Université de Franche-Comté

Black Friday, pourquoi ça marche si bien ?

Soldes par ici, bonnes affaires par là… Monsieur Malin et Madame Coquette ne savent plus où donner de la tête lorsque s’annonce le Black Friday… Sans vouloir offenser leur capacité de discernement, les neurosciences expliquent en quoi le cerveau est impliqué dans cette grande aventure de la consommation…

 

Photo Harry Cunningham – Unsplash

 

Save the date ! Le Black Friday aura officiellement lieu cette année le 25 novembre… L’événement made in USA cartonne depuis une petite dizaine d’années en France et en Suisse, où il prend ses aises en passant parfois du seul Vendredi noir à trois, voire sept jours, prenant alors logiquement le nom de Black Week. Dévolu aux soldes et rabais en tous genres, en boutique comme en ligne, ce grand jour, ou plus donc si affinités, gagne toujours de nouvelles enseignes et continue à passionner les foules, galvanisées à la perspective des bonnes affaires qui s’offrent à elles.

Pourquoi un tel engouement pour un événement par ailleurs dénoncé pour des pratiques commerciales souvent trompeuses, et accusé de pousser à la surconsommation ? La faute au striatum, répond Julien Intartaglia, doyen de l’Institut de la communication et du marketing expérientiel à la Haute école de gestion Arc. Le striatum est une partie du cerveau qui s’active lors de l’expérience du désir et du plaisir et même avant, par anticipation. Que cette fonctionnalité entre en phase avec le conditionnement auquel le cerveau est soumis depuis l’avènement de la société de consommation, et les conditions sont réunies pour assurer la réussite d’une opération aussi lucrative que celle du Black Friday.

 

 

 

 

Accros du shopping

« Nous sommes des êtres de réflexe, nous agissons toute la journée avec des automatismes tels que dire bonjour le matin. Cette façon de fonctionner, mécanique, est également à l’œuvre lors d’un événement comme le Black Friday, qui profite du fait que l’être humain, dans nos sociétés, existe par la consommation et qu’il en veut toujours plus », explique Julien Intartaglia. Résultat de ce formatage neuropsychologique : on sort la carte bleue en quelques secondes pour profiter d’une offre alléchante, sans même se poser la question de la pertinence de l’achat.

Les marques et les publi­citaires jouent habilement sur ce ressort, organisant des ventes flash ou annonçant des stocks très limités. Il n’y en aura pas pour tout le monde est l’argument suprême, qui marche à tous les coups. « Le cerveau dit qu’il n’est pas possible de passer à côté d’une telle aubaine. C’est le même mécanisme que lorsque quelqu’un gagne 50 000 € avec cinq bons numéros au loto : sa première réaction n’est pas de se réjouir de la somme qu’il a gagnée, mais de regretter celle qu’il aurait pu avoir si les six numéros étaient sortis… »

 

 

Le système 1 aux commandes de notre quotidien

Dans son ouvrage Neuro-communication. Le cerveau sous influence, Julien Intartaglia montre comment le fait que nous agissons le plus souvent par automatisme est une disposition naturelle favorable à la manipulation. L’auteur appuie son argumentation sur les travaux de Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002, qui explique que notre cerveau fonctionne selon deux systèmes : le système 1 est celui de la pensée rapide, celui de la routine, de la répétition de schémas qui ont déjà fait leurs preuves devant un choix à opérer. C’est ainsi que sans trop avoir à y penser, nous savons changer de file en toute sécurité pour doubler sur l’autoroute, nous évitons spontanément de nous installer à côté d’individus inquiétants dans le métro ou nous adoptons machinalement les bons gestes pour préparer du café le matin. Le système 2 est à l’inverse celui de la réflexion, il est sollicité lorsque nous devons prendre une décision importante ou porteuse d’enjeux, comme acquérir une maison ou choisir une destination de vacances ; il exige plus d’efforts de la part de l’individu.

Le système 1 est celui que nous mobilisons le plus, ce qui économise notre énergie et notre capacité d’attention, mais ce qui laisse aussi la porte ouverte aux stéréotypes, aux normes et nous rend « fainéants au quotidien ». Notre cerveau est ainsi disposé à absorber des messages de tous ordres, qu’ils proviennent d’annonceurs publicitaires, de médias ou de gouvernements, cela d’autant plus qu’ils sont répétitifs et bien choisis.

Parmi les expériences qui soulignent la vulnérabilité de notre cerveau, celle-ci est très connue et parlante : c’est un exercice au cours duquel il faut répondre très rapidement aux questions suivantes : « Quelle est la couleur de la neige ? D’une feuille de papier ? De la farine ? » Après avoir ainsi amorcé sur la couleur blanche, on demande : « Que boit la vache ? » La plupart des gens répondent, de manière automatique, que la vache boit du lait…

Entre apprentissages inconscients, croyances, biais cognitifs… reste-il un espace pour le libre arbitre dans nos têtes ? Spécialiste de l’étude des mécanismes d’influence et des sciences du comportement, Julien Intartaglia propose dans son ouvrage d’éclairer sur la façon que nous avons de raisonner et d’agir, pour mieux prendre conscience des pressions et manipulations auxquelles nous sommes régulièrement soumis. Pour illustrer ses propos, il décrypte des situations qui nous touchent tous de près : le pouvoir de la consommation, le rapport à l’argent, la communication autour de la Covid-19, les croyances concernant les énergies « vertes ».

Dans un chapitre intitulé Guide des dix expériences en neuromarketing, l’auteur expose des analyses profitables au consommateur comme au communicant. Il montre à quelles conditions des messages sanitaires tels que Mangez cinq fruits et légumes par jour peuvent avoir de l’impact, comment le manque de temps fait focaliser notre attention sur les centres des linéaires lorsque nous allons au supermarché, ou encore pourquoi nous sommes plus attirés par une publicité statique qu’un message animé sur internet.

Un bon conseil de l’auteur ? « Lisez, restez ouverts à toutes les formes de connaissance et connectez-les ensemble, car ce n’est qu’avec de la matière que ce monde si compliqué vous paraîtra plus intelligible ! En le comprenant, vous aurez plus d’agilité pour évoluer dans le monde actuel, voire de vous en défaire… » Lisez, à commencer par cet ouvrage à la fois très instructif et facile d’accès, rempli de démonstrations et d’exemples, qui ne peut qu’éveiller la réflexion.

 

 

Intartaglia J., Neuro-communication. Le cerveau sous influence, Éditions De Boeck Supérieur, 2022
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