Université de Franche-Comté

Arctique : glacial, mais le premier à se réchauffer

Sur la carte climatique mondiale, l’Arctique est en alerte rouge : c’est là que le réchauffement est le plus rapide. Les chercheurs du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté en ont régulièrement la preuve dans leurs études ; la plus récente montre que des algues microscopiques font revenir à la vie biologique un lac situé à l’extrême Nord du Groenland.

 

À la pointe du Groenland, Kaffeklubben est le lac le plus au nord du monde. Sortant de plus de 2 000 ans d’une léthargie glacée, il reprend vie depuis les années 1980 sous le coup d’une intense production biologique liée au processus de réchauffement climatique. C’est en effet depuis cette époque que le colonisent à nouveau les diatomées, ces petites algues très sensibles, entièrement disparues des eaux du lac depuis 2 400 ans pour cause de froid extrême.

Diatomées de toutes formes

 

 

En post-doctorat à Chrono-environnement pendant près de trois ans, la canadienne Bianca Perren est l’une des rares spécialistes au monde à étudier les diatomées sur le long terme. Son analyse de leurs squelettes siliceux parfaitement conservés  dans  les  sédiments  du  lac  porte  la  connaissance du  phénomène  climatologique  à  une  séquence  de  3 500 ans, représentant toute la vie du lac depuis sa formation. « Si le lac gelé se réchauffe peu à peu depuis les années 1850, marquant la fin du Petit Âge Glaciaire, la réapparition puis la prolifération des microalgues depuis trente ans est, sans équivoque, liée au réchauffement climatique : cette zone extrême n’enregistre aucun apport atmosphérique provenant d’une quelconque activité humaine. »

En revanche, le phénomène de l’amplification arctique fait écho au problème climatique : en raison de la diminution de la surface blanche de neige et de glace, le réfléchissement de la lumière du Soleil n’est plus assuré comme auparavant et les rayons ont un impact plus fort ; la couverture nuageuse, souvent importante, apporte sa contribution à l’effet de serre.

Les deux processus se conjuguent pour accentuer les conséquences du réchauffement climatique, qui voit l’été 2011 afficher les plus hauts records de température jamais enregistrés au Groenland depuis deux siècles d’observation météorologique, et la fonte de la banquise atteindre des records au cours de l’année 2012.

 

 

Des carottes pour Green Greenland

En 2006, une équipe de chercheurs du laboratoire Chrono-environnement effectue ses premiers repérages sur le sol du Groenland. L’intérêt se voit confirmé d’en faire un terrain d’études en paléoenvironnement. D’expéditions en observations, les recherches prennent peu à peu de l’ampleur et aboutissent en 2011 à l’élaboration, pour cinq ans, du programme ANR Green Greenland, avec d’autres laboratoires français.

À Besançon, Émilie Gauthier et Vincent Bichet, enseignants-chercheurs à Chrono-environnement, sont responsables de la mission groenlandaise, portant sur la compréhension du climat et sur l’impact environnemental de l’activité humaine dans l’une des rares régions du monde où une occupation intermittente autorise des comparaisons temporelles inédites.

Les études sont toutes basées sur le prélèvement, par carottage, des dépôts accumulés au fond des lacs depuis plusieurs milliers d’années. « L’analyse des sédiments, des pollens et des diatomées apporte des informations qui se complètent pour donner une vue d’ensemble de l’histoire des événements », raconte Émilie Gauthier.

Six ans à peine après la pose de leurs premiers jalons, les chercheurs du laboratoire Chrono-environnement sont internationalement reconnus pour leur expertise sur cette région du monde.

Le Groenland n’est pas qu’une terre gelée

Si la renaissance du lac est spectaculaire, il ne faudrait pas croire le Groenland figé de toute part dans la glace. Les Vikings ne s’y sont pas trompés, qui ont installé des colonies sur les côtes plus accueillantes du Sud-Ouest de l’île à la fin du Xe siècle. « Avec un mode de vie basé sur le pastoralisme, les Vikings ont subsisté malgré des conditions difficiles pendant près de 450 ans au Groenland, avant d’être vaincus par les conditions extrêmes du Petit Âge Glaciaire », explique Charly Massa, sédimentologue.

Ferme groenlandaise au bord du lac d’Igaliku ; en arrière-plan le fjord d’Erik-le-Rouge (photo Hervé Richard)

Le jeune chercheur a montré dans sa thèse que les mesures d’amélioration de la productivité agricole (mécanisation importante et recours massif aux engrais) depuis les années 1980 sur ces zones côtières, s’ajoutant aux effets du réchauffement climatique, ont bien plus impacté la région que 450 années d’occupation viking ou que la relance de l’agriculture au début du XXe siècle.

Aujourd’hui, 60 000 personnes vivent au Groenland. Le Sud-Ouest de l’île présente un visage similaire à celui des Alpes ou des Pyrénées à haute altitude. L’augmentation des températures, 15°C en moyenne l’été, y autorise désormais des cultures jusqu’alors inédites, comme celle de la pomme de terre.

Le réchauffement climatique, ici encore plus qu’ailleurs peut-être, représente des enjeux énormes : l’ouverture de voies maritimes dans l’océan Arctique, l’exploitation des ressources minières de l’île, de nouvelles conditions de vie permettant de s’affranchir de la tutelle du Danemark ?…

 

 

 

 

 

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