Université de Franche-Comté

Bulles de poésie à travers les siècles

N’est pas poète qui veut ! Au XVI siècle, l’érudit comtois Jean-Édouard Du Monin s’y essaie et crée la controverse. D’essences différentes, la poésie occupe aujourd’hui une place de choix dans la littérature de jeunesse, à laquelle l’université dédie un parcours de master. Une formation dont le succès confirmé fait écho au dynamisme du secteur de l’édition pour enfants, stimulé par le genre poétique.

 

Verve poétique et vie romanesque

Jean-Édouard Du Monin

Genre littéraire des plus nobles, la poésie est au XVI siècle représentée par des auteurs comme Du Bellay, Ronsard ou La Boétie, parmi les plus célèbres. Le nom de Jean-Édouard Du Monin (v.1557-1586) quant à lui n’est pas passé à la postérité, malgré l’admiration qu’il suscita de son vivant. Poète, dramaturge et traducteur, Jean-Édouard Du Monin était semble-t-il cependant plus apprécié pour l’étendue de son savoir que pour la qualité de son écriture. « Quel torrent, quelle mer, quel gouffre de science ! », le qualifiait son contemporain Du Bartas, dans un quatrain élogieux composé à son intention.

Natif de Gy (70), Jean-Édouard Du Monin reçoit ses premiers enseignements de la part de son père médecin et lettré, avant d’être confié à la mort de celui-ci, alors qu’il n’a que cinq ans, à un maître d’école de son village qui l’initie à la lecture des poètes grecs et latins. Cet enfant prodige poursuit ses études à Gray puis à l’université de Dole avant de rejoindre Paris, où il espère se rendre célèbre grâce à son savoir et surtout à ses talents de poète.

Le jeune homme maîtrise le latin, le grec, l’hébreu, l’italien et l’espagnol, il étudie la philosophie, la médecine, les mathématiques, la théologie. C’est un vrai phénomène d’érudition en même temps qu’un auteur au style réputé obscur et pédant ; les différentes facettes de sa personnalité inspirent l’enthousiasme autant que le dédain, mais ne laissent visiblement pas indifférent. Sa vie s’achève prématurément et dramatiquement, de façon aussi romanesque qu’elle a été vécue : le poète est assassiné alors qu’il n’a pas même trente ans, dans des circonstances que les historiens n’ont jamais réussi à élucider.

Si les vers de Jean-Édouard Du Monin, qu’il composa dans plusieurs langues, furent vite oubliés, ses innovations orthographiques, notamment avec la composition de mots nouveaux, ont par la suite retenu l’attention des spécialistes.

 

Poésie et littérature de jeunesse

La poésie n’a pas besoin d’être entièrement comprise pour être appréciée. Les enfants le savent bien, qui se bercent de ses mots, de ses rimes, de sa musicalité. La poésie les invite à la rêverie ; associée à l’image, elle crée pour eux des univers expressifs et sensibles. Le chant de comptines ou la lecture à voix haute de textes aux accents mélodieux sont l’occasion de moments de partage privilégiés et de rituels liant les enfants et les adultes. De plus, depuis un demi-siècle, stimuler l’éveil des tout jeunes enfants est devenu un sacerdoce pour les parents ; cette tendance accroît l’intérêt porté à la littérature de jeunesse, dont la comptine est un vrai moteur pour l’édition.

Le parcours Littérature de jeunesse et patrimoine littéraire du master Livres et humanités fait écho à cette tendance, et connaît un réel succès depuis son ouverture à l’université à la rentrée 2017. « Ce parcours correspond aux attentes de nombreux étudiants qui veulent travailler dans le monde de l’édition, en bibliothèque, en librairie… », explique Yvon Houssais, respon­sable du master.

L’enseignement de la poésie fait partie intégrante du cursus Littérature de jeunesse, et Élodie Bouygues, responsable de la formation, remarque à quel point le genre trouve de l’écho auprès des jeunes générations : « Les étudiants écrivent toujours de la poésie, certains en produisent même des recueils entiers. C’est un mode d’expression un peu intime, qui leur convient ». Ce constat peut être un sujet d’étonnement. C’est que le passage de l’enfance à l’âge adulte mène la vie dure à la poésie.

Photo Patrick Tomasso – Unsplash

Dès l’école primaire, elle perd de son charme en devenant scolaire, apparentée à l’apprentissage des récitations ; au collège et au lycée, elle devient plus ardue, axée sur la compréhension de son sens et le décryptage de sa forme, rebutant plus d’un élève. Élodie Bouygues défend l’idée d’une poésie « liée à la vie, naturellement articulée à la sensibilité de chacun », plutôt que réservée à un monde savant. « Depuis le milieu du XX e siècle, la poésie est en retrait de la société, alors qu’elle était jusque-là présente au quotidien, notamment grâce aux journaux qui lui consacraient une rubrique tous les jours. » Faire de la place à la poésie contemporaine à côté du patrimoine que représentent les poèmes de Rimbaud, de Maurice Carême ou les fables de La Fontaine pourrait aider à renouer de façon plus spontanée avec ce qui est une « tonalité » avant d’être un genre littéraire.

 

Rêveries à savourer

Cette tonalité poétique est présente à chaque page des albums édités par Chocolat ! Jeunesse. La beauté des illustrations se marie à la tendre simplicité des textes pour créer des « contenus contemplatifs » qui fondent la ligne éditoriale voulue par Fabienne Roulié et Raphaël Baud, créateurs en 2007 de la petite maison d’édition comtoise. Esthétisme et qualité sont pour eux des maîtres mots, qui se lisent en filigrane aussi dans la composition des albums, le choix des papiers, la qualité de l’impression… De la naissance d’une histoire à la fabrication d’un livre, l’œuvre littéraire est une passion que les fondateurs des éditions Chocolat transmettent et partagent lors des interventions qu’ils assurent dans différentes classes de la région. Des élèves de maternelle aux étudiants de master et jusqu’aux professeurs des écoles en formation à l’INSPÉ, chacun y puise une part de rêve ou une dose de pragmatisme. « Pour les étudiants, l’accent est mis sur la professionnalisation. Il est important de mettre en lien le savoir pur, acquis à l’université, et la réalité du terrain, dans ses dimensions technique et économique. »

Fabienne Roulié et Raphaël Baud participeront à une conférence organisée en mai prochain à l’INSPÉ à l’occasion de la parution de l’album Canis lupus, dont les illustrations de Nicolas Duffaut entrent en résonance avec des poésies anciennes choisies avec la collaboration érudite d’Élodie Bouygues. Cette réunion des professionnels et des universitaires, également d’actualité dans différents colloques, intervient en faveur de la littérature française dont Raphaël Baud rappelle, fait peut-être méconnu, « qu’elle est elle-même, par sa richesse et sa variété, une véritable ambassadrice de la France à l’étranger ».

Contact(s) :
Laboratoire ELLIADD
UFC
Yvon Houssais / Élodie Bouygues
Tél. +33 (0)3 81 66 54 22 / 65 71 00

Éditions Chocolat ! Jeunesse
Raphaël Baud
Tél. +33 (0)3 84 32 20 36
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