Environ 1°C, c’est l’amplitude des variations de températures au cours des 12 000 dernières années, bornée par les extrêmes du Petit Âge glaciaire (vers 1300-1850) et de l’optimum climatique (vers 5000 av. J.-C.).
Le climat actuel affiche + 0,8°C, une valeur atteinte en à peine un siècle et demi. Neuf années sur les dix réputées les plus chaudes des deux derniers siècles sont postérieures à l’an 2000.
Plus encore que son ampleur, c’est la rapidité à laquelle se produit le phénomène qui inquiète les chercheurs…
– Ça chauffe dans l'Arc jurassien
– Retour éclair à l'optimum climatique
– Des chênes sur les monts du Jura
– Végétation et capacités d'adaptation
– Les feuilles moins pressées par le réchauffement
– L'Arctique entre glace, neige et eau
– Dix mille sortes de particules dans l'atmosphère
S’il affiche une moyenne générale de + 0,8°C sur la planète depuis 1880, le réchauffement ne sévit pas partout de la même manière. Dans l’hémisphère nord, il est plus marqué dans le Nord que dans le Sud ; et dans les zones océaniques, une partie de l’énergie thermique est absorbée par l’immense volume d’eau de l’océan, jusqu’à trois kilomètres en profondeur. Ces deux raisons expliquent que dans les régions continentales telles que l’Arc jurassien franco-suisse, le réchauffement est plus marqué : + 1,5°C, presque un doublement de la valeur moyenne, qui se vérifie aussi bien sur les trente dernières années que sur l’ensemble du siècle passé.
Climatologue à l’Institut de géographie de l’université de Neuchâtel, titulaire de la chaire conjointe avec l’Institut fédéral de recherches WSL sur la forêt, la neige et le paysage, Martine Rebetez met en rapport les chiffres et les tendances. « La température moyenne du globe sur l’ensemble de l’année est aujourd’hui de 16°C. L’augmentation de 0,8°C a pour point de départ le tournant du XXe siècle. Le recul des glaciers, les transformations de la végétation et la montée des océans comptent parmi les preuves les plus visibles du réchauffement. » La référence de + 2°C retenue par la COP21 semble utopique. Comme d’autres spécialistes, Martine Rebetez estime que + 4°C est une valeur plus réaliste à attendre du réchauffement : la machine est lancée, il faudrait prendre des mesures draconiennes sur l’ensemble de la planète pour la ralentir suffisamment, et vite. Car au-delà du phénomène lui-même, Martine Rebetez insiste sur la rapidité avec laquelle s’opère ce changement : un siècle a suffi pour voir la surface de la planète nettement transformée.
Chercheur CNRS au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, Michel Magny est paléoclimatologue et partage cet avis. Ses travaux de mesure du niveau des lacs en Franche-Comté ont permis de reconstituer l’histoire du climat sur des milliers d’années, non seulement dans la région, mais aussi en Europe occidentale et méditerrannéenne. Il précise la notion de climat. « Si la météo rend compte d’événements ponctuels, le climat, lui, représente la moyenne des événements météorologiques se produisant à un même endroit pendant trente ans. »
« Depuis un million d’années, le climat de la Terre suit des cycles de 100 000 ans, alternant glaciations et périodes interglaciaires, qui, beaucoup plus clémentes, durent 10 000 à 20 000 ans. Ces phases correspondent aux variations de l’orbite de la Terre autour du Soleil. À l’intérieur de ces grands cycles, on observe des oscillations du climat, dues à des variations de l’intensité du Soleil, que renforcent les altérations de l’activité volcanique et de la circulation océanique.
Notre climat s’inscrit dans une période interglaciaire appelée Holocène, démarrée voilà 11 700 ans. Selon un schéma classique, les températures ont suivi une courbe ascendante jusqu’à atteindre un optimum climatique, aux environs de 5 000 ans avant J.-C. Depuis, la courbe de température suit un refroidissement progressif, ponctuée d’oscillations dont les variations de l’activité solaire… et désormais les activités humaines, sont responsables.
Glacier du Niederjoch, Alpes, frontière italo-autrichienne, environ 3 300 av. J.-C. Ötzi s’écroule sous les flèches des ennemis le poursuivant. Rapidement enseveli sous la neige et la glace, son corps ne sera découvert qu’en 1991 au hasard d’une randonnée, sous forme d’une momie en parfait état de conservation.
