Université de Franche-Comté

Musées connectés à la recherche

À l’image de l’art et de la science, dont les chemins souvent se croisent, les musées et la recherche ont beaucoup à partager. L’Arc jurassien franco-suisse ne manque pas d’exemples de collaborations…

 

Musées industriels suisses : une histoire oubliée

Au cœur d’enjeux économiques et artistiques

 

Le musée du textile de Saint-Gall hier…

Ils ont été d’une importance majeure pour le développement industriel, économique et artistique en Europe, dès la seconde moitié du XIXe siècle et jusque dans les années 1920 : les musées industriels ou d’art industriel ont fleuri dans le sillage des expositions universelles et dans un contexte nouveau de concurrence internationale. Le South Kensington Museum ouvre ses portes en 1857, quelques années seulement après l’Exposition universelle de Londres, qui en 1851 exhibait pour la première fois des savoir-faire et spécificités techniques du monde entier. Celui qui sera plus tard rebaptisé Victoria and Albert Museum sert alors de modèle pour la création de la plupart des musées industriels de Suisse, dont le nombre atteint la dizaine entre 1862 et 1907.

En France, seul le CNAM, le Conservatoire national des arts et métiers né en 1794, possède la même fibre ; il apparaît comme une exception dans une tradition française qui se tournera plus volontiers vers les beaux-arts, ou arts décoratifs. Dans un musée industriel, il s’agit de mettre en avant le progrès technique et le design en suivant les étapes d’une chaîne de fabrication : des matériaux de base, des machines pour les transformer et des objets finis, qui, malgré une note artistique, ont vocation à être utiles et réalisés en série.

Céramiques, mobilier en bois, broderie, horlogerie…, les musées naissent sur le terrain d’activités industrielles locales, et présentent des visages multiples. C’est cette réalité complexe et un peu oubliée de l’histoire des musées en Suisse qu’Isaline Deléderray-Oguey a fait revivre dans sa thèse en histoire de l’art, conduite sous la cotutelle de Pierre-Alain Mariaux à l’UniNE et de Rosella Froissart à l’École pratique des hautes études de Paris, et qu’elle a soutenue en 2022. « Les musées industriels sont des institutions aux fortunes variées, aux sources très diversement conservées, aux ambitions et au rôle parfois assez dissemblables. Les exemples analysés montrent que leur concept est dynamique, évolutif dans le temps et dans l’espace. Les collections d’un musée peuvent considérablement changer, de même que la façon de les présenter et de les ordonner », explique la jeune chercheuse.

… et aujourd’hui.

Outre l’ambition d’éduquer le grand public au « bon goût », les musées industriels ont pour vocation d’améliorer le savoir-faire des artisans et de les former au design, en leur fournissant de nouveaux modèles d’inspiration créatrice. Les musées font ainsi partie d’un vaste ensemble à la fois pédagogique et économique comprenant école, bibliothèque, bureau de renseignements pour les ouvriers et apprentis, catalogue de brevets, et proposent conférences et expositions temporaires. « C’est par exemple de cette façon que le style Sapin, une déclinaison locale de l’Art nouveau, est né à l’école d’art de La Chaux-de-Fonds, là où Le Corbusier a été formé. »

L’accès à de nouveaux types de formation rend obsolètes celles dispensées par le biais des musées industriels. La plupart ferme dans les années 1920 en Suisse ; leurs collections sont pour l’essentiel conservées en archives dans les écoles d’art, mais leurs plus belles pièces font, ailleurs, toujours l’objet d’expositions. Deux musées ont réussi à passer l’épreuve du temps et, un siècle plus tard, poursuivent leur activité. Consacré au tissu, le Musée de Saint- Gall a renouvelé sa muséographie autour de thématiques contemporaines comme la mode ; il n’est plus adossé à une école, mais possède encore sa bibliothèque. Le musée de Winterthur, fondé en 1882 et l’un des plus anciens d’Europe, est toujours logé dans son bâtiment historique. Il continue à présenter les étapes d’une fabrication industrielle dans le cadre d’expositions revisitées, et le classement de ses collections, comptabilisant quelque 10 000 objets, procède d’un choix assez proche de celui des origines.

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