Université de Franche-Comté

Alimentation : le sens de l’équilibre

Elle influe sur la santé autant qu’elle révèle les identités culturelles, elle est tributaire des ressources qu’offre la planète et du travail des hommes : de l’environnement jusqu’à nos assiettes, l’alimentation est une affaire d’équilibre…

 

Qui sait ce que mangeaient Adam et Ève ?

Alonge G., Christin O., Adam, Ève,
le Paradis, les légumes et la viande,
Éditions Anacharsis, 2023

C’est précisément aux origines du végétarisme que s’intéresse l’ouvrage Adam, Ève, le Paradis, les légumes et la viande. Écrit à quatre mains par Olivier Christin, spécialiste d’histoire politique et religieuse à l’université de Neuchâtel, et son collègue Guillaume Alonge, de l’université de Turin, cet essai retrace l’histoire d’une querelle presque aussi vieille que les premiers humains : Adam et Ève étaient-ils ou non végétariens ?

Si le propos des auteurs n’est pas de répondre à une question qui fait débat depuis des siècles, il montre comment la polémique enfle, puis change d’opposants au cours d’une page d’histoire de quelques décennies, à cheval sur les XVIIe et XVIIIsiècles.

À la fin du XVIIsiècle, la controverse est essentiellement religieuse, elle voit s’affronter les catholiques et les protestants autour de la question des interdits alimentaires imposés par les premiers et rejetés par les seconds, sur la base de leurs interprétations respectives des textes de la Genèse. C’est à cette époque que, motivées par des raisons diverses et variées, des dispenses de carême ou de jeûne sont accordées en nombre croissant, un signe annonciateur du recul de la foi chrétienne et de sa pratique. C’est aussi à cette époque qu’au sein des ordres religieux, le ton monte entre partisans d’une stricte observation des règles et défenseurs d’une adaptation des dogmes au monde moderne. « La querelle investit ensuite le domaine de la science. Les médecins, les anatomistes, les philosophes s’emparent de la question et formulent de nouvelles hypothèses », explique Olivier Christin.

Les expérimentations en anatomie comparée se multiplient, elles montrent par exemple que les dents de l’homme sont plates, contrairement à celles des animaux carnivores, ce qui pour certains constituerait une preuve de la nature herbivore de l’être humain. « La science ne s’est pas substituée d’un coup au religieux, mais a pris peu à peu place à ses côtés. Il a fallu des décennies avant que la science devienne le discours dominant, avant que la santé des corps l’emporte sur le salut de l’âme. » Des décennies pendant lesquelles les arguments se mêlent, se contredisent parfois ou sont prétexte à des reconstitutions fantaisistes. Les médecins, qui sont aussi de fervents catholiques, – les protestants n’ont pas le droit d’exercer la médecine depuis la révocation de l’édit de Nantes en 1685 –, défendent les vertus du jeûne et du végétarisme sur la base de leur foi ; les Jésuites, découvrant le régime végétarien des Brahmanes, se demandent si l’adoption de cette pratique ne signifierait pas que l’Inde, pourtant berceau millénaire de l’hindouisme, ait pu autrefois être une terre catholique : des exemples de ce genre foisonnent dans le corpus de textes constitué autour des quelque trois cents auteurs étudiés pour la rédaction de cet essai.

Photo Michael Dahlenburg – Pixabay

Au commencement étaient Adam, Ève et le jardin d’Éden, où l’histoire du végétarisme puise ses racines. C’était avant que la Chute, puis le Déluge, ne rompent l’harmonie, apportant la maladie et la mort dans le monde, promettant aux hommes un dur labeur pour se nourrir. Les références au mythe originel continuent aujourd’hui encore à figurer au nombre des argumentations en faveur du végétarisme : sur des sites web américains par exemple, on peut acheter des compléments alimentaires « Adam et Ève » et suivre les recommandations du régime « Alléluia ». « De façon générale, même si elle n’apparaît souvent qu’en arrière-plan, la question religieuse est toujours présente dans les pratiques alimentaires », souligne Olivier Christin, pour qui la question de l’alimentation participe pleinement de l’histoire des sociétés.

Intrigant par son titre, séduisant par son propos en résonance avec des questions d’actualité, Adam, Ève, le Paradis, les légumes et la viande rencontre un franc succès ; l’ouvrage a été couronné par le prix Anthony Rowley 2023 4.

 

 

4 Le prix Anthony Rowley récompense un ouvrage portant sur « l’histoire de l’alimentation, la gastronomie, le vin, les arts de la table en France et dans le monde, pour l’originalité de son approche, sa rigueur scientifique et sa qualité d’écriture ».
Contact(s) :
Université de Neuchâtel
Institut d’histoire
Olivier Christin
Tél. +41 (0)32 718 17 81
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