Les variations du niveau des lacs du Jura qu’a étudiées Michel Magny, et qui renseignent sur l’histoire du climat en Europe, corroborent l’idée d’un brusque refroidissement du climat ayant pu s’accompagner d’une avancée notable du glacier à cette époque.
Comme elles montrent que depuis, aucune période de réchauffement n’a été comparable à celle que nous connaissons actuellement, postulat scientifique que confirme la découverte de « l’homme des glaces ». Ötzi est la preuve momifiée d’une situation de réchauffement inédite : sa bonne conservation, ainsi que celle de son équipement en matières périssables sont indiscutablement l’œuvre d’un froid suffisant et d’une glace pérenne au cours de ces cinq derniers millénaires. « Ötzi est un symbole et alerte sur l’ampleur du changement climatique et la rapidité du phénomène », prévient Michel Magny.
© Paul Hanny – South Tyrol Museum of Archaeology – http://www.iceman.it/
Michel Magny replace la situation actuelle à l’échelle de l’Holocène. Loin de noyer le siècle passé et les bouleversements qui l’accompagnent dans 20 000 ans d’histoire, la comparaison ne fait que mettre en valeur l’anomalie qu’elle représente, qui nous ramène presque aux valeurs de température de l’optimum climatique (cf. figure). L’homme est entré dans le circuit climatique, son impact devient plus prégnant que l’influence des planètes…
C’est pourquoi Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, a baptisé « Anthropocène » la période que nous vivons depuis 1750, caractérisée par les débuts de la machine à vapeur, l’emballement de la Révolution industrielle au XIXe siècle, et une « grande accélération » depuis les années 1950, correspondant à l’avènement de la société de consommation dans les pays occidentaux, des modèles économiques axés sur la croissance, et l’aspiration de toute la planète à accéder au développement.
« L’Anthropocène, nouvelle ère géologique, est non seulement marqué par l’impact de l’activité humaine sur le climat, avec les gaz à effet de serre pour premier responsable, mais aussi sur l’environnement, le fonctionnement des écosystèmes se voyant perturbé comme jamais », explique Michel Magny.
Les concentrations de gaz carbonique et de méthane dans l’atmosphère à l’Anthropocène,
comparées à celles des 600 000 années précédentes. Croquis Michel Magny
La forêt de la Joux est considérée comme l’une des plus belles sapinières de France. Au Moyen Âge, c’était une chênaie. Au temps de l’optimum climatique, les monts du Jura étaient couverts de feuillus, les épicéas et les fiers sapins encore inconnus. L’évolution actuelle du climat ramènerait-elle à cette configuration ?
Les spécialistes, tel François Gillet au laboratoire Chrono-environnement, prédisent la disparition progressive de l’épicéa au profit du hêtre dans les forêts de résineux et les prés-bois de la montagne jurassienne. Le hêtre lui-même ne saura résister à une température et une sécheresse estivale croissantes, et pourrait à terme se voir supplanté par le pin et le chêne pubescent, comme on en trouve en zone méditerranéenne.
Ces prévisions sont issues de simulations numériques à partir d’un modèle développé en partenariat avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne, considérant deux scénarios climatiques : l’un qualifié de « réaliste » avec une augmentation de la température de 4°C, l’autre plus pessimiste pariant sur + 8°C. Ils incluent des options de gestion plus ou moins volontariste de la forêt pour des projections plus plausibles, l’intervention humaine étant depuis toujours très étroitement liée aux conditions climatiques. Le remplacement naturel des espèces d’arbres étant un processus très lent, une de ces options est dite de migration assistée : le forestier y anticipe les changements et plante les essences qu’il sait adaptées à un climat plus chaud.
« On voit déjà que le hêtre se régénère mieux que l’épicéa, remarque François Gillet. Il faut encourager cette tendance, car vouloir à tout prix favoriser l’épicéa, même si son déclin n’est pas annoncé avant un siècle, c’est prendre le risque de
se trouver plus tard dans une période de transition où il n’y aura plus de forêt du tout. » Les arbres ont une grande capacité à résister aux changements, mais l’évolution du climat est tellement rapide que les chercheurs ne savent pas à quoi s’attendre. « On constate en tout cas que certains arbres souffrent déjà des stress liés aux changements climatiques. »
On sait que les arbres absorbent du CO2 et produisent de l’oxygène. On sait moins que certaines espèces ont la capacité de transformer le CO2… en calcaire ! Ce processus de biominéralisation réalisé par l’arbre est rendu possible par la présence dans ses tissus d’un sel organique, l’oxalate de calcium, et l’intervention de bactéries et champignons vivant dans le sol à son pied. Il a été découvert au début des années 2000 par le microbiologiste Michel Aragno et le géologue Éric Verrecchia, alors chercheurs à l’université de Neuchâtel.
