Université de Franche-Comté

Apprendre en famille à se servir des outils

Chez les chimpanzés, l’apprentissage des techniques se fait en famille. Et pas toujours dans le sens parents-enfants. C’est l’une des conclusions d’une étude menée au laboratoire de cognition comparée de l’université de Neuchâtel et au plein cœur de la forêt ougandaise, où quelque soixante-dix chimpanzés de la communauté Sonso se prêtent volontiers à l’observation scientifique.

 

Little O s’amuse avec une brindille

Rien de tel qu’un bon environnement familial pour apprendre… Et en matière de nouvelles technologies, chez les chimpanzés comme chez les humains, ce sont plutôt les jeunes qui en remontrent aux aînés. L’apprentissage de l’utilisation de nouveaux outils chez les chimpanzés est affaire de famille, c’est ce que révèle une étude menée en Ouganda auprès de la communauté Sonso par Noémie Lamon, doctorante au laboratoire de cognition comparée de l’université de Neuchâtel.

« Chez les chimpanzés, dont les conditions d’existence et les habitudes alimentaires ne varient guère depuis des siècles, les techniques n’évoluent que très peu, explique la jeune chercheure. Ce sont souvent les jeunes qui font preuve d’innovation par leurs jeux, les manipulations développées précédant alors l’emploi d’un objet à des fins utilitaires. »

Mais de nouvelles pratiques liées à ces découvertes ne seront adoptées que si une pression sociale se fait sentir au sein du groupe. C’est ainsi que les chimpanzés de la communauté Sonso, pour récupérer de l’eau riche en minéraux et la boire, se sont mis à fabriquer des éponges non pas avec des feuilles, comme le font tous les chimpanzés, mais avec de la mousse, beaucoup plus absorbante.

Malin et nonchalant comme un singe

Upesi machonne une éponge en feuilles

Ce comportement, observé par des chercheurs en 2011, a été développé par certains singes alors en quête d’eau dans une zone argileuse qu’ils fréquentent peu habituellement, et où ils ont opportunément trouvé ce type de végétation. Les huit chimpanzés concernés semblent cependant avoir très vite abandonné la fabrication d’éponges en mousse. Sans doute moins pressés par l’obligation de trouver de l’eau et de recourir à l’objet le plus efficace possible, ils reviennent alors à la bonne vieille méthode, celle des feuilles. En 2014, Noémie Lamon veut en avoir le cœur net et retourne à l’endroit où le comportement avait originellement émergé trois ans plus tôt, pour y placer de la mousse collectée dans les environs : elle constate que les chimpanzés reprennent la fabrication des éponges avec la mousse. La technique, même si elle n’était plus utilisée, comptait toujours au nombre des savoir-faire des chimpanzés de la communauté Sonso.

Le nombre d’individus capables de reproduire ce geste de fabrication est aujourd’hui passé à vingt-cinq, et les chercheurs ont constaté que la transmission du savoir-faire s’est produite au cœur de la cellule familiale. « Ce comportement provient de l’observation et du copiage d’un modèle, et d’un modèle exclusivement familial, cela même si les chimpanzés passent beaucoup de temps avec les autres membres de la communauté. Il est culturel, dans le sens où il correspond à une pratique transmise socialement », raconte Noémie Lamon. Mieux encore, l’expérience montre que les chimpanzés ont réussi à ajouter à un savoir-faire ancestral, fabriquer des éponges à l’aide de feuilles, une innovation : les faire en mousse pour une absorption plus efficace de l’eau. « Ce phénomène dit de culture cumulative n’a encore été que très peu observé chez les chimpanzés. Le résultat de l’étude montre, en tout cas, que cette capacité à construire des connaissances n’est pas l’apanage des humains ! »

 

Caméra cachée

Noémie Lamon et Karo

Ce sont des caméras à détecteur de mouvement, qui, surveillant en permanence le territoire des chimpanzés de la communauté Sonso, consignent en images les moindres faits et gestes des membres du groupe. Les observations et les analyses des chercheurs complètent la connaissance qui s’accumule depuis près de quatre ans pour cette étude dans la forêt ougandaise, où Noémie Lamon a séjourné au total pendant un an et demi.

L’utilisation d’outils et l’apprentissage social sont les fers de lance de la recherche de la jeune femme. Ils se greffent aux axes fondateurs du laboratoire de cognition comparée que sont l’étude du langage et de la communication chez les primates non humains, et qui aident à imaginer les comportements des premiers hommes.

De nombreuses espèces sont étudiées, singes bleus, colobes, mangabeys, babouins, chimpanzés…, entraînant les chercheurs de réserves en parcs nationaux sur trois continents, de l’Amérique du sud (Brésil) à l’Asie (Thaïlande), en passant par de nombreux pays d’Afrique. Le laboratoire de cognition comparée a été créé en 2012 à l’université de Neuchâtel sous l’impulsion de Klaus Zuberbühler, spécialiste en primatologie, qui en est depuis le directeur.

Photos Noémie Lamon

 

Contact :

Noémie Lamon

Institut de biologie

Laboratoire de cognition comparée

Université de Neuchâtel

Tél. +41 (0)32 718 24 64

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