Université de Franche-Comté

Au jardin botanique, on sait parler aux fleurs

Attentifs à l’éclosion d’un pétale, à la croissance d’une feuille, les spécialistes du jardin botanique veillent scrupuleusement au bien-être des milliers de plantes qu’ils cultivent, conservent et étudient dans leurs serres et plates-bandes. La sauvegarde des espèces menacées fait partie de leurs missions, et le sol comtois recèle certaines raretés qu’ils s’appliquent à protéger.

 

Rendre la nigelle à l’état naturel

Petite fleur bleue, blanche ou rosée, la nigelle des champs (Nigella arvensis) pousse en terrain calcaire au gré des moissons.

jeunes pousses

Plus discrète que le coquelicot, elle accompagne comme lui la croissance des blés, des orges et autres céréales, mais tend à disparaître en raison de sa grande sensibilité aux pesticides. En Franche-Comté, elle n’est présente que sur un site, à proximité de Champlitte, en Haute-Saône. Précieusement récoltées par des botanistes de terrain, ses graines sont mises en culture au jardin botanique de Besançon dans l’espoir de sauvegarder la population franc-comtoise de l’espèce, et de la faire renaître dans son milieu naturel.

Un travail scientifique s’appuyant sur l’examen de la littérature existante et la réalisation de tests en laboratoire, pour lui donner les meilleures chances possible de réussite. L’opération semble en bonne voie puisque après deux années de soins adaptés, 30 graines rescapées et recueillies ont donné naissance à 200 000 nouvelles graines, qui seront semées sur leur site d’origine. Avec l’espoir que l’espèce puisse de là prospérer et se diffuser. « Différentes nigelles existent sous forme de plantes cultivées, mais il est important de ne pas polluer génétiquement la plante sauvage », explique Arnaud Mouly, enseignant-chercheur et directeur du jardin botanique de Besançon. Car la nigelle des champs, comme tant d’autres, participe au bon fonctionnement de l’écosystème dans lequel elle évolue, assurant ressources nutritives aux insectes et pollinisation.

 

Revoir briller la saxifrage dorée

saxifrage dorée

Saxifrage dorée
© Jardin botanique de Besançon

Les tourbières et zones humides sont le domaine de prédilection de la saxifrage dorée (Saxifraga hirculus). En France, seule une station, située dans le secteur de Frasne dans le Doubs, peut s’enorgueillir de la voir fleurir en été. Sa rareté a incité le ministère de l’Environnement à engager en 2012 un plan d’action pour assurer sa survie. Ce plan prévoyait la préparation d’un protocole de mise en culture très précis, sur lequel plusieurs jardins botaniques français et suisses ont planché. Les résultats obtenus ont conduit à élire la proposition bisontine comme modèle, un modèle qui sera notamment repris en Suisse où, là aussi, la saxifrage dorée est en voie d’extinction. « La culture de cette plante est très dépendante des propriétés physico-chimiques des substrats, d’autant qu’elle ne supporte pas la compétition. La tourbe doit être recouverte de mousse, en quantité suffisante pour que la plante puisse se marcotter à l’intérieur, mais pas trop pour qu’elle ne l’étouffe pas », racontent Isabelle Diana-Mathé, botaniste et responsable conservation au jardin, et Cédric Bouvier, responsable du programme.

Moins d’une centaine de pieds seulement subsistait lors du lancement du programme, et très peu de graines étaient viables pour une mise en culture. Aujourd’hui, la « production » atteint 1 000 plants par an. Grâce aux premières réimplantations, ce sont également près de 1 000 pieds de saxifrage qu’on dénombre dans leur milieu d’origine. Une œuvre patiente, car pour que la réintroduction de la plante soit une réussite, plusieurs tourbières sont en cours de restauration, notamment grâce au rebouchage de drains, au reméandrement de cours d’eau… C’est en effet la dégradation des milieux qui est responsable de la disparition de la saxifrage dorée, un phénomène que la collecte sauvage a accentué. Des suivis réguliers sont effectués pour contrôler l’efficacité du protocole et des actions engagées sur le terrain, et donnent lieu à des rapports scientifiques.

 

La gentiane croisette au secours de son papillon

Protégé en France, le papillon répondant au joli nom d’azuré de la croisette (Phengaris alcon) doit sa survie à une fleur à laquelle il est très attaché. C’est pourquoi la gentiane croisette (Gentiana cruciata L.) bénéfice d’une attention particulière. L’azuré est incapable d’assurer sa reproduction en l’absence de la gentiane, car il pond ses œufs sous les boutons des fleurs, dont sa larve se nourrit. La progéniture du papillon, en tombant au sol dès lors qu’elle a évolué à l’état de chenille, libère des phéromones qui ressemblent à s’y méprendre à celles que produisent les reines des fourmis. Et justement les fourmis s’y laissent prendre, entraînant une nymphe dans leur colonie comme s’il s’agissait d’une reine. Le futur papillon profite sans complexe de ce traitement de faveur, qui lui permet de se nourrir à moindre frais jusqu’à maturité.

Phengaris alcon rebeli Hirschke adulte ©Tristan Lafranchis

Phengaris alcon rebeli Hirschke adulte ©Tristan Lafranchis

Si l’hôte indélicat perturbe le monde des fourmis, il n’en reste pas moins une espèce protégée par l’Homme. Pour assurer sa sauvegarde, il convient de rendre le milieu naturel plus propice à sa reproduction, et donc de favoriser la gentiane, plante de pâturages calcaires trop souvent fauchée en pleine floraison estivale. Des graines, là encore mises en culture ex-situ, donnent naissance à des plants, qui sont réintroduits en Haute-Saône pour aider la gentiane à proliférer dans un milieu où les fauches sont désormais limitées. Et si le papillon n’y a pas encore montré le bout de ses ailes bleutées, les conditions sont réunies pour qu’il élise à nouveau domicile dans les prairies comtoises. Qu’on se le dise dans les fourmilières : il faudra à l’avenir faire preuve de plus de discernement, l’azuré de la croisette revient…

 

 

Jardiniers-botanistes spécialisés

Neuf collaborateurs contribuent par leurs compétences et leurs soins à la conservation, à la reproduction et à l’étude de plus de 5 000 espèces différentes, provenant des quatre coins du monde. Tous titulaires d’un diplôme délivré à Besançon et unique en France, les jardiniers-botanistes qui s’en occupent sont spécialisés dans des domaines particuliers, comme les collections médicinales, les collections aquatiques, les plantes de montagne ou encore celles héritées de l’Antiquité.

 

Les partenaires des programmes :

• Nigelle des champs : Conservatoire botanique national de Franche-Comté – Observatoire régional des invertébrés (CNBFC-ORI) et Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté
• Saxifrage dorée : CNBFC-ORI
• Gentiane croisette : Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté

Contact(s) : Jardin botanique de Besançon - Arnaud Mouly / Isabelle Diana-Mathé - Tél. +33 (0)3 81 66 64 49 / 57 78 - arnaud.mouly[at]univ-fcomte.fr / isabelle.diana[at]univ-fcomte.fr
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