L’iroko est le premier et le plus performant de la dizaine d’arbres qu’ils ont identifiés en Afrique et en Amérique du Sud comme réalisant ce processus. Un iroko est capable de fixer l’équivalent de 10,8 m3 de CO2 sous forme de calcaire par an. « Ce phénomène est rendu possible sous certaines conditions d’altitude et de composition du sol, acide et dépourvu de calcaire, que les chercheurs ont déterminées par le biais d’expériences in situ », explique Laure Sandoz, qui vient de terminer son mémoire de master en anthropologie à l’université de Neuchâtel, mémoire qu’elle a consacré à un projet de développement durable lié à ces arbres.
L’avantage de la biominéralisation est que le calcaire renfermant le CO2, enfoui dans le sol, est stable jusqu’à un million d’années, alors que le CO2 absorbé par un arbre de façon classique retourne vers l’atmosphère lors de la décomposition des feuilles, puis à la mort de l’arbre. Mais ce n’est pas le seul atout du processus. « Au fur et à mesure de sa vie et de la transformation du CO2 qu’il opère, l’arbre modifie le sol autour de lui et le rend plus basique, ce qui est favorable à des cultures comme celles du cacao ou du café. » Outre l’intérêt climatique de protéger ces essences, c’est aussi dans cette optique que la jeune chercheuse a rejoint la Bolivie dans un projet en collaboration avec l’université de Neuchâtel et l’association genevoise Racines, à mi-chemin entre écologie, développement durable et lutte contre la pauvreté.
Contact : Laure Sandoz
Tél. +41 (0)61 267 18 47
Neige, glace, pluie… les spécialistes sont d’accord : réchauffement climatique ou pas, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Si la limite pluie / neige a grimpé de quelques dizaines de mètres dans le Jura et les Alpes, au-delà de 1 500 / 2 000 m le manteau neigeux recouvre toujours la montagne. Mais son épaisseur, sa qualité et sa persistance varient fortement d’une année à l’autre, influençant par là même le développement de la végétation. Yann Vitasse est post-doctorant à l’Institut fédéral de recherches WSL et à l’Institut de géographie de l’université de Neuchâtel. Dans un projet financé par le Fonds national suisse depuis 2014, dirigé par Martine Rebetez et Christian Rixen, il écoute pousser les plantes grâce aux capteurs à ultrasons disséminés dans les Alpes suisses.
Installés dans cent trente stations entre 1 500 et 3 000 m d’altitude, ces dispositifs enregistrent la hauteur de la neige toutes les demi-heures depuis presque vingt ans. Les chercheurs ont découvert qu’ils captent également les signes de croissance des végétaux au printemps et en été. « Ces données vont être corrélées avec des paramètres climatiques comme le vent, la température du sol et de l’air, la fonte des neiges… », explique Yann Vitasse. Un croisement d’informations aussi inédit que prometteur, quand on sait à quel point le comportement de la neige, qui tour à tour exerce un rôle de protection contre le gel et d’hydratation auprès de la végétation, est essentiel. « Nous verrons comment les espèces alpines réagissent aux variations climatiques, à celles de la température et surtout à celles de la fonte des neiges », complète Martine Rebetez.
Un printemps doux et précoce ne manque pas d’habiller tôt les arbres de leurs feuilles : une avance de deux à six jours pour chaque degré ajouté à la température moyenne. Pour connaître l’influence du réchauffement climatique sur ce fonctionnement, une étude internationale a comparé et analysé la date de sortie des feuilles de sept espèces d’arbres européens sur les trente dernières années. Les observations portées sur les aulnes, bouleaux, marronniers, hêtres, tilleuls, chênes et frênes de 1 200 sites se sont complétées de modèles numériques intégrant des processus physiologiques. Les résultats distinguent deux périodes bien marquées : entre 1980 et 1994, les feuilles sont apparues avec 4 jours d’avance par degré ajouté à la température moyenne, contre 2,3 jours entre 1999 et 2013.
