Image et cinéma, y a-t-il liaison plus légitime ? Pourtant, dès lors que l’on aborde le domaine de l’indicible, de l’inimaginable, se pose la question du bien-fondé de l’image. Dans le registre de la guerre et horreurs en tout genre, quel statut et quelle valeur accorder aux documents iconographiques issus d’archives, aux témoignages filmés, aux mises en scène fixées sur pellicule ?
Images manquantes est le thème des 10e rencontres Cinéma et histoire organisées par le laboratoire IRTES – RECITS de l’UTBM les 3 et 4 décembre prochains, dans le cadre du festival Entrevues de Belfort. Réalisateurs et scientifiques porteront leur double regard sur un débat très polémique, qu’animent principalement deux courants de pensée. Le premier attend de l’image qu’elle dise tout, au risque, selon le second, de se voir interdire toute distance critique et imposer une mémoire préfabriquée, et qui, lui, préfère ne rien montrer.
Entre ces deux positions radicales, un curseur plus modéré suggère un droit à utiliser et analyser l’image malgré ses limites. « Pour un réalisateur, le choix de passer ou non par l’image procède non seulement d’une dimension éthique, mais aussi d’approches historiques et de considérations esthétiques », estime Laurent Heyberger, enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’UTBM et maître de cérémonie des Rencontres.
Pour illustrer le sujet et surtout prêter matière à la réflexion, les œuvres proposées ont été sélectionnées avec soin. D’abord Le dernier des injustes de Claude Lanzmann, réalisé d’après une interview vieille de plus de trente ans de Benjamin Murmelstein, ce rabbin chargé de faire le lien entre les prisonniers juifs et leurs tortionnaires dans le camp de concentration de Theresienstadt pendant la seconde guerre mondiale. Projeté hors compétition, le film a reçu une véritable ovation à Cannes en 2013. Lauréat de la sélection « Un certain regard » lors du même festival, L’image manquante du Cambodgien Rithy Panh, à qui les rencontres Cinéma et histoire doivent cette année leur nom, met en scène des figurines en argile palliant l’absence d’images que le réalisateur recherche en vain pour raconter ses souvenirs de l’horreur du régime Khmer rouge.
Un court et un moyen métrages se partagent l’affiche pour évoquer le génocide rwandais. Sonatubes – Nyanza, réalisé en 2012 par Arnaud Sauli, recueille le témoignage d’une jeune fille rescapée du génocide et laissée pour morte sur la colline Nyanza où elle n’est jamais retournée.
Signé Marie-Violaine Brincard en 2010, Au nom du père, de tous, du ciel raconte le refus de paysans hutus de voir leur peuple divisé en clans, et l’engagement de ces justes qui sauvèrent la vie de Tutsis au péril de la leur.
En marge de ces œuvres contemporaines, la projection de Loin du Vietnam de Chris Marker nous ramène en 1967 et au cinéma militant des Lelouch, Varda, Godard et autres Resnais qui ont tous coréalisé ce film.
« Toutes ces projections sont précédées de présentations scientifiques assurées par des spécialistes de l’histoire du cinéma, et font ensuite l’objet d’un échange avec le public », précise Laurent Heyberger.
Augustin et Marguerite, un couple de justes hutus filmés par Marie-Violaine Brincard
dans Au nom du père, de tous, du ciel. Photo Olivier Dury