Université de Franche-Comté

Construire la ville au regard des mobilités et pratiques spatiales – Modèles et outils d'aide à la décision

Le monde grouille. Aller au travail, récupérer les enfants, les emmener aux différentes activités, se promener le dimanche… Livrer sa production, faire venir les matières premières… En bus, en vélo, en voiture, en train, à pieds, deux roues, roller, camion, avion, camionnette… trajets quotidiens, exceptionnels, grandes distances, vacances… Vu de haut, on doit ressembler à une immense fourmilière. Vu de l’intérieur, on pense plutôt embouteillages, pollution, perte de temps, porte-monnaie vide. Mieux organiser les mobilités est devenu crucial… et cela passe nécessairement par une organisation différente des tissus urbains.

 

 

SOMMAIRE

 

 

– Introduction

 

Des choix rationnels ?

 

Analyser et diagnostiquer les réseaux existants

 

Concilier, dans un modèle, le goût du périurbain et un étalement raisonné

 

MOBISIM, un logiciel de simulation des mobilités

 

 

 

 

Comment penser les villes, leurs structures à l’aune de ces déplacements ? Comment intégrer une politique de développement actuel à des strates historiques qui s’entremêlent (la Grande Rue du centre de Besançon reprend le decumanus de la ville romaine) ? Comment rendre cohérents de grands aménagements nationaux (TGV, autoroute) et un développement local durable ? De plus en plus, l’amélioration des flux et de la mobilité constitue un des fils directeurs des plans d’urbanisation.

 

Les réponses élaborées le sont à différentes échelles spatiales (d’une préconisation immédiate à une ébauche de la ville du futur), pour différentes phases temporelles… à l’image de la complexité de la question. Elles reprennent toutes une méthodologie scientifique : observer, diagnostiquer, modéliser, simuler, pour concevoir des outils d’aide à la décision. Et l’on comprend que l’on ait besoin de géographes, bien sûr, mais aussi d’informaticiens, de psychologues, de physiciens, d’économistes…

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Des choix rationnels ?

On aura beau faire, rendre des zones constructibles, penser qu’un échangeur d’autoroute engendre de facto un développement économique… les choix d’installation d’un ménage ou d’une entreprise ont leurs raisons que la raison ne connaît pas… ou ne connaît pas encore. Car en lançant le programme ECDESUP — financé par l’Agence nationale de la recherche — le laboratoire ThéMA — Théoriser et modéliser pour aménager — entend bien comprendre les logiques qui sous-tendent les choix des lieux de résidence et de fréquentation des ménages. Ces choix conditionnent en effet fortement les déplacements et les réseaux. Depuis la motorisation massive et la baisse des coûts de transport des années 70 qui ont conduit à un étalement des communes périurbaines — soutenu par une politique de la ville —, l’espace vécu, celui dans lequel un individu se représente, s’est élargi et, avec lui, le potentiel de choix et de décisions. Comprendre ces logiques nécessite une modélisation comportementale des habitants, incluant les facteurs psychosociaux à l’œuvre dans leurs décisions.

 

En procédant par enquêtes, dans quatre villes (Besançon, Strasbourg, Mulhouse et Belfort), le groupe, formé de géographes, d’économistes, de psychologues sociaux et de sociologues, dégagera les mécanismes d’accessibilité sociocognitive des lieux (attirance / répulsion envers différents quartiers de la ville, services et commerces proposés, accessibilité des espaces verts…) en fonction des catégories socioprofessionnelles des interrogés. Ces données viennent ensuite compléter des modèles théoriques de déplacement et de choix (empruntés aux modèles économiques) et des modèles numériques de simulation (basés sur la théorie des sous-ensembles flous). À terme, l’objectif du groupe est bien de simuler une croissance urbaine et les déplacements engendrés, en prenant comme matrice deux villes réelles, Besançon et Montbéliard. Deux contextes seront simulés : sans contraintes, ou en prenant en compte les politiques urbanistiques.

