Université de Franche-Comté

Botanique : L’héritage de Jean-Jacques Rousseau

« Je suis occupé maintenant à mettre en ordre un très bel herbier, dont un jeune homme est venu ici me faire présent, et qui contient un très grand nombre de plantes étrangères et rares parfaitement belles et bien conservées. Je travaille à y fondre mon petit herbier que vous avez vu dont la misère fait mieux sortir la magnificence de l’autre. Le tout forme dix grands Cartons ou volumes in folio qui contiennent environ quinze cent plantes, prés de deux mille en comptant les variétés. J’y ai fait faire une belle caisse pour pouvoir l’emporter partout commodément avec moi. Ce sera désormais mon unique bibliothèque et pourvu qu’on ne m’en ôte pas la jouissance je défie les hommes de me rendre malheureux désormais.»

Lettre de Rousseau à son ami DuPeyrou, 10 juin 1768

 

« A voir si les deux ne seroient point la même plante. Je doute de l’agrostis capillaris« 
Commentaire de J.-J. Rousseau

La vocation de botaniste de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) n’est que peu connue comparée à son aura d’écrivain, de philosophe et même de musicien. Pourtant cette passion qui l’amène à la confection d’herbiers est bien plus qu’un simple passe-temps. Dans un projet mêlant botanique, littérature et informatique, les herbiers de Rousseau se prêtent à une recherche d’envergure à l’université de Neuchâtel.

Une série de 15 petits classeurs cartonnés rouges, propriété depuis 1953 du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, après être passée dans les mains d’un antiquaire, d’un marquis et d’un grainetier ; deux volumes reliés par des rubans de coton rose remis à la jeune Madelon Delessert en 1774 et conservés par ses descendants jusqu’en 2001, date à laquelle ils sont acquis par la ville de Montmorency… l’inventaire des herbiers confectionnés par Jean-Jacques Rousseau peut se poursuivre ainsi dans toute l’Europe, de Londres à Zurich, de Paris à Neuchâtel. La passion de la botanique anime le philosophe pendant les 15 dernières années de sa vie, pendant lesquelles il connaît une période d’exil en territoire neuchâtelois.

Aujourd’hui les chercheurs de l’université de Neuchâtel s’attachent à étudier et à mettre en valeur les collections qu’il a réalisées, dans un projet Sinergia soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Le projet1 comprend la numérisation du dernier herbier de Rousseau pour le mettre à disposition sur le net et l’étude de diverses collections, l’ensemble offrant de façon originale un terrain d’étude pour l’histoire littéraire, l’histoire des sciences et la botanique contemporaine.
Ce projet est porté à l’université de Neuchâtel par Jason Grant, professeur en botanique, et par Nathalie Vuillemin, professeure en littérature et savoirs. Il a été initié et sera coordonné par Timothée Léchot, historien spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, et Pierre-Emmanuel Du Pasquier, botaniste et taxonomiste.

1 « Héritages botaniques des Lumières : exploration de sources et d’herbiers historiques à l’intersection des lettres et des sciences »

 

Herbier virtuel

Plantes séchées, conservées entre les pages de Gillet de Moivre, la Vie et les amours de Properce, chevalier romain, Amsterdam, 1744

Très fragile, l’herbier conservé à l’UniNE compte 3 000 échantillons, dont certains des végétaux présentés sont le fruit de récoltes de scientifiques reconnus. Ainsi le naturaliste français Jean-Baptiste Christian Fusée-Aublet, qui a particulièrement étudié la flore des Antilles et signé la célèbre Histoire des plantes de la Guiane Françoise en 1775, confie de nombreux échantillons à Rousseau. « Ces spécimens, ainsi que les manuscrits du savant, sont intéressants pour saisir la représentation de la flore des Antilles qui se dessine à l’époque, et pour comprendre le programme de « botanique coloniale » dirigé depuis Paris, explique Nathalie Vuillemin. L’étude donnera aussi la possibilité de faire des progrès considérables dans la typification de ces plantes tropicales ».

L’exploration d’autres latitudes ne laisse pas oublier les caractéristiques de l’environnement local, avec là aussi des spécimens et des manuscrits hérités de botanistes chevronnés. Les Neuchâtelois Jean-Antoine d’Ivernois, Abraham Gagnebin et Jean-Frédéric Chaillet sont en effet à l’origine de la première étude systématique de la flore de leur région. « Rousseau entre en contact avec ces botanistes locaux dès son arrivée à Neuchâtel, raconte Jason Grant. Il organise ses promenades en fonction des plantes qu’il souhaite récolter, et se montre fasciné par toutes sortes de végétaux, même les lichens et les mousses. Il a contribué sans le savoir à construire un corpus botanique de premier plan ».

Au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle en Europe, les sciences de la vie ont un rôle important dans la production littéraire et dans la réflexion philosophique. À côté d’autres figures marquantes comme Diderot ou Goethe, Rousseau ne fait pas exception à la règle. Ce que la nature apporte à l’être humain est un questionnement qui habite l’ensemble de son œuvre, dont Les confessions ou Les rêveries du promeneur solitaire sont de bonnes illustrations.
La recherche scientifique conduite à partir des herbiers de Rousseau est « le point de départ d’une réflexion ambitieuse sur l’alliance entre les sciences et les lettres au XVIIIe siècle, et sur l’héritage botanique des Lumières ». Le projet, programmé pour quatre ans, est doté d’un budget de plus de trois millions de francs suisses.

Contact(s) :
Laboratoire de génétique évolutive
Université de Neuchâtel
Jason Grant
Tél. +41 (0)32 718 39 58

Institut de littérature française
Université de Neuchâtel
Nathalie Vuillemin
Tél. +41 (0)32 718 17 60
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