Université de Franche-Comté

À la conquête d’un savoir-faire perdu


Depuis les années 80, il n’existe plus en France d’entreprises capables de construire des mouvements de montres mécaniques. En effet, la fabrication du cœur du mécanisme, le spiral, a cessé avec la liquidation des SPIRAUX FRANÇAIS. Pour reprendre une gamme de production, il fallait donc retrouver les technologies auparavant utilisées, tout en les améliorant et en intégrant des technologies actuelles de mesure, commande et contrôle actif.
• L’aventure commence par une rencontre, celle de TECHNOTIME HOLDING SA, une entreprise productrice de mouvements d’horlogerie à quartz, qui compte plus de 200 collaborateurs, et de FEMTO-ST, notamment le LMARC — laboratoire de mécanique appliquée R. Chaléat — qui avait travaillé dans les années 70 avec l’industrie horlogère comtoise. Le CTM, devenu depuis CTMN — centre de transfert en micro- et nanotechnologies — a joué le rôle d’intermédiaire. Ensemble, les partenaires décident de relancer la fabrication de spiraux dans une unité de Valdahon (25). L’objectif est de gagner en autonomie par rapport aux fabricants suisses, tous intégrés dans de grands groupes. Le jeu en vaut la chandelle au regard de la progression des ventes des montres mécaniques de luxe.
• Parce que c’est lui qui donne la base du temps dans une montre mécanique, avec un degré de précision de quelques secondes par jour, le spiral doit être fabriqué de manière particulièrement minutieuse. Du matériau de base à sa transformation en un spiral réglant, toutes les étapes doivent être éminemment précises et contrôlées. Le spiral a la forme d’une spirale d’Archimède ; le fil qui le compose est de 30 œm d’épaisseur (il pèse en tout 3 mg), le pas entre deux  anneaux Ÿ, constant quelles que soient les conditions de température, étant de 120 œm. Le matériau utilisé est un alliage quinaire à base de fer, nickel et chrome, l’Élinvar. Une vingtaine d’années avaient été nécessaires pour en parfaire la composition. Il ne s’agissait donc pas de réinventer la poudre, mais plutôt de retrouver les aciéries susceptibles de le fabriquer, qui plus est en petite quantité. Ce point était particulièrement crucial car l’Élinvar est un alliage à coefficient thermoélastique ajustable. Or, c’est ce coefficient qui détermine la variation relative de fréquence en fonction de la température. Dans le cas de montres de qualité, cette variation Δf/f ne doit pas excéder 10-6 par °C.

• Une fois la matière première acquise, il s’agit de la transformer en un long fil de 1 mm de diamètre, parfaitement homogène. Là encore, les savoir-faire et les instruments pour travailler les métaux en faible quantité avaient presque disparu. C’est à Lyon que des artisans ont accepté ce marché. Ici commence l’ensemble des transformations et équipements qu’il a fallu réaliser. Ce fil cylindrique doit ensuite subir des revenus d’hypertrempe sous vide à 1 200°C, être tréfilé, nettoyé puis laminé entre deux cylindres pour obtenir un lacet de 30 œm d’épaisseur par 120 œm de largeur (un fil à section circulaire engendrerait des problèmes d’instabilité). Ce lacet ne peut tolérer des variations de dimensions que de l’ordre de 0,1 œm. Un système d’asservissement a donc été associé au laminoir pour contrôler l’opération. Le contrôle de l’épaisseur se fait par voie optique laser. Les informations obtenues sont ensuite transmises à des actionneurs piézoélectriques qui se chargent de repositionner les cylindres de laminage. Des transformations mécaniques et thermiques sont ensuite nécessaires pour former les spiraux proprement dits (estrapadage, puis recuite sous vide pour relaxer les contraintes).
• Au total, douze machines ont été pensées au LMARC. Si les pièces composantes des machines ont été fabriquées par l’industrie régionale de sous-traitance, le laboratoire a conçu les équipements et mis au point les appareils sur place. Outre Gérard Lallement, impliqué à temps plein, quatre personnes, financées par TECHNOTIME, ont participé durant trois ans et demi à ce projet : deux étudiants en préparation de diplôme de recherche technologique et deux techniciens en mécanique et électrotechnique.
• Pour réaliser cette performance, les acteurs ont su concilier deux aspects qui peuvent paraître antinomiques : l’appropriation de savoir-faire anciens (bien qu’ils ne datent que de vingt ans !) et l’intégration de technologies nouvelles pour améliorer les procédés. La direction de la valorisation de l’université de Franche-Comté, qui participe aux liens entre les laboratoires et les entreprises, a accompagné ce projet. Gageons que la montre mécanique, tout en gardant ce qui fait son charme, continuera à se perfectionner.

 

Gérard Lallement
Département LMARC
Institut FEMTO-ST
Université de Franche-Comté / UTBM / ENSMM / CNRS (UMR 6174)
Tél. 03 81 66 60 06
gerard.lallement@univ-fcomte.fr

 

 

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