes à la merci des effets domino de la finance. J’ai vu que la bulle allait exploser et qu’il y aurait beaucoup de souffrances, mais je ne me suis pas rendu compte à quel point ce serait douloureux ». Paul R. Krugman, Prix Nobel d’économie 2008

 

 

  

 

 

SOMMAIRE

 

 

Des paris toujours gagnants ?

 

Trouver de nouvelles règles du jeu

La relance au prix de l'endettement public

 

Miser sur un avenir coopératif

 

 

  

 

Des paris toujours gagnants ?

Bien des années avant l’ère de la crise économique, les marchés financiers étaient un reflet de l’économie réelle. La donne a changé et le jeu est faussé. La finance fait désormais cavalier seul et se déconnecte de l’économie de terrain ; pourtant ses défaillances rejaillissent sur l’ensemble du système économique, avec des conséquences parfois dramatiques.

 

La crise actuelle, dont l’ampleur est phénoménale, en est un exemple cruellement parlant. À l’intérieur du système, la spéculation mène le jeu et sort toujours gagnante, quelle que soit la santé de l’économie réelle. « La spéculation peut même se nourrir de la faillite d’une entreprise ou d’un État, voire la provoquer ! Peu importe, les parieurs sont ici toujours les gagneurs », explique Milad Zarin-Nejadan, enseignant-chercheur à l’Institut de recherches économiques de l’université de Neuchâtel. Le crédit est aussi et bien sûr montré du doigt. Accordées trop facilement à des acteurs économiques non solvables, les fameuses subprimes, des prêts hypothécaires à haut risque que les ménages américains n’ont pu rembourser, ont provoqué faillites des sociétés de crédit spécialisées et pertes des grandes banques qui leur étaient associées, sans oublier les personnes ayant investi dans les titres basés sur ces créances douteuses et qui se sont trouvés ruinées du jour au lendemain. Le pavé est jeté dans la mare, l’onde de choc gagne peu à peu l’économie mondiale.

 

Lorsque les marchés financiers dérapent, la situation échappe à tout contrôle et pour les économistes, « il est grand temps de revenir les pieds sur terre ».

 

Corriger les excès de la spéculation et de la distribution du crédit, redonner au système économique la possibilité de fonctionner véritablement, le replacer au cœur de sa mission qui consiste à assurer la croissance d’un État et le bien-être de ses citoyens, telles sont les lignes de conduite à adopter pour revenir à plus de raison. Cependant, on a du mal à tirer les leçons de la crise, et selon les mots de Milad Zarin-Nejadan, « la crise n’a pas servi à grand-chose, le système financier n’est pas plus stable qu’avant et si une nouvelle crise survient, elle sera plus grave encore… ». 

 

 

Divers billets de banque

 

 

 

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Les limites des modèles mathématiques

 

Les modèles mathématiques ont investi le monde de la finance, et se basant sur des faits passés, servent à prévoir le futur, notamment à évaluer les risques au moyen de théories statistiques et probabilistes. La crise ne remet pas en cause leur intérêt et leur nécessité, mais incite à se poser la question de savoir si on les applique bien et surtout si on utilise les bons.

 

Dans le cadre d’un séminaire sur le thème « Mathématiques et société » organisé par Paul Jolissaint, enseignant-chercheur à l’Institut de mathématiques de l’université de Neuchâtel, l’ingénieur financier, Akimou Ossé, montre que s’ils n’ont pas causé la crise, les modèles mathématiques y ont contribué. « Les calculs élaborés par les agences de notation se sont révélés faux, tout autant que les modèles d’évaluation et d’analyse, comme la value at risk, mesurant le risque de marché d’un portefeuille d’instruments financiers, ou les stress tests, vérifiant la solidité des banques. Et le spécialiste d’ajouter : ces modèles ont de plus été utilisés à des fins marketing, pour vanter les mérites de produits financiers toxiques ». Akimou Ossé remet en question l’utilisation des modèles gaussiens sur lesquels s’appuient en général les prospectives, et met en évidence certaines lacunes méthodologiques : données de base limitées ou de mauvaise qualité ; paramètres encore mal maîtrisés comme les problèmes de liquidités ou l’effet de levier ; hypothèses non testées… La modélisation mathématique doit donc se développer sur de nouvelles bases, avec pour mots d’ordre « simplicité » et « robustesse ». Elle doit améliorer la performance de ses outils et intégrer des informations qualitatives pour être plus pertinente et plus fiable.

