Université de Franche-Comté

Alimentation : le sens de l’équilibre

Elle influe sur la santé autant qu’elle révèle les identités culturelles, elle est tributaire des ressources qu’offre la planète et du travail des hommes : de l’environnement jusqu’à nos assiettes, l’alimentation est une affaire d’équilibre…

 

Expertise et prise de décision

Photo Ri Butov – Pixabay

Sur un sujet sensible comme l’alimentation, qui draine des questionnements aussi divers que les dégâts causés par le sucre, la valeur nutritionnelle de fruits cueillis avant maturité, l’incidence des additifs sur la santé, l’intérêt à acheter bio et l’absence de risques pour la santé, la science apporte des éléments objectifs de réponses sur lesquels le politique peut s’appuyer pour orienter ses décisions ; le citoyen-consommateur, lui, veut pouvoir se faire une opinion, et souhaite surtout qu’on lui garantisse l’accès à une nourriture saine.

Écotoxicologue au laboratoire Chrono-environnement, Pierre-Marie Badot a, entre autres, dirigé de nombreux travaux sur les mécanismes de transfert de contaminants chimiques à l’alimentation, comme pour la chlordécone, cet insecticide longtemps utilisé dans les bananeraies aux Antilles françaises et soupçonné d’une augmentation des cancers de la prostate dans les territoires concernés. Comme d’autres chercheurs, Pierre-Marie Badot met en œuvre ses connaissances et ses compétences au service de problématiques de société actuelles. Expert auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) depuis plus de 20 ans, il participe régulièrement à des expertises collectives pour cet organisme public français. Des activités qui fournissent l’occasion d’évoquer quelques notions de vocabulaire, et surtout de préciser les discours.

Trop souvent il y a confusion entre danger et risque dans l’esprit du public et des médias. Une substance peut être intrinsèquement dangereuse pour la santé, par exemple cancérogène, reprotoxique, neurotoxique, génotoxique…, mais ne pas présenter de risque : la probabilité d’un effet sanitaire néfaste pour la santé devient nulle dès lors que l’exposition à cette substance est faible. De plus, les techniques analytiques se sont considérablement affinées pour certaines substances toxiques : détecter leur présence ne signifie pas forcément qu’elles produisent des effets néfastes aux concentrations où elles sont mesurées. Inversement, l’absence de détection de substances réputées moins préoccupantes ne veut pas dire qu’il n’existe aucun risque : ce défaut de dépistage peut seulement être le fait de techniques insuffisamment sensibles. « Les méthodes de détection de substances toxiques dans l’alimentation apportent aujourd’hui des réponses, mais pas toutes. »

Par ailleurs, certains impacts sur la santé ne figurent pas au premier rang des préoccupations du public ou des décideurs, parce qu’ils n’apparaissent qu’à long terme. Le cadmium par exemple, dont la présence est avérée dans des produits aussi courants que le blé, la pomme de terre ou le chocolat, est cancérogène et est impliqué dans le développement de pathologies osseuses ou rénales lors d’une exposition prolongée par l’alimentation. Or, l’exposition actuelle au cadmium dépasse la valeur toxicologique de référence par la seule voie alimentaire, pour 15 % des enfants et 0,6 % des adultes en France (Anses, 2011). Ce risque n’est cependant que très peu mis en avant par les médias et pris en considération par la population.

À l’inverse, le législateur a interdit pendant un temps la consommation de poissons pêchés dans des rivières comme le Doubs, en raison des polluants organiques (PCB) que leur chair renferme. « Or même si ces substances sont dangereuses, le risque pour la population générale est très faible, parce qu’en réalité, et sauf exception, on mange très peu de poissons d’eau douce. Tant que les données de consommation de poissons de rivière n’ont pas été disponibles, le principe de précaution a été appliqué sur la base de la consommation annuelle moyenne de poissons par individu, sans tenir compte du fait que la consommation de poissons de rivières est en proportion très faible, comparée à celle de poissons de mer », relève Pierre-Marie Badot.

Photo LuckyLife11 – Pixabay

Toujours en devenir, la science développe de nouveaux outils et de nouvelles méthodes, produit de nouvelles connaissances pour continuer à mieux qualifier le rapport entre alimentation, santé et environnement. En attendant, il convient de prendre du recul par rapport aux messages très anxiogènes reçus de toutes parts et qui n’ont pas toujours de fondement scientifique ; il convient aussi de ne pas oublier que le cadre réglementaire et les dispositifs de surveillance dans des pays comme la France constituent de vraies garanties sanitaires et fournissent des conseils à ajouter au respect de bonnes pratiques alimentaires, combinant sens de la mesure, diversité de la consommation et des sources d’approvisionnement.

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Laboratoire Chrono-environnement
UFC / CNRS
Pierre-Marie Badot
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