Faut-il y voir le signe d’une adaptation des arbres au réchauffement climatique ? Yann Vitasse a participé à la recherche, et met en garde contre une interprétation hâtive des résultats, tout en expliquant le phénomène : un équilibre entre chaud et froid, entre hiver et printemps. Curieusement, c’est en fait le froid de l’hiver qui joue le rôle de starter et fait sortir les bourgeons de leur état végétatif.
« Une température trop chaude en hiver ne favorise pas la sortie des bourgeons de l’état de dormance dans lequel ils sont plongés depuis l’automne. Du coup, les feuilles ont besoin d’attendre des températures encore plus clémentes au printemps pour pouvoir se développer pleinement… » Ce constat n’est pas forcément une bonne nouvelle, car il importe que la levée de la dormance soit efficace pour la bonne santé des arbres. « Un manque de froid répété en hiver pourrait entraîner de graves problèmes de développement, cela pour les plantes en général. »
Un bien joli titre pour cette conférence-spectacle signée Philippe Geslin, ethnologue à la Haute école Arc Ingénierie, et mise en scène par Macha Makeïeff, directrice du théâtre de la Criée à Marseille. On y découvre que les Inuits s’adaptent aujourd’hui comme hier au changement climatique, voient d’un œil plutôt favorable les ressources minières se rendre accessibles, une promesse d’emploi pour les jeunes générations, ou se réjouissent de la culture devenue possible de fruits jusqu’alors inconnus sur le territoire. « Le ressenti de la communauté inuit devant la fonte de la banquise est bien plus nuancé que ce que l’on peut imaginer », témoigne Philippe Geslin. L’ethnologue affirme sa volonté de « restituer les données scientifiques au plus grand nombre », d’où l’idée originale d’un format entre art et science.
La conférence-spectacle fera l’objet de représentations à Nice du 2 au 4 décembre dans le cadre du festival « Réveillons-nous ! », en lien avec la COP21, et plus proche de l’Arc jurassien, sera de passage à La Chaux de Fonds au printemps 2016. Renseignements sur https://lesamesoffensees.wordpress.com
À 78° de latitude Nord, là où les conditions météorologiques sont extrêmes, les dynamiques du manteau neigeux sont une préoccupation de premier plan pour les chercheurs. À mi-chemin entre le nord de la Norvège et le Pôle Nord, dans un archipel au nom de bande dessinée, le Svalbard, Éric Bernard mesure sur l’île du Spitsberg le bilan de masse du glacier Austre Lovén, les volumes de neige de son bassin de 10 km2, et s’inquiète des transformations de la zone périglaciaire.
Chercheur CNRS au laboratoire ThéMA de l’université de Franche-Comté, Éric Bernard poursuit la quête arctique dans la lignée des géographes du laboratoire qui l’ont précédé, tels Madeleine Griselin, Thierry Brossard et Daniel Joly. Les chercheurs s’intéressant à l’Arctique ne représentent qu’une petite communauté en France, et l’aura de Paul Émile Victor plane sans doute toujours sur sa Franche-Comté natale… « Nous avons réinstrumentalisé le glacier en 2007, avec des stations photo automatiques, des balises à glace et des capteurs de température, et d’autres techniques nous sont très utiles. » Comme la photogramétrie, qui permet de mesurer des volumes de neige à partir de photos prises par des drones et des cerfs-volants. « La hausse des précipitations liée à une hausse des températures signifie une plus grande accumulation de neige à partir de certaines altitudes. Ce sont des dynamiques nouvelles dont les interactions avec le glacier sont encore peu connues », explique Éric Bernard, qui souligne la complexité des mécanismes en jeu.
Huit ans de relevés montrent combien les années peuvent se suivre sans se ressembler. « 2011 et 2013 ont représenté un bilan de masse très négatif pour le glacier, celui de 2014 s’avère positif. Les conditions les plus favorables au glacier sont la combinaison d’un hiver doux et neigeux avec un été frais. »
Éric Bernard relève des signes encore peu notoires du réchauffement, comme l’augmentation significative des écoulements sous-glaciaires, à l’interface entre le lit rocheux et le glacier.