 

 

Contact : Paul Jolissaint

Institut de mathématiques

Université de Neuchâtel

Tél. (0041/0) 32 718 28 34

 

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Trouver de nouvelles règles du jeu

Réglementer les marchés financiers, une nécessité mise en évidence de façon criante par la crise, serait le pilier d’une économie à nouveau rationnelle. Mais une loi ne fait pas la pluie et le beau temps, et ce serait un leurre de croire que les réglementations, telles qu’elles sont aujourd’hui construites, pourraient à elles seules repousser le spectre de la crise et ramener l’atmosphère des marchés économiques au beau fixe.

 

Pourtant, les propositions du G20 lors des différents sommets organisés depuis 2007 témoignent de la volonté politique de réguler le système. La spéculation excessive est dans la ligne de mire des dirigeants du monde entier. La rendre plus coûteuse pour la décourager, demander aux banques d’engranger des liquidités lorsqu’elles le peuvent pour faire face aux périodes de pénurie ou pour se prémunir contre les risques liés à des spéculations hasardeuses, sont quelques-unes des mesures envisagées.

 

La démesure en matière de crédit est aussi dans le collimateur du G20. On s’est aperçu que l’excès de crédit accordé ne peut se mesurer à l’échelle d’une banque, ce qui remet en cause la croyance selon laquelle le contrôle des banques de façon individuelle serait suffisant. Il faut privilégier une approche macro-prudentielle, seule capable de vérifier la distribution du crédit dans son ensemble. D’autres projets sont avancés, par exemple : encadrer les marchés de ces produits spéculatifs par excellence que sont les produits dérivés, se déclinant en de multiples ramifications impossibles à maîtriser ; contrôler les paradis fiscaux ; séparer les activités de crédit et d’investissements dévolues aux banques de leurs opérations spéculatives…

 

Mais ces propositions « innovatrices et courageuses » selon Nathalie Kroichvili, enseignant-chercheur au laboratoire RECITS de l’UTBM, sont peut-être victimes d’une trop grande ambition. De discordances en consensus, elles sont lourdes, difficiles à imposer et requièrent beaucoup de temps pour faire un tant soit peu leur chemin vers la mise en œuvre de mesures concrètes au niveau international comme européen.

 

 

Cartes à jouer

 

 

 

Les directives européennes  : un exemple de réglementation à généraliser à l’international  ?

 

« Les directives européennes ont leurs limites parce qu’elles ne ciblent pas toujours de manière appropriée les problèmes réels » estime Michel Dubois, de l’Institut d’analyse financière de l’université de Neuchâtel. Sur le marché financier européen, le terme « commun » semble n’avoir aucun fondement véritable. Cette situation s’explique par des intérêts nationaux divergents et des États membres arc-boutés sur leur souveraineté. Tant qu’un cadre juridique homogène ne sera pas établi, le pouvoir des régulateurs nationaux sera faible par rapport à celui de la Security Exchange Commission (SEC) aux USA.

 

« Certains pays comme la Suède ou le Danemark n’imposent pas de sanctions administratives pour les infractions financières alors que c’est la règle pour le reste de l’Europe. Ces sanctions, de nature monétaire, peuvent varier de 0 € à dix fois les bénéfices (plusieurs dizaines de millions) pour un même délit ! Les régulateurs, ou mieux le régulateur, devrai(en)t disposer d’une compétence élargie pour infliger des sanctions rapides, équitables et dissuasives » constate Michel Dubois.

 

C’est en étudiant une réglementation antérieure à la crise que les chercheurs neuchâtelois mettent en évidence les limites de l’approche réglementaire actuelle. La directive de 2003 portant sur les abus de marché (MAD — Market Abuse Directive) est le texte sur lequel s’appuie leur analyse. Elle est la première à avoir été écrite après la parution du rapport du comité des sages — rapport Lamfalussy — sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières.

 

La directive s’attaque aux délits d’initiés ou aux conflits d’intérêt auxquels sont exposés les banques et leurs analystes financiers. Révision d’un texte de 1988, elle constitue un progrès notable sur le plan rédactionnel, mais ne résout pas encore les problèmes de fond comme l’harmonisation des sanctions. Pour preuve, la Commission européenne a initié une réflexion en juin 2010 sur ce sujet.

 

À quand une réglementation internationale  dépassant les frontières européennes ? « Au vu des difficultés rencontrées, il y a fort à parier que nous en restions au niveau des discours », estime Michel Dubois. 

 

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Le grand retour de Keynes

On pensait les théories keynésiennes dépassées. Elles sont revenues en force, des USA à l’Europe en passant par la Suisse, en réponse à une situation de crise gravissime. Là où la politique publique se bornait à donner un cadre et des conditions favorables à un essor économique et social généré par le secteur privé, l’intervention de l’État apparaissait discrète.

