Université de Franche-Comté

Amibes et petites cousines

Dans le monde du vivant, les micro-organismes libres, c’est-à-dire non parasites, sont encore peu étudiés. Les techniques moléculaires donnent aujourd’hui des ailes à la connaissance avec la description d’espèces jusque-là insoupçonnées, laissant estimer qu’il en existe plusieurs millions. De quoi supplanter en nombre les insectes dans l’évaluation de la biodiversité terrestre.


Amibe Hyalosphenia papilio

Amibe Hyalosphenia papilio


C’est sans aucun doute la population la plus importante sur Terre, et pourtant son règne reste largement ignoré des humains. Bactéries, protistes, champignons… les micro-organismes libres se compteraient par millions d’espèces.

Au laboratoire de biologie du sol de l’université de Neuchâtel, Edward Mitchell et Enrique Lara s’intéressent de très près aux amibes, en particulier celles qui construisent une coquille pour y vivre. Ils n’ont que quelques collègues au monde avec qui partager leur travail en taxonomie moléculaire, dont les techniques enrichissent aujourd’hui l’étude classique de la morphologie des individus pour décrire les espèces. Une analyse de choix dans le cas des amibes qui n’ont pas leurs pareilles pour tromper le monde… Une étude menée par le groupe d’Edward Mitchell a révélé que trois cent une amibes communes, toutes identiques au microscope, appartiennent en réalité à douze espèces distinctes, analyses ADN à l’appui. Hyalosphenia papilio va donc devoir décliner son identité de façon plus précise à l’avenir…

Ce constat a l’air de se répéter à chaque fois qu’une espèce est étudiée en détail. À revoir à la hausse, le nombre des seules amibes à coquille passerait ainsi probablement de 2 000 ou 3 000 espèces estimées à au moins 20 000 encore à identifier. « On s’aperçoit que certaines petites nuances de forme, a priori peu discriminantes, correspondent en réalité à des différences génétiques et fonctionnelles importantes », explique Edward Mitchell. Ce qui change tout, car la diversité des groupes a un impact sur la structure de la communauté, et les espèces jouent chacune un rôle propre à l’intérieur d’un écosystème. L’étude établit en outre une corrélation entre spécificités génétiques, habitat et contexte environnemental. À l’échelle microscopique aussi les espèces sont sensibles aux conditions de climat, d’humidité, d’acidité des sols…

Tourbière du Cachot, Jura neuchâtelois

Tourbière du Cachot, Jura neuchâtelois

Il convient donc de réévaluer la biodiversité à sa juste mesure, tant en termes de nombre d’espèces que d’intérêt général. Et se poser certaines questions de façon plus acérée encore. « Lorsqu’on détruit une tourbière, sait-on ce que l’on détruit vraiment ?… », interroge Edward Mitchell, qui plus que jamais insiste sur la nécessité de protéger ces zones à la fois riches et fragiles.

Les petits devant !

C’est bien sur le devant de la scène que devraient se trouver les micro-organismes, dont on ne sait encore que peu de choses. « Pourtant leur rôle est essentiel dans le bon fonctionnement des écosystèmes et donc de la survie de l’espèce humaine », souligne Enrique Lara. Rien de moins. Or, notre vision du monde est faussée par une question d’échelle. Il paraît plus naturel de préserver le superbe panda que l’amibe invisible… Ce qui éthiquement est discutable. Écologiquement parlant aussi.

Nous avons beaucoup à gagner à nous pencher sur ce monde microscopique. Et à découvrir, comme vient d’en faire l’heureuse expérience un étudiant au laboratoire de biologie des sols de l’université de Neuchâtel. Auriel Chatelain a non seulement décrit deux nouvelles espèces, mais aussi, au plus haut de la classification biologique, une nouvelle famille de protistes, baptisée Sphénodéridés. Outre son intérêt pour la taxonomie, l’analyse génétique est aussi une clé pour mieux comprendre l’évolution des cycles biogéochimiques au cours du temps, et dans le cas de l’amibe, du cycle du silicium, voire de celui du carbone.

 

Contact : Edward MitchellEnrique Lara 

Laboratoire de biologie du sol 

Université de Neuchâtel
Tél. (0041/0) 32 718 23 45 / 22 52 

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