On le sait aujourd’hui, le système immunitaire a la capacité de combattre les cellules cancéreuses autant que les autres cellules qu’il considère étrangères à l’organisme ou dangereuses.
Au service de cette lutte, les lymphocytes T sont une arme redoutable, et sont d’autant plus efficaces que leur action est contrôlée et bien dirigée : pour les aider à repérer leurs cibles, à n’en rater aucune tout en évitant les cellules saines, la thérapie cellulaire et génique les dote d’une sorte de GPS qui les guide de manière infaillible, un récepteur CAR, spécifique de la reconnaissance de cellules tumorales. Les lymphocytes T, auxquels on associe un CAR, sont appelés CAR-T-Cells.
Spécialistes de génétique moléculaire, Christophe Ferrand et Marina Deschamps travaillent depuis de nombreuses années au laboratoire Interactions hôte-greffon-tumeur & ingénierie cellulaire et génique à identifier de tels récepteurs et à les « greffer » in vitro à des lymphocytes T prélevés au patient. Ces lymphocytes génétiquement modifiés, devenus médicaments de thérapie innovante dans la nouvelle réglementation (MTI), sont réinjectés dans l’organisme du patient pour un traitement personnalisé. Avec le Dr Fabrice Larosa, hématologue, clinicien référent de la leucémie myéloïde chronique (LMC) et allogreffeur au CHU de Besançon, Christophe Ferrand et Marina Deschamps viennent de déposer un brevet pour la mise au point et la fabrication d’un nouveau CAR : le CAR IL-1RAP, molécule ciblant la protéine associée au récepteur de l’interleukine 1, un marqueur de la cellule souche leucémique LMC, objet de leurs investigations. « Cette molécule est exprimée par les cellules souches leucémiques, mais non par les cellules normales, ce qui garantit l’innocuité du traitement. » Une partie de ces cellules souches présente la particularité de rester en latence dans la moelle osseuse et de proliférer dès lors que leur activité n’est plus contenue par les inhibiteurs aujourd’hui donnés en traitement aux patients atteints de LMC. Les inhibiteurs savent contenir la maladie, en revanche ils ne peuvent la guérir. Les lymphocytes T dotés du CAR IL-1RAP sont, eux, capables de tuer toutes les cellules leucémiques, y compris les cellules « dormantes » présentes dans la moelle osseuse. La preuve en a été faite in vitro et des premiers tests sur la souris humanisée ont été menés de façon concluante.
Le dépôt du brevet devrait permettre de mener d’autres expériences chez l’animal, puis des tests cliniques chez l’homme, en associant des industriels à cette recherche prometteuse.
Le MTI qui pourrait naître de ces travaux concerne en premier lieu les patients réfractaires ou intolérants aux inhibiteurs habituellement prescrits ; il pourrait par ailleurs et dans tous les cas relayer ce traitement pour éradiquer la source de la maladie et guérir le patient. Outre la LMC, les chercheurs ont la conviction que le choix de la cible IL-1RAP et la mise au point du CAR permettant de l’identifier se révèleront également pertinents pour le traitement d’autres hémopathies ; ils entendent poursuivre leurs investigations dans ce sens.
Les CAR sont utilisés depuis environ quatre ans en France dans le cadre d’essais cliniques, et font déjà l’objet de mises sur le marché aux États-Unis. Ils ont à leur crédit 84 % de rémissions complètes dans le cadre du traitement de certaines leucémies, chez des patients réfractaires à plusieurs lignes de traitements, et constituent une voie d’avenir reconnue par les scientifiques et les médecins. En Franche-Comté, le contexte est particulièrement favorable à la recherche et au développement des thérapies CAR et plus généralement des traitements de thérapie innovante. Les travaux de Christophe Ferrand et Marina Deschamps bénéficient du soutien du Pr Olivier Adotevi, responsable de l’équipe Cancer et réponses immunitaires au sein du laboratoire, d’une collaboration étroite avec les praticiens du CHU, et d’un environnement technologique, scientifique et industriel de premier plan, dont on peut citer à titre d’exemple la plateforme de préparation de médicaments de thérapie innovante dirigée par le Dr Fabienne Pouthier à l’EFS Bourgogne – Franche-Comté, l’une des rares plateformes académiques françaises répondant aux normes européennes pour la fabrication de tels médicaments.