Université de Franche-Comté

Empreinte environnementale : jeu de piste à travers les âges

Photographie témoin d’un lieu, cliché révélateur d’une époque, l’environnement est sans cesse en évolution. Soumis de tout temps aux aléas climatiques, il est aussi façonné par l’homme depuis des millénaires.

Des recherches novatrices démontrent que le rapport entre l’homme et le territoire est bien une longue histoire. Du Jura à la Méditerranée, du Groenland au Sahara, les traces du passé exhumées du fond des lacs et des tourbières dressent des parallèles avec l’histoire et l’archéologie. Elles apportent les preuves tangibles d’occupations humaines, sources de bouleversements des paysages, de modification des écosystèmes, de pollution latente… Des éléments de connaissance éclairant d’un jour nouveau le passé pour mieux peut-être se projeter dans l’avenir.

 

 

  

 

SOMMAIRE

 

Introduction

 

 

Des nouvelles fraîches des années 5000 av. J.-C.

 

 

Rien de bien naturel dans un paysage !

 

 

Des pollutions très anciennes

 

 

Groenland : une présence humaine à épisodes

 

 

L'eau et le feu, signatures de la Méditerranée

 

 

  

 

 

Palynologues, paléoclimatologues, géochimistes… les spécialistes traduisent à livre ouvert les informations enfouies sous le niveau des lacs ou dans les sols, dans des mètres de sédiments reconstituant les chapitres de notre histoire. Véritables archives biologiques, les sédiments renferment pollens, bois, graines, algues, coquilles, spores et autres restes d’insectes, accumulés là depuis des millénaires. Ils ont aussi emprisonné du titane, de l’azote, des carbonates, du plomb, du césium… Les lacs et les tourbières sont d’excellents conservateurs de ces archives et fournissent aux chercheurs des matériaux exceptionnels, qui, sur quelques mètres d’une carotte de prélèvement, racontent l’évolution de l’environnement sur plusieurs milliers d’années. Des échantillons de 1 ou 2 mm d’épaisseur, parfois moins, sont patiemment décortiqués et analysés, et les éléments recueillis sont identifiés puis datés au radiocarbone. Pas moins de sept à dix experts de spécialités différentes interviennent sur chaque échantillon pour en percer les secrets.

 

La palynologie, s’intéressant à l’étude des pollens, apporte de précieux renseignements qu’elle peut mettre en relation avec des données historiques ou archéologiques. Il en va de même pour les analyses géochimiques. Cette lecture fournit des exemples parlants à différentes époques : signe de déclin de l’agriculture, des pollens de milieux en friche et d’arbustes remplacent les pollens de céréales au XIVe siècle, à une période où la peste noire et les guerres déciment les populations ; depuis le XVIIe siècle, au cours duquel Colbert fait réguler les coupes de bois pour lutter contre la surexploitation des forêts, les pollens d’arbres se multiplient dans le Jura ; une concentration élevée de césium 137 correspond aux essais nucléaires des années 1960 ou à la catastrophe de Tchernobyl… Ces rapprochements apparaissent essentiels et se développent : une thèse dirigée sous la double tutelle palynologie et histoire a récemment démarré à Besançon. Elle concerne l’étude comparée du Jura depuis la naissance de J.-C. et plus particulièrement le dernier millénaire.

 

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Des nouvelles fraîches des années 5000 av. J.-C.

Au-delà de ces comparaisons fécondes, les analyses sédimentologiques apportent des informations là où il n’existe pas ou peu de vestiges archéologiques, parce que certains endroits n’ont parfois encore jamais fait l’objet de fouilles ou de trouvailles fortuites grâce au soc des charrues. Les lacs et les tourbières situés dans le Jura, les Vosges ou le Morvan se prêtent particulièrement bien à des recherches qui apportent des éclairages inédits sur ces régions. Ainsi, la présence significative de pollens de céréales a été relevée dans les sédiments du lac Saint-Point, dans le massif du Jura. Datés de 5300 avant notre ère, ils suggèrent une occupation humaine locale antérieure