Une nouvelle technique de détection permet d’observer dans une fibre optique des pics lumineux aléatoires d’une durée de quelques picosecondes, soit de l’ordre du millionième de millionième de seconde ! Un exploit signé John Dudley et son équipe de physiciens à l’Institut FEMTO-ST.
Soumis à une perturbation, un signal infime peut provoquer des événements extrêmes à des kilomètres de sa source. C’est l’effet papillon, l’un des plus célèbres effets de la théorie du chaos, à l’œuvre dans de nombreux phénomènes complexes et omniprésents dans la nature. John Dudley et ses collègues de l’Institut FEMTO-ST font partie des rares équipes de recherche dans le monde à savoir provoquer et maîtriser de telles instabilités, à l’intérieur d’une fibre optique : l’envoi d’un laser, initialement stable, provoque des pics de lumière brefs et soudains, résultant de l’amplification du faible bruit de fond du laser.
Retour sur les premières expériences. Le signal émis est périodique, et génère des impulsions tout aussi régulières et identiques. « Il est alors possible de mesurer les ondes successives par petits morceaux afin d’élaborer leur profil type », explique John Dudley. Aujourd’hui, le signal de départ provoque des pics d’une façon aléatoire et non reproductible : plus question ici d’en isoler des portions pour appréhender tant de variations de hauteurs, de durées et de fréquences. Les mesurer sur l’ensemble de la plage de temps pendant laquelle se produit le phénomène est indispensable, une expérience rendue possible par une nouvelle technique de détection ultra-rapide des signaux. Totalement originale et innovante, celle-ci atteint une résolution de l’ordre de la femtoseconde, soit un millionième de milliardième de seconde ! La prouesse s’appuie ni plus ni moins que sur la dilatation du temps, une petite révolution fomentée par John Dudley et son équipe, relayée par un article paru en décembre dernier dans le prestigieux Nature Communications.
John Dudley
« On modifie bien notre vision de l’espace, pourquoi pas celle du temps ? » suggère le physicien avec simplicité. Modifier l’espace, c’est par exemple modifier la trajectoire des rayons émis par un objet pour donner l’illusion qu’il est plus grand qu’en réalité. Un tour de passe-passe assuré par une simple loupe… Modifier le temps, c’est intervenir sur le parcours que suit une onde lumineuse. « Imaginons une impulsion lumineuse sous la forme d’un chapeau de gendarme : dans sa pente ascendante, on la ralentit, dans sa pente descendante, on l’accélère. » Résultat : un chapeau aplati comme s’il était passé sous une roue de voiture. Le signal lumineux a été étiré en modifiant le temps localement. Un peu comme on le ferait en retenant la course d’un 33 tours sur une platine ou en jouant sur une table de mixage.
« Toutes proportions gardées, le phénomène observé est ici beaucoup plus proche de ce qui se passe dans la nature », explique John Dudley. Il s’y produit des phénomènes d’une grande complexité, comme les dangereuses vagues scélérates crevant soudainement l’aspect ordinaire de l’océan, et qui sont l’application favorite des travaux du chercheur. « Dans notre expérience, les relevés font état d’un pic cinq fois plus haut que la moyenne toutes les dix mille mesures. Dans l’océan, avec les vents et les courants contraires, le phénomène est beaucoup plus rare et aléatoire. » Il n’en reste pas moins qu’en optique, les paramètres de l’instabilité sont désormais connus et reproductibles. Reste à les transposer à ce qui se passe dans la nature pour mieux comprendre des systèmes physiques comme la formation des plasmas de l’univers. Un objectif ambitieux, mais à la portée de la science…
Membre de l’Institut universitaire de France de 2005 à 2010, lauréat du grand prix de l’électronique Général Ferrié en 2009, médaille d’argent du CNRS en 2013, Docteur Honoris Causa de l’université de Bath en Angleterre (2015) et de l’université de Saint Andrews en Écosse (2016), et bientôt titulaire de deux autres de ce diplôme honorifique en Australie et en Finlande, enfin lauréat de prix de deux sociétés savantes internationales, l’Institute Of Physics (IOP) et l’American Physical Society (APS)… C’est avec modestie que John Dudley reçoit des distinctions et récompenses qui ne doivent évidemment rien aux lois du hasard. La qualité scientifique, la pertinence et l’intérêt, pour la société comme pour la science, de ses travaux en photonique non linéaire et phénomènes optiques ultrarapides, valent une reconnaissance internationale des plus vives au physicien d’origine néo-zélandaise, enseignant-chercheur à l’université de Franche-Comté depuis seize ans.
Le succès sans conteste de l’Année internationale de la lumière en 2015 n’est pas étranger non plus à la renommée du scientifique, qui a initié et porté à bout de bras cet ambitieux programme de valorisation sous l’égide de l’UNESCO et de l’ONU. « Le XXe siècle était celui de l’électronique, le XXIe siècle sera celui de la lumière », prédit John Dudley, qui en veut pour preuve les avancées spectaculaires de ces dernières décennies à mettre au crédit de la lumière. Les progrès de la médecine et des télécommunications, pour ne citer que ces domaines, en sont de formidables exemples.
continuum laser – photo Rémi Meyer
« L’Année internationale de la lumière et des techniques utilisant la lumière » a représenté pas moins de 13 000 manifestations dans 147 pays, touchant de près ou de loin plusieurs centaines de millions de personnes ! Un succès et un investissement que l’UNESCO a décidé de décliner sur le long terme avec la création d’une journée internationale de la lumière. Ce point lumineux s’affichera sur les calendriers du monde entier le 16 mai, dès 2018. Un rendez-vous récurrent pour continuer à valoriser les possibilités offertes par la lumière et à les rendre accessibles à l’ensemble des habitants de la planète. Le point d’orgue d’une démarche passionnée et humaniste, dont le rayonnement revient à la manière d’un boomerang remercier le chercheur.
Contact :
Institut FEMTO-ST
Université de Franche-Comté / ENSMM / UTBM / CNRS
Tél. +33 (0)3 81 66 64 94