 

 

Château de cartes 

 

 

La crise a opéré un véritable retour en arrière et remis au goût du jour une politique keynésienne des plus fidèles aux idées de l’économiste. La politique monétaire exercée par les banques centrales s’est par ailleurs conformée aux prises de position des États. Des mesures et une entente salutaires pour les marchés économiques. « Même si la crise a été — est — dure, les politiques concertées entre les gouvernements et les banques centrales d’une part, la rapidité d’action et les efforts de coordination des États membres du G20 d’autre part, ont permis d’éviter le pire » souligne Milad Zarin-Nejadan. Les États ont injecté de l’argent dans leur économie, favorisé la consommation des ménages et l’investissement des entreprises par des mesures incitatives. Les banques centrales se sont alignées sur ce principe et ont combattu l’assèchement du marché des crédits par une politique des taux d’intérêt extrêmement bas, permettant aux ménages et aux PME de consommer et d’investir, aidant ainsi à la relance de la machine économique.

 

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La relance au prix de l’endettement public

Les États ont par ailleurs massivement investi dans les banques pour pallier leurs carences en liquidités, constituer des réserves et parfois éviter leur faillite, un appui représentant en Europe 1 700 milliards d’euros.

 

Des sommes astronomiques ont été ainsi engagées pour soutenir les économies, au prix d’un terrible mais nécessaire endettement. La dette publique de la France est ainsi passée de 64 % du PIB en 2007 à 84 % en 2010, se situant dans la moyenne de la zone euro estimée à 85 %. Les Pays-Bas affichent l’un des taux les plus faibles, 66 % ; le Portugal est à 86 % ; l’Espagne et la Grèce détiennent un triste record avec 125 %. L’Irlande, considérée comme l’un des pays les plus vertueux avec un endettement correspondant à 25 % du PIB en 2007, a vu son taux grimper à 77 % en 2010.

 

La dette publique devient telle qu’elle oblige à mettre un frein à la politique de relance, une décision que certains jugent cependant prématurée au regard d’une conjoncture économique encore très fragile. Aujourd’hui, les banques ont pour la plupart remboursé leurs emprunts auprès des États et affichent parfois une santé presque indécente. Pourtant, leur situation demeure précaire, et elles pourraient avoir à essuyer une deuxième tempête financière. Leurs bilans sont encore loin d’avoir récupéré du choc d’actifs toxiques, auxquels sont venus s’ajouter entre temps les bons du Trésor de pays européens fortement endettés, envers lesquels règne désormais de la défiance. Cependant, leur naufrage est en grande partie à l’origine du surendettement des États, qui, agissant dans l’urgence, n’ont fait valoir aucune condition aux plans de sauvetage mis en place pour les soutenir.

 

 

Jeu 

 

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Développement durable versus finance de marché

L’économie vue sous l’angle du développement durable ? Donner des points d’ancrage au capital pourrait assurer une croissance économique harmonieuse, inscrite dans l’espace et le temps, et éviter les scénarios catastrophe. Cela suppose une remise en question totale de la finance de marché, aujourd’hui basée sur la liquidité et la mobilité du capital, une logique qui montre très sévèrement ses limites avec la crise actuelle.

 

 

Transformés en actifs liquides, les titres de propriété des entreprises circulent librement et très rapidement partout dans le monde. Quels sont les chemins suivis par le capital ? En prenant pour exemple le destin des fonds de pension suisses, Thierry Theurillat, collaborateur scientifique au groupe de recherche en économie territoriale à l’Institut de sociologie de l’université de Neuchâtel, suit l’évolution d’un système financier entièrement reconfiguré depuis les années 1990.

 

 

Retraites : 600 milliards de francs suisses en circulation

 

Obligatoire depuis 1985 en Suisse, le système de retraite est basé sur la capitalisation. Ce capital, placé en banque pour la future retraite des particuliers, était à ses débuts investi dans l’immobilier ou l’entreprise de proximité. La masse d’argent que représente ensuite la capitalisation des retraites s’avère telle que la Suisse réforme totalement sa réglementation, permettant à ces fonds d’intégrer les places boursières du monde entier. L’enjeu est de taille. Avec 600 milliards de francs suisses, l’argent des retraites dépasse le PIB du pays ! Les fonds de pension, tout comme les autres investisseurs institutionnels, assurances-vie, fonds de mutuelle…, alimentent les marchés financiers mondiaux, investissant dans les actions, obligations et autres devises, dans l’immobilier ou encore sur le marché des dérivés de crédits. L’argent circule désormais beaucoup et ne s’investit plus forcément dans l’économie réelle et régionale, mais parie sur des revenus futurs aux quatre coins de la planète, provenant un jour du secteur informatique, le lendemain de l’immobilier, selon les fluctuations des croyances en vigueur sur les marchés. « C’est une logique purement financière et prospective, explique Thierry Theurillat. On ne connaît pas exactement les risques d’un investissement particulier, pas plus que l’on sait ce que cet argent vaudra dans trente ou quarante ans sur les marchés financiers ».