Autre indicateur, le pergélisol, ou permafrost, un sol gelé en permanence depuis des milliers d’années, voit sa couche active augmenter : l’épaisseur de cette surface sensible au gel et au dégel représente un volume d’eau plus important, qui modifie les rapports hydrologiques et les équilibres.
L’augmentation significative des événements chauds en plein cœur de l’hiver est un autre phénomène. Extrêmement brutaux (la température peut passer de – 15°C à + 2°C puis redescendre sous les – 10°C en quelques heures), ils sont souvent accompagnés de pluies qui créent, par regel, des croûtes de glace dans le manteau neigeux. Les impacts glaciaires en sont encore peu connus mais sur la toundra, ces morceaux de glace rendent l’accès à la nourriture impossible aux herbivores tels que le renne.
Le réchauffement climatique a accouché d’un nouveau véhicule polaire : la pulka-kayak, chargée du matériel nécessaire à tout explorateur, réalisateur ou scientifique, sait glisser sur la glace et flotter sur les bras de mer qui zèbrent désormais la banquise. Elle est née au laboratoire de recherche en anthropotechnologie de la Haute école Arc Ingénierie, d’un projet mené à exécution par Gaétan Bussy, étudiant ingénieur-designer, sous la houlette de l’ethnologue Philippe Geslin et l’œil attentif de Nicolas Dubreuil, guide polaire.
Rigide, légère, maniable, robuste, l’embarcation est aussi à l’aise sur le terrain glacé que la pulka traditionnelle, et se transforme en kayak grâce à des skis utilisés comme balancier-flotteur. La maquette à échelle réelle a été réalisée par les élèves de l’école, et la fabrication assurée par la société suisse MB Composite. Après des tests grandeur nature réalisés en 2011 par – 30°C dans le désert glacé du district d’Upernavik, dans le Nord-Ouest du Groënland, elle est depuis restée sur place et gracieusement mise à disposition des explorateurs en herbe ou confirmés. Avis aux amateurs et suivez le guide (polaire) !
La pulka-kayak de la Haute Ecole Arc à l’assaut de la banquise
Autre milieu naturel essentiel, les tourbières sont protégées en France, où elles s’étendent sur 1 000 km2. En Sibérie, la plus grande tourbière représente à elle seule 50 000 km2, plus que la superficie de la Suisse ! L’enjeu des tourbières est lié aux quantités incroyables de CO2 et de méthane qu’elles renferment, et dont on craint qu’elles se libèrent dans l’atmosphère sous l’effet de l’accélération de la décomposition de la matière organique à mesure que leurs prisons glaciales montent en température.
Spécialistes de ces milieux humides largement influencés par les conditions de température et de pluviosité, Daniel Gilbert, au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, et Edward Mitchell, au laboratoire de biologie du sol de l’université de Neuchâtel, travaillent depuis plus de vingt ans à étudier leur fonctionnement. Leurs travaux sont basés sur l’étude de la végétation et des micro-organismes, les vivants comme ceux conservés depuis des milliers d’années dans les strates de la tourbe. Pour surveiller les tourbières et prévoir leur évolution, des dispositifs de mesure et de simulation du réchauffement sont installés sur le site de Frasne (Doubs) depuis 2008. Une expérience qui s’est exportée depuis à l’immensité sibérienne et en Pologne, où les mêmes installations scientifiques sont implantées. « Il est intéressant d’extrapoler nos recherches à ces grandes surfaces de tourbières, dans des régions où, de plus, le réchauffement est plus marqué », souligne Edward Mitchell.
« À Frasne, le réchauffement simulé montre un changement significatif des relations entre les plantes supérieures, les mousses, les microbes vivant en surface et en profondeur, et la chimie de l’eau, raconte Daniel Gilbert. C’est le fonctionnement tout entier de l’écosystème qui s’en trouve modifié, avec des conséquences sur le stockage et le cycle du carbone qu’il reste à mesurer. » Des mâts équipés de capteurs devraient être installés à cet effet au-dessus du site de Frasne dès cet hiver : le dispositif mesurera la concentration de CO2 dans l’air sur plusieurs centaines de m2, et déterminera si le gaz se répand ou s’il est happé par la tourbière.
