Il voulait faire du jazz un art du répertoire : musicien accompli, compositeur incompris, André Hodeir n’a pas réussi à réorienter le cours de l’histoire du jazz comme il en avait rêvé, ni à faire adhérer à l’idée d’une œuvre composée de jazz. Une rencontre en musique orchestrée par Pierre Fargeton, enseignant-chercheur en musicologie à l’université de Franche-Comté.
Il est adepte du be-bop et du swing, mais violoniste classique formé au conservatoire de Paris ; membre de la grande famille du jazz, mais souvent perçu comme un visiteur, européen parachuté sur une terre essentiellement afro-américaine ; pionnier de l’analyse du jazz, qu’il considère comme une véritable musique plutôt qu’un mouvement culturel : André Hodeir cultive les paradoxes tout au long d’une carrière prolifique.
Musicien applaudi par le tout Paris du jazz sous l’Occupation, auteur de nombreuses musiques de films avec son ami Henri Crolla, fondateur de son propre ensemble, le Jazz Groupe de Paris, compositeur d’une monumentale cantate, analyste et critique, directeur de la revue Jazz Hot, écrivain, Hodeir est un personnage décisif autant que discret dans l’univers du jazz.
Chercheur en musicologie au laboratoire ELLIADD de l’université de Franche-Comté, Pierre Fargeton a vécu une double rencontre avec celui qu’il considère comme « l’auteur d’une des œuvres les plus importantes de l’histoire du jazz ». Une première fois lorsqu’il décide de consacrer sa thèse de musicologie à l’analyse de l’écriture du compositeur. Une œuvre que Hodeir met volontiers entre les mains de Pierre Fargeton, jusqu’à lui confier des partitions manuscrites et inédites datant de sa jeunesse. La seconde rencontre est posthume, elle intervient après la mort d’André Hodeir en novembre 2011, lorsque le chercheur est convié par la veuve du musicien à questionner les archives personnelles de son mari.
Une nouvelle quête commence, elle éclairera de nouveaux éléments la riche biographie d’André Hodeir, notamment grâce à la découverte des lettres de Hugues Panassié qui lui sont adressées, demi-héritage d’une correspondance nourrie avec celui que Hodeir vénéra comme un maître avant d’en devenir un farouche détracteur : Panassié se pose en défenseur d’un jazz traditionnel quand Hodeir veut l’émanciper et le voir évoluer vers des formes nouvelles.
« L’interprétation d’un thème de Cole Porter est totalement différente d’un musicien à un autre. La mélodie est la même, mais les manières de se l’approprier sont multiples, car elles ne reposent sur aucune écriture préalable », explique Pierre Fargeton. André Hodeir rêvait, lui, d’un jazz d’écriture constitué d’œuvres de répertoire. Il obtient au seuil des années 1970 une certaine reconnaissance avec deux œuvres composées autour de textes de James Joyce pour un concours radiophonique européen. Mais si les pièces sont enregistrées, elles restent très peu diffusées.
« Il faut une approche longue, écouter plusieurs fois sa musique car elle est difficile », estime Pierre Fargeton. « Comment diversifier le jazz sans le tuer et comment ne mourrait-il pas s’il ne se diversifiait ? » s’interroge André Hodeir dans Les Mondes du jazz en 1970. Mais le compositeur se heurte aux traditionnalistes comme aux tenants du free jazz, pour qui l’évolution qu’il veut donner à cette musique est une négation de certains de ses principes fondamentaux comme l’improvisation. « Il s’est peu intéressé à la dimension culturelle du jazz, c’est vrai, mais ses partitions recèlent de véritables trouvailles d’écriture », conclut le musicologue.
Pierre Fargeton a obtenu la bourse des Muses 2010 pour un projet de livre sur le compositeur. André Hodeir : le jazz et son double paraîtra fin 2014 aux éditions Symétrie.
Contact : Pierre Fargeton
Laboratoire ELLIADD
Université de Franche-Comté
Tél. (0033/0) 3 81 66 56 39