 

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Analyser et diagnostiquer les réseaux existants

La compréhension des flux urbains passe aussi par un diagnostic précis de la réalité, des besoins. Les trajets domicile – travail représentent 33 % des déplacements quotidiens en France. Les plans de déplacement des entreprises (PDE) — encouragés par la loi SRU de 2000 et qui visent à diminuer l’utilisation de la voiture individuelle au profit des transports en commun, du covoiturage ou des locomotions « propres » — peuvent avoir un réel impact sur les trafics. ALSTOM a sollicité le laboratoire SeT — Systèmes et transports — de l’UTBM pour diagnostiquer la pertinence du réseau de bus pour les salariés de l’entreprise. Celui-ci a alors développé une application informatique, combinant SIG — Systèmes d’informations géographiques — et algorithmes d’optimisation pour géolocaliser les domiciles et lieux de travail des salariés et les réseaux existants, optimiser un regroupement par « îlots » (en prenant en compte les distances « raisonnables » entre un domicile et un arrêt de bus), et ainsi préconiser des arrêts. Ce logiciel peut servir dans le cadre de négociations avec les autorités organisatrices des transports ou pour dimensionner un réseau interne à l’entreprise. À la demande d’un groupement d’entreprises à Saint-Louis (68), une analyse des besoins pour le déploiement de ce logiciel est en cours de réalisation.

 

À l’occasion du redimensionnement du réseau de transport urbain de Belfort, SeT a également développé un algorithme d’aide à la décision, permettant d’évaluer la couverture du réseau existant, de façon dynamique, par rapport à la demande de la population (là aussi regroupée en « îlots »). Les outils méthodologiques mobilisés pour ce logiciel s’appuient sur « l’intelligence artificielle distribuée » ou « les systèmes multi-agents » (SMA).

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Les systèmes multi-agents

 

Dans un SMA, les agents collaborent, coopèrent, négocient, se coordonnent… la métaphore sociale peut paraître surprenante pour des entités qui ne sont après tout que des programmes informatiques. Pourtant, la puissance de ces outils, nés dans les années 80, mais rencontrant un vif succès ces dernières années, réside bien dans leur capacité à reproduire et simuler des phénomènes qui échappent à l’analyse macroscopique, à l’image d’une société humaine ou d’une fourmilière.

 

Ces agents, donc, qui peuvent représenter des salariés d’une entreprise, des ménages, des lignes et arrêts de bus, ou encore des robots, sont dotés d’une autonomie d’action, de capacités à percevoir leur environnement proche et à communiquer avec les autres agents. De là, deux conceptions différentes peuvent naître : un agent est programmé pour avoir une certaine expertise ou connaissance qui lui est spécifique (agent cognitif) ou alors les agents ont peu de connaissances, un comportement simple et l’intelligence du système naît de leur coopération et de leurs échanges. Voilà qui laisse à réfléchir sur notre propre fonctionnement, individuel et social.

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Concilier, dans un modèle, le goût du périurbain et un étalement raisonné

À ces diagnostics très précis, s’ajoutent des cadres d’analyse plus globaux et systémiques. Le laboratoire ThéMA utilise les fractales pour décrire un territoire. Les fractales ont ceci d’intéressant qu’elles sont par définition multi-échelles, à l’image d’un territoire. Des travaux antérieurs ont pu démontrer, d’un point de vue théorique, la pertinence de la géométrie fractale pour modéliser un tissu urbain. Là, le modèle est utilisé pour le caractériser : à quel point offre-t-il des potentiels d’implantation et de développement en matière de services, de commerces, de loisirs et d’aménités variées ? Avec un postulat de départ : les ménages cherchent, dans la mesure de leurs moyens, à concilier proximité des espaces verts et accessibilité aux commerces, travail, loisirs…

 

Ainsi, les zones d’interface entre le bâti et l’espace vert sont très recherchées, alors que l’on sait le morcellement du territoire très préjudiciable à son harmonie.

 

Les chercheurs de ThéMA sont allés plus loin encore, en modélisant, sur ces bases, le développement de Saône, une zone périurbaine de Besançon (cette réalisation a reçu le prix Prédit* en 2005). L’outil informatique d’aide à la décision va bientôt être testé sur le secteur nord de la ville, autour de la nouvelle gare TGV. Les fondements du modèle consistent à organiser les habitations autour des services « quotidiens » (typiquement, la boulangerie) et à éloigner ceux auxquels on a recours plus rarement (par exemple, les services préfectoraux seraient dans la ville centre). Cette hiérarchisation permettrait de limiter les déplacements.

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 Simulation de l'extension de la zone urbanisée de Saône (Doubs)

Simulation de l'extension de la zone urbanisée de Saône selon une logique fractale.