Des années de recul seront encore nécessaires pour comprendre les interactions entre le climat et les tourbières. « Il faut se garder de généraliser certaines conclusions, prévient Daniel Gilbert. Si les tourbières du Sud de la France ou d’Italie ont toutes les probabilités de s’assécher et de disparaître, on pense que plus on ira vers le Nord, moins les tourbières seront affectées par le réchauffement climatique. Certaines, bénéficiant de conditions plus douces, seront peut-être même plus fixatrices de CO2 que par le passé… »
Edward Mitchell souligne par ailleurs que l’assèchement aurait plus de répercussions négatives sur les écosystèmes que le réchauffement. « Le réchauffement à + 1 ou + 2 °C ne serait pas à lui seul un facteur déterminant, mais si le régime des précipitations baisse, surtout pendant l’été, cela deviendrait dramatique. »
Installations scientifiques de la tourbière de Frasne
Avec des précipitations annuelles équivalentes à 65 % du volume du lac Léman, quand la consommation d’eau n’en dépasse pas 2, la Suisse n’est certes pas le premier pays menacé par les sécheresses que le réchauffement climatique promet plus nombreuses, tous les deux ans avant la fin du siècle selon les spécialistes. Mais la globalité des chiffres cache des disparités entre saisons et régions qu’il est nécessaire d’identifier et de comprendre pour éviter les pénuries, et assurer une bonne gestion de l’eau. C’est à cette tâche que s’emploie Claire Carlier, doctorante au CHYN, le Centre d’hydrogéologie et de géothermie de l’université de Neuchâtel.
« Les eaux souterraines constituent l’un des milieux les plus importants pour l’homme et cependant l’un des moins connus », souligne la jeune chercheuse. Les aquifères sont des réservoirs d’eau naturels pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres de profondeur. Les nappes et les méandres qui les constituent sont variés, et leur fonctionnement particulièrement complexe. Les relevés effectués en Suisse par le passé indiquent les caractéristiques géologiques et topographiques d’une cinquantaine de sous-bassins versants. Claire Carlier étudie plus avant deux bassins comparables en termes de surface, 60 km2, mais aux dynamiques très différentes : celui du Röthenbach connaît des débits de rivières très aléatoires, alors que celui de la Langete est irrigué par des débits très stables d’un bout à l’autre de l’année. Quels processus régissent la circulation d’eau de ces zones ? Quels comportements adoptent ces bassins versants en cas de sécheresse ? Les premières mesures de débit d’eau effectuées en cet été 2015 auront déjà un épisode à raconter…
Ces données seront mises en lien avec les caractéristiques géomorphologiques connues pour élaborer des modèles numériques et tenter de mettre en évidence les interactions les plus probantes. Des résultats à extrapoler ensuite à l’ensemble de la Suisse, utiles pour choisir les ressources à privilégier en fonction des conditions climatiques (lac, aquifère, source…) ou organiser des réseaux de distribution d’eau potable entre les communes.
Dans l’étude de l’impact des constituants de l’atmosphère sur le réchauffement, les aérosols sont les derniers à être entrés dans le collimateur des chercheurs. Aérosols est leur intitulé scientifique, mais le grand public les connaît plutôt sous le nom de particules fines.
D’une taille inférieure à la dizaine de microns, voire de l’ordre de quelques nanomètres seulement, liquides ou solides, ces minuscules particules de matière concernent un spectre très large d’éléments naturels ou nés de l’activité humaine :
les poussières du désert ou celles des volcans, les infimes cristaux de sels provenant de la mer, les pollens, les microbes, les bactéries, auxquels s’ajoutent les particules de suies émises par les véhicules, la poudre de ciment des entreprises du bâtiment…, le tout formant des nébuleuses de particules.
Toutes origines confondues, ces aérosols combinent pas moins de 10 000 molécules qui chahutent l’atmosphère.
Si les aérosols peuvent influencer le climat en interagissant directement avec le rayonnement solaire, ils sont aussi susceptibles de le modifier indirectement en facilitant la formation de nuages, responsables selon leur altitude d’une élévation ou d’un abaissement de la température au sol. De façon globale, l’impact des aérosols pencherait plutôt en faveur d’un refroidissement du climat, mais le revers de la médaille est la pollution, comme l’a rappelé récemment à grands cris le scandale Volkswagen. Globalement car justement les particules de suies émises lors de la combustion d’un carburant, qui n’est jamais parfaite, vont, elles, clairement dans le sens du réchauffement.
