On dirait presque un jeu de société dans lequel le gagnant serait le plus vertueux de tous les joueurs. Sauf que dans ce jeu organisé à l’échelle de la planète, engageant rien de moins que son devenir, les règles sont peut-être trop floues pour véritablement aller dans le sens de l’intérêt collectif. Le principe ? Pour lutter contre les émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre responsables du changement climatique, des industriels disposent de permis de polluer : s’ils dépassent les quotas fixés, ils sont susceptibles de payer des pénalités. Mais ils peuvent aussi acheter de nouveaux droits auprès d’entreprises qui ne les auraient pas utilisés. En Europe, les participants sont tous les États membres de l’Union, auxquels s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Le dispositif est issu du protocole de Kyoto, qui en 1997 a posé les bases de ce mécanisme au niveau mondial, inspiré du principe du pollueur-payeur. En 2005, le protocole entre en vigueur et Maria Mansanet Bataller démarre sa thèse en finance : c’est le sujet des permis négociables que la doctorante choisit de traiter, et qu’elle continue à intégrer à ses recherches, aujourd’hui enseignante à l’université de Franche-Comté et membre du CRESE.
« Il existe deux moyens d’évaluer et de faire payer le prix des émissions de CO2 : la taxe carbone, qui s’applique à de nombreux domaines d’activité comme l’agriculture ou les transports, et le marché, sur lequel s’échangent les droits à polluer, délivrés en fonction du volume d’activité de l’entreprise, un système imaginé pour responsabiliser les entreprises industrielles et les inciter à réduire leurs émissions, notamment en modernisant leur appareil de production. »
Les secteurs concernés sont essentiellement ceux exploitant des énergies fossiles (raffineries de pétrole…), les producteurs d’acier, de ciment, de papier, de céramique, et la chimie. Le terme de carbone est ici employé de façon générique : outre le CO2, il comprend le méthane, le protoxyde d’azote, l’ozone et les chlorofluorocarbures, qui sont tous des gaz à effet de serre, et dont les émissions sont converties en équivalent CO2 pour l’établissement des droits à polluer.
Cette bourse du carbone n’est pas un marché financier comme les autres. Il est régulé par la Communauté européenne, qui a la possibilité de modifier les principes de son fonctionnement.
Un permis correspond à une tonne équivalent CO2 émis. « Son prix est fixé par le marché, très volatil, car dépendant d’un nombre important de facteurs comme le coût du pétrole, du gaz, du charbon, ou encore les conditions climatiques qui ont une influence sur la consommation d’énergie. » Maria Mansanet Bataller analyse régulièrement les variations des prix des quotas et les comportements de ce marché particulier. Après des valeurs très basses observées pendant plusieurs années, le cours du permis se situe depuis avril 2019 entre 25 et 30 € ; ce prix est jugé encore trop peu élevé par les économistes pour inciter les entreprises à investir dans des solutions durables plutôt que payer des droits à polluer supplémentaires.
« Le minimum dissuasif est estimé à 40 €. En dessous de ce seuil, certaines entreprises achètent puis échangent les permis qui sont en excédent sur le marché, la spéculation l’emporte. »
Les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 22 % dans la Communauté européenne (chiffre 2016) ; ce résultat louable ne saurait cependant être seulement imputé à la mise en place du dispositif en 2005 ; il résulte aussi de la baisse des activités industrielles liée à la crise de 2008.