Les carrés foncés correspondent à des urbanisations possibles d'après la simulation

 

 

Urbanisme et transport sont donc profondément imbriqués, chacun dépendant des stratégies politiques, mais aussi du choix comportemental des acteurs. Pour comprendre le territoire, cet équilibre est de plus à penser de façon dynamique, l’utilisation collective qui est faite d’un espace influençant sa construction réfléchie et réciproquement.

 

* Prédit — Programme national de recherche, d’expérimentation et d’innovation dans les transports terrestres.

 

 

 

Les fractales

 

Qu’ont en commun un chou-fleur, la côte bretonne et une fougère ? Ces objets de la nature ont une géométrie fractale, c’est-à-dire que le motif qui les forme est identique quels que soient l’échelle ou le zoom auxquels on regarde l’objet. Cette géométrie a la particularité d’étendre à l’infini la surface de l’objet. Ou, dans le cas d’un tissu urbain, l’interface entre les zones construites et les espaces verts, sans qu’il y ait de coupure, de discontinuité entre les zones.

 

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MOBISIM, un logiciel de simulation des mobilités

C’est pourtant toute cette complexité que le projet MOBISIM se propose de simuler. Il s’appuie sur une charpente ébauchée en 2002. Il articule trois modèles différents. La caractéristique de l’espace (simulation de la dynamique de l’occupation du sol et du développement urbain) est modélisée par des automates cellulaires. Les mobilités et le trafic, c’est-à-dire la simulation des flux sur les réseaux de transport, quels qu’ils soient, sont obtenus grâce à un modèle à quatre étapes. Enfin, le comportement des individus — où les gens s’installent-ils ? Où se déplacent-ils et pour faire quoi ? — est modélisé par un système multi-agents, en s’appuyant sur les travaux de ECDESUP.

 

Déployé sur plusieurs échelles temporelles, des déplacements quotidiens aux choix d’implantation à long terme, et sur plusieurs échelles spatiales, de la parcelle à l’aire urbaine, MOBISIM constitue un véritable outil d’aide à la décision, capable de simuler les déplacements engendrés par tel ou tel choix d’aménagement. Bientôt, à la demande de l’ADEME, les données environnementales seront également intégrées, telles que les impacts énergétiques et la pollution atmosphérique générée.

 

S’il est difficile de croire que nous pourrons parfaitement modéliser des comportements humains, intégrés dans des environnements contraignants… les travaux des géographes et informaticiens tendent néanmoins à s’en approcher, avec des résultats concluants. Le jeu en vaut la chandelle puisqu’en dépendent une meilleure qualité de vie, une sécurité augmentée et surtout un impact environnemental plus faible. Cependant, en dernier ressort, c’est bien les décisionnaires politiques qu’il s’agit de convaincre. Mais peut-être que les laboratoires arriveront également à modéliser le jeu des acteurs politiques, aux différentes échelles de décision (de l’État à la commune)…

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Mi-train, mi-voiture : le platooning

 

Résoudre les problèmes environnementaux, de sécurité et de coûts liés aux transports peut être abordé en influençant la structure des tissus urbains, mais aussi en imaginant de nouveaux types de véhicules. Accidents, coûts élevés, embouteillages, ces maux viennent en partie du très grand nombre de véhicules sur les routes. Pourquoi alors ne pas imaginer une chaîne de véhicules qui pourraient à loisir se détacher, circulant sur autoroutes ou en ville. Mi-train ou tramway, mi-camion ou voiture, ce système a un nom, le platooning. Un projet, CRISTAL, porté par LOHR et labellisé par le Pôle Véhicule du futur, étudie ce nouveau concept. SeT lui vient en aide en simulant dans un univers 3D les différents scénarios dans une zone urbaine. Car, pour répondre à une grande flexibilité, les véhicules ne seraient pas physiquement attachés entre eux. Pour se suivre, il leur faut donc un système de capteurs performants leur permettant d’analyser et de réagir aux arrêts, changements de direction, aléas de la circulation…

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Contact : Abder Koukam

Laboratoire SeT

UTBM

Tél. (0033/0) 3 84 58 30 81

 

Pierre Frankhauser

Laboratoire ThéMA

Université de Franche-Comté

Tél. (0033/0) 3 81 66 54 21

 

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