 

 

Développement durable et économie raisonnée

 

Appliquer les principes du développement durable à l’économie témoigne d’une tout autre logique. Il sous-tend un ancrage dans l’économie réelle et place l’homme et son environnement au cœur du système. Interdépendants, les acteurs économiques ont à élaborer des actions concertées inscrites dans le temps, en incluant les générations futures dans leur réflexion afin de ne pas les compromettre, et dans l’espace, dans le but de trouver des solutions propres à leur contexte. Les investisseurs institutionnels comme les fonds de pension auraient dans ce scénario un rôle de gouvernance à jouer, participant activement à l’essor de leur territoire. Leur démarche se rapprocherait alors de celle d’un entrepreneur, donnant une nouvelle dimension à un système financier dont les modalités économiques seraient revues en termes de coût, de risque et de rendement.

 

 

Contact : Thierry Theurillat

Institut de sociologie

Université de Neuchâtel

Tél. (0041/0) 32 718 14 30

 

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Crise automobile : au-delà de la conjoncture

Durement touchée par la crise économique, la filière automobile française révèle, au-delà de la situation conjoncturelle, des difficultés intrinsèques au modèle de croissance sur lequel elle a bâti son développement au cours du XXe siècle.

 

À l’intérieur de ce constat, un éclairage particulier sur le Grand Est montre que les spécificités régionales entrent en ligne de compte pour expliquer que certains territoires sont plus touchés que d’autres. De telles analyses, impliquant des acteurs régionaux et différents experts de la filière automobile, sont au cœur de travaux déclinés sous forme de séminaires de recherche organisés par le laboratoire RECITS de l’UTBM.

 

Créer un nouveau modèle de croissance semble une condition indispensable pour, non seulement espérer sortir de la crise, mais aussi relever les défis du XXIesiècle. Par ailleurs, prendre davantage en considération le territoire local et repenser l’articulation « global / local », car la globalisation ne fait pas disparaître le local, participeraient de cette démarche future.

 

Activités économiques et territoire sont interdépendants, ils ont besoin l’un de l’autre pour leur développement respectif, et l’industrie automobile ne peut ignorer la part de responsabilité qui est la sienne dans la construction de la (ou les) région(s) qui l’héberge(nt). Elle a à reconsidérer la nature de ces liens, à les faire vivre différemment au sein d’une stratégie globale de compétitivité qui ne doit plus être uniquement basée sur les coûts.

 

Envisager son propre territoire, ses hommes et ses compétences comme source de valeur ajoutée sera pour l’industrie automobile française un vecteur d’innovation pour trouver de nouvelles voies de développement.

 

 

Contact : Nathalie Kroichvili

Laboratoire RECITS

Université de technologie de Belfort – Montbéliard

Tél. (0033/0) 3 84 58 32 02

 

Miser sur un avenir coopératif

Si la coopération européenne doit faire ses preuves en matière de réglementation des marchés financiers, elle a d’ores et déjà dû assouplir des positions établies. Ainsi, le plan de sauvetage de la Grèce s’est peut-être heurté aux égoïsmes nationaux, mais aussi à la base à l’interdiction très stricte pour la banque centrale européenne de financer un État en déficit (pas de financement monétaire des déficits publics) ou pour la Communauté ou un État membre d’apporter une aide financière à un autre État membre (clause de non renflouement). Cette situation inédite une fois tranchée, le mécanisme de solidarité a pu fonctionner plus vite pour l’Irlande. Frileuses, avec une tendance au chacun pour soi, les nations ont pourtant intérêt à jouer la carte de la coopération, un principe d’autant plus valable que les pays sont interdépendants. Les propositions du G20 au niveau international, les actions de solidarité sur la scène européenne, pour contraintes qu’elles soient, n’en constituent pas moins de timides avancées vers de nouvelles règles d’un jeu politico-économique encore à inventer. 

 

 

Contact : Milad Zarin-Nejadan

Institut de recherches économiques

Université de Neuchâtel

Tél. (0041/0) 32 718 13 55

 

 

Michel Dubois

Institut d’analyse financière

Université de Neuchâtel

Tél. (0041/0) 32 718 13 66

 

 

Nathalie Kroichvili

Laboratoire RECITS

Université de technologie de Belfort – Montbéliard

Tél. (0033/0) 3 84 58 32 02

nathalie.kroichvili@utbm.fr

 

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