Université de Franche-Comté

Confinement : quelle efficacité sur l’évolution de l’épidémie ?

Photo : Charles Deluvio

Régulièrement sujet à discussion et à controverse, les mesures de distanciation sociale prises pour endiguer la progression de l’épidémie de COVID-19 font aussi l’objet d’évaluations scientifiques rigoureuses pour juger leur efficacité. La mesure chiffrée de leur impact est le fruit d’une méthode novatrice, mise au point par Fanchon Bourasset, professeure en neurosciences à l’université de Franche-Comté, pharmacienne de formation et pharmacocinéticienne, en collaboration avec le Pr Bruno Mégarbane, chef du service de réanimation de l’Hôpital Lariboisière, et le Pr Jean-Michel Scherrmann, professeur émérite de pharmacocinétique et doyen honoraire de la faculté de pharmacie de l’université de Paris. Les résultats obtenus confirment un net avantage des scénarios de confinement pour faire régresser l’épidémie.

La méthode s’appuie sur les enseignements de la pharmacocinétique, une discipline des sciences pharmaceutiques aux applications très concrètes au quotidien dans le domaine de la santé. « Cette discipline étudie le destin du médicament dans l’organisme, tant sur un plan descriptif que quantitatif, en évaluant la quantité et la vitesse auxquelles le médicament entre, se distribue et s’élimine de l’organisme. Les quantités et concentrations de médicaments sont mesurées au cours du temps, par exemple dans le sang ou dans les urines, et des paramètres spécifiques sont calculés à l’aide d’équations mathématiques ; ils permettent notamment de décrire les caractéristiques d’exposition et d’élimination du médicament », explique Fanchon Bourasset. C’est ainsi que se calcule le temps de demi-vie d’élimination d’un médicament, c’est-à-dire le temps nécessaire pour diviser par deux la quantité de produit actif dans l’organisme. « La demi-vie d’un médicament peut être de quelques minutes comme de plusieurs jours. Le produit est complètement évacué de l’organisme au bout de six demi-vies d’élimination. »

 

Passerelles entre pharmacocinétique et épidémiologie

Fanchon Bourasset et ses collègues ont eu l’idée d’utiliser les équations mathématiques utilisées en pharmacocinétique pour mesurer la vitesse de progression épidémique, qui présente des analogies avec la vitesse de circulation d’un médicament dans l’organisme. Le rapprochement entre la pharmacocinétique et l’épidémiologie est né du constat que leurs modèles respectifs pouvaient être organisés en compartiments, partageant de ce fait des équations et raisonnements communs. En épidémiologie, le modèle SIR est ainsi organisé en trois compartiments distinguant les personnes susceptibles de contracter la maladie (S), celles qui sont infectées (I) et celles qui ne le sont plus (R), soit malheureusement parce qu’elles sont décédées, soit parce qu’elles sont guéries. « En associant ce modèle à nos méthodes classiques de pharmacocinétique, nous avons développé une méthode d’analyse qui permet notamment, à partir de simples régressions linéaires, de calculer la vitesse d’entrée dans le compartiment (I) et ainsi d’évaluer le temps de demi-vie de progression épidémique. Cette demi-vie est en partie dépendante des conditions de circulation du virus dans la population, ce qui permet, en temps réel, d’évaluer l’efficacité des mesures de distanciation sociale sur la progression épidémique. »

Les premières analyses sont intervenues assez rapidement après les débuts de l’épidémie. Elles ont concerné la Nouvelle-Zélande, la Suède, la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les USA au printemps 2020. « En France, où le confinement était mis en place, la demi-vie épidémique était de 10 jours ; en Suède, qui n’a pas appliqué cette mesure et a préféré miser sur l’immunisation collective, la demi-vie était de 21 jours à la même période ; le temps de demi-vie variait entre 9 et 14 jours dans la majorité des autres pays étudiés, avec des mesures de distanciation sociale plus ou moins strictes et rapides. »

Photo : Céline Martin

Les résultats montrent l’intérêt d’adopter des mesures de confinement de façon précoce et sur une durée suffisante pour qu’elles soient réellement efficaces. « En Nouvelle-Zélande, on a pu constater a posteriori que la période d’isolement correspondait à dix fois la durée de demi-vie épidémique, qui était alors de 4 jours dans ce pays. Ce pays n’a pas eu depuis à faire face à une nouvelle vague épidémique. »

Les chercheurs observent que lors du deuxième confinement en France, à l’automne, la demi-vie épidémique était également de 10 jours, comme lors du premier, ce qui confirme l’idée qu’un confinement souple peut avoir la même efficacité qu’un confinement plus contraignant. Cependant, un relâchement trop rapide des mesures peut annuler la dynamique de décroissance de la vitesse de progression épidémique insufflée par le confinement, comme cela a été observé après la réouverture des magasins le 28 novembre dernier.

Le modèle mis au point par Fanchon Bourasset et ses collaborateurs a fait la preuve de son intérêt et de sa fiabilité au travers d’expériences multiples. Il permet de tirer les enseignements des mesures déjà mises en œuvre pour étudier de nouveaux scénarios de façon éclairée, et de valider très rapidement l’efficacité d’actions qui seraient entreprises localement ou à titre d’essai. Il a fait l’objet d’une publication scientifique¹ parue en janvier.

 

1 Megarbane B*, Bourasset F*, Scherrmann J-M. Is lockdown effective in limiting SARS-CoV-2 epidemic progression? – A cross-country comparative evaluation using epidemiokinetic tools. J Gen Intern Med. 2021 Jan 13:1-7.  *First-Co-authors

 

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