Des bâtiments abritant en rez-de-chaussée soixante-dix boutiques ouvertes sur la rue, surmontées à l’étage d’une trentaine d’appartements : si cette description évoque la rue commerçante d’un centre-ville actuel, elle fait en réalité référence à un quartier disparu depuis près de deux mille ans, dont les vestiges ont été mis au jour à la faveur de fouilles archéologiques préventives à Sainte-Colombe-lès-Vienne (69), à proximité de la cité antique de Vienne (38). La ville était déjà célèbre pour la richesse des découvertes faites sur son territoire, elle l’est davantage encore depuis les investigations menées sur ce site, qui offre les témoignages majeurs de deux périodes d’occupation gallo-romaine et marque les esprits par son surnom de « petite Pompéi française ».
Ici, c’est en raison d’incendies que la ville, par deux fois, a été enfouie sous les déblais et les cendres qui ont conservé dans un état remarquable les bâtiments et les objets abandonnés par les habitants en fuite. Des témoignages de vie figés dans un instantané, ensevelis jusqu’à l’intervention d’Archeodunum et de Benjamin Clément, qui en 2017 a dirigé les fouilles pour cette société lyonnaise. Benjamin Clément est aujourd’hui enseignant-chercheur en archéologie de la Gaule romaine à l’université de Franche-Comté / laboratoire Chrono-environnement. « Si cette découverte est exceptionnelle, elle l’est avant tout par les dimensions hors normes du site, qui s’étend sur près d’un hectare et donne des éléments d’information très complets sur ce que pouvait être la vie dans la cité. »
Le premier incendie a surpris les habitants à l’aube des années 70 après Jésus-Christ. C’est de cette époque que date l’ensemble d’échoppes artisanales, de boutiques, de forges, de tavernes et de logements. « L’étage s’est littéralement effondré, laissant le contenu des appartements au sol, une configuration permettant leur inventaire exhaustif. » Un fait rare, sinon unique pour cette période. Les archéologues ont identifié jusqu’à deux mille objets par logement, batterie de cuisine, maquillage, bijoux, matériel d’écriture, ustensiles en tous genres, outils… C’est la vie quotidienne de tous les occupants de la maisonnée qui est ainsi révélée, y compris celle des esclaves, dont il est ici démontré que même la classe moyenne en possédait. Après la catastrophe, le quartier est reconstruit et prend une allure plus résidentielle.
Les boutiques laissent place aux maisons cossues. Mais ces domaines sont malheureusement ravagés par un nouvel incendie, au début du IIIe siècle. Les pièces maîtresses léguées par cette époque sont des mosaïques d’une grande qualité d’exécution, particulièrement bien préservées, représentant des scènes antiques telles que l’enlèvement d’une ménade (nymphe) par le dieu Pan, ou le dieu Bacchus abreuvant de vin sa panthère. Au total, ce sont six siècles d’occupation que les fouilles ont divulgués dans quatre mètres de profondeur, les vestiges des deux incendies étant les mieux conservés.
« À Pompéi, les pillages ont brouillé les cartes. Toutes proportions gardées, le site de Sainte-Colombe est également d’un intérêt majeur car tout est resté sur place, et la découverte de certains objets est pour le moins inhabituelle. » Ainsi cet équipement de légionnaire, vêtements, chaussures, armure, lance, poignard, glaive : c’est le troisième à avoir été trouvé sur le territoire de l’ancien l’Empire romain et c’est aussi le plus complet. Ou encore ces feuilles d’argent entreposées dans un petit coffre : destinés à être déposés en offrande dans un sanctuaire, ces ex-voto n’avaient encore jamais été trouvés dans un contexte domestique, et les archéologues attendent avec impatience que leur restauration puisse livrer le nom du donateur qui y est inscrit.
Avec la collaboration d’autres scientifiques en France, Benjamin Clément poursuit le travail d’analyse, de traitement et d’interprétation des vestiges découverts à Sainte-Colombe, un site classé « découverte exceptionnelle » par le Ministère de la culture ; ce label avait autorisé le prolongement des fouilles, avant que les restes du quartier antique ne retombent dans l’oubli sous de nouvelles constructions.