Université de Franche-Comté

Sâdjè – Le Saugeais (le pays ou la langue)

Fantaisie folklorique des plus sympathiques, la République du Saugeais n'en est pas moins bâtie sur d'authentiques fondements géographiques, historiques et linguistiques. Comme la plupart des dialectes régionaux, le patois sauget s'évanouit au fil du temps, même si l'hymne national est entonné avec vigueur à chaque cérémonie républicaine. Gardien de la mémoire d'une terre fière de son identité, l'ouvrage Les mots du Saugeais fait revivre, à travers un parler révolu, l'âme de ce petit coin de Franche-Comté. Composé à quatre mains par-delà le temps, ce livre chante le Saugeais, son histoire et ses gens.

 

 

La République du Saugeais est née en 1947 sur une boutade. Mais le Saugeais est avant cela une terre millénaire, et ses frontières n'ont pas changé depuis l'époque où, gouverné par l'abbaye de Montbenoît, il en a épousé le territoire. Comptant onze communes et 5 000 habitants, la République s'étend sur 125 km2 entre Pontarlier et Morteau dans le Doubs, et borde la Suisse. C'est de Montbenoît, ou plus exactement de son abbaye, que provient la particularité du Saugeais. Dès lors que l'archevêque de Besançon ordonne la construction de l'édifice sur cette terre rude, don des sires de Joux, les travailleurs venus du Valais ou de Savoie apportent avec leurs bras le parler et les coutumes de leur région. La vie s'organise dans cette contrée isolée par la neige et le manque de moyens de communication, une situation propice au développement d'une microsociété vivant en autarcie et d'une langue propre.

 

Le patois reste un bastion de la culture du Saugeais, même s'il n'est plus parlé aujourd'hui que par quelques anciens. Avant d'en perdre définitivement la trace, Rémy Bôle-Richard, alors enseignant- chercheur en linguistique à l'université de Franche-Comté, lui a consacré un travail de recherche publié sous la forme d'un dictionnaire en 2009.

 

Les mots du Saugeais est en réalité un ouvrage écrit à deux, à près de cent ans de distance. En 1910, le chanoine Joseph Bobillier rédige un mémoire sur le patois sauget alors qu'il prépare une licence de lettres à Besançon. Au début du XXe siècle, l'étude des langues régionales était plutôt courante, mais son héritage parfois peu compréhensible… La transcription en phonétique romaniste des quelque 1 700 mots du lexique élaboré par le chanoine restait hors de portée des non initiés. Rémy Bôle-Richard, par chance, est à la fois linguiste et enfant du pays sauget. Son enfance a été bercée par ce patois qu'il comprend à défaut de le parler. Il reprend à son compte le travail effectué par Joseph Bobillier, l'enrichit de nouveaux mots, s'inspire pour cela de textes, chansons et autres dictons, s'imprègne à nouveau du parler sauget en rendant visite à ses derniers dépositaires, effectue des recherches étymologiques, identifie des racines en majorité latines.

 

À l'arrivée, 2 500 mots sont expliqués et répertoriés et, cette fois, traduits en alphabet phonétique international, accessible au plus grand nombre. C'est ainsi que d'un travail érudit du début du XXe siècle est né, près de cent ans plus tard, un ouvrage d'une grande qualité scientifique mis à la portée de tous.

 

 

Timbre et blason du Saugeais

 

 

Papiers, s'il vous plaît  !

 

Le Saugeais ignore l'ouverture des frontières. Pensez donc à faire établir un laissez passer en bonne et due forme avant d'entrer sur son territoire… Bien sûr, tout ceci n'est que riza, une plaisanterie, témoignant que cette petite République, dépourvue de toute revendication séparatiste, ne se prend pas franchement au sérieux. Elle met en revanche un point d'honneur à faire vivre son identité dans un folklore de bon ton, et à participer par là même au dynamisme culturel et touristique de la région.