Une histoire bien complexe que tentent de démêler les scientifiques. Tous sont cependant d’accord sur un point essentiel : si les effets des particules penchent en faveur d’un fléchissement des températures, ils ne sauraient contrebalancer les impacts des gaz à effet de serre, car leur durée de vie dans l’atmosphère est beaucoup plus courte.
Tempête de sable sur le Sahara
Les appareils de mesure sont capables de quantifier les aérosols, d’en déterminer la taille et la masse, des données que complètent les modèles numériques dans des projections où les marges d’erreur sont encore très importantes. À l’Institut UTINAM, le physicien Sylvain Picaud et son équipe travaillent à des modélisations plus fines sur les suies émises par les moteurs, ainsi que sur les aérosols organiques. Sylvain Picaud explique que les caractéristiques des aérosols changent en fonction d’éléments extérieurs. « Ce qui compose le cœur d’une particule d’aérosol peut être différent de ce qui forme l’enveloppe, qui est la partie réellement en contact avec l’environnement. Sous l’influence d’une variation de température ou d’humidité, les deux constituants peuvent s’inverser… » Ce changement de phase est à prendre en compte dans les modèles climatiques, comme la façon dont les suies interagissent avec le rayonnement solaire, un processus dépendant de la position des atomes dans la particule et pas seulement de la longueur d’ondes du rayonnement. À terme, ces travaux aideront à peaufiner les modèles climatiques, et pourquoi pas, à orienter la conception des moteurs et des filtres selon leurs enseignements…
Nous aurons de toute façon bien des positions à revoir pour espérer enrayer le processus, efforts que tentera de coordonner la COP21 au niveau mondial… « Le problème du réchauffement climatique est le premier à se poser à l’humanité entière, remarque Michel Magny. Il interroge sur notre modèle de civilisation, fondé sur des objectifs de croissance indéfinie dans un monde fini. Nous arrivons sans doute aux limites de ce modèle… »
L’ouvrage tombe à point nommé en préambule à la COP21 pour alimenter les débats et sensibiliser le grand public sur l’une des questions cruciales de ce début de siècle. Au-delà de l’ancrage régional annoncé, les grandes tendances du climat mondial à travers les âges sont omniprésentes dans ce livre structuré en cinq parties : de l’océan jurassique aux glaciers jurassiens ; de l’Holocène à l’Anthropocène : le climat du Jura depuis 11 700 ans ; regard sur le climat médiéval ; les populations comtoises sur le front climatique : climat et sociétés, 1500-1850 ; réalités du changement climatique en Franche-Comté du milieu du XIXe siècle à nos jours.
Des pages signées par des spécialistes aux compétences complémentaires, s’appuyant sur des disciplines aussi variées que la glaciologie, la sédimentologie, la palynologie, la paléobiologie, la dendrochronologie… « Une performance scientifique originale et bienvenue », selon les mots d’Emmanuel Le Roy Ladurie, professeur au Collège de France, mondialement connu pour ses travaux sur l’histoire du climat, qui signe la préface de cet ouvrage. « À ce jour, jamais une étude consacrée à la longue histoire du climat n’avait été tentée à l’échelle d’une province historique française. » Autant de raisons de se plonger dans ce livre original et passionnant, tout juste paru aux éditions du Belvédère.
Bichet V., Garnier E., Gresser P., Magny M., Richard H., Vermot-Desroches B., Histoire du climat en Franche-Comté – Du Jurassique à nos jours, éditions du Belvédère, 2015.
Contacts :
Université de Franche-Comté
Michel Magny / Daniel Gilbert / François Gillet – Laboratoire Chrono-environnement – UFC / CNRS – Tél. +33 (0)3 81 66 64 39 /
60 62 / 62 81
Éric Bernard – Laboratoire ThéMA – UFC / CNRS – Tél. +33 (0)3 81 66 59 51
Sylvain Picaud – Institut UTINAM – UFC / CNRS – Tél. +33 (0)3 81 66 64 78
Université de Neuchâtel
Martine Rebetez / Yann Vitasse – Institut de géographie – Tél. +41 (0)32 718 15 10 / 18 12
Edward Mitchell – Laboratoire de biologie du sol – Tél. +41 (0)32 718 23 45
Claire Carlier – Centre d’hydrogéologie et de géothermie – Tél. +41 (0)32 718 26 46
Haute Ecole Arc
Philippe Geslin – Haute école Arc Ingénierie – Tél. +41 (0)32 930 13 60