 

Lorsqu'en 1947 il nomme Georges Pourchet « Président de la République libre du Saugeais » en réponse à une boutade de l'hôtelier de Montbenoît, le préfet Ottaviani ne pensait peut-être pas être pris au mot. Pourtant, depuis cette date, la République porte haut ses couleurs, guidée sans faillir par ses présidents héréditaires Georges Pourchet, son épouse Gabrielle et depuis 2006 leur fille Georgette Bertin-Pourchet, épaulée dans sa tâche par un premier ministre, un secrétaire général et une armée de deux douaniers. Plus de 400 personnes se sont vues jusqu'à ce jour élevées au rang de citoyens d'honneur du Saugeais, Edgar Faure, alors président de l'Assemblée nationale, étant le premier à avoir reçu cette distinction en 1975. Ici comme ailleurs, blason, drapeau, timbre poste, monnaie et hymne national sont autant de symboles légitimant l'existence de la République. Atypique, le Saugeais offre un intérêt supplémentaire, celui de l'abbaye de Montbenoît, extraordinaire patrimoine religieux du XIIe siècle. L'ensemble fonde toute la particularité et l'attrait de cette enclave en terre comtoise.

 

 

 

 

Le saugeais, cousin du français

Comme lui issu du gallo-roman, le saugeais n'est pas un dérivé du français, mais un cousin appartenant à une autre branche de ce tronc commun. Ponctué d'accents toniques lui conférant toute sa saveur, le patois sauget vient du francoprovençal, qui, de la Suisse romande au Val d'Aoste, en passant par le Lyonnais, le Dauphiné et la Savoie, représente un troisième rameau du gallo-roman, à côté de la langue d'Oïl parlée au Nord et la langue d'Oc employée au Sud de la France. Si à Besançon, Baume-les-Dames ou Vesoul le franc-comtois est d'Oïl, le Saugeais appartient encore au domaine franco- provençal dont il marque une frontière.

 

« C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner, d'une part des ressemblances que beaucoup ont signalées entre le Saugeais et le Valaisan ou le Valdotain, et d'autre part des grandes différences entre le Saugeais et le patois de Morteau ou de Vennes qui ont suscité tant de moqueries mutuelles entre voisins !… » constate, amusé, Rémy Bôle-Richard.

 

Objet d'une analyse en synchronie permettant d'en dégager les caractéristiques propres, le patois sauget a ensuite été étudié  dans  le  contexte  de  la  langue  francoprovençale  pour  établir  les  comparaisons  d'usage  avec  d'autres dialectes. « Certaines sonorités ne se retrouvent dans aucun autre patois comtois ou francoprovençal. » Une des caractéristiques  de  la  langue  saugette  est  le  rhotacisme  du  « n »  intervocalique  qui  consiste  à  transformer  le  « n »  en  « r », ce qui, après élision de la voyelle précédente, donne à l'étymologie luna, pour lune, le mot lra en saugeais. Tri, de tenere, pour tenir, ou mruta, de minuta, pour minute, procèdent du même phénomène.

 

Outre les indications étymologiques et sémantiques, de nombreuses entrées du dictionnaire comportent des commentaires sur le contexte d'emploi des mots. Et hors du champ linguistique, l'ouvrage rend compte d'une façon de vivre et d'une fierté saugettes, mises en scène dans nombre de dictons ou chansons. En huit couplets, l'hymne saugeais en reste un témoignage vivant, dont voici quelques vers :

 

         Lè Sâdjè anman la dzansenra

         Lou sèrâ pu lou sâpikè.

         I moudjan grô, bèyan a penra,

         Mè sa ne rvod pè lè fransè.  

 

         Les Saugets aiment la gentiane,

         Le serrat et le saupiquet.

         Ils mangent beaucoup, boivent à peine,

         Mais ça ne regarde pas les Français.  

 


Rémy Bôle-Richard, Les mots du Saugeais, dictionnaire du patois sauget, éditions Cêtre, 2009

 


Contact : Rémy Bôle-Richard

Tél. (0033/0) 6 69 72 59 06 / (00261/0) 33 14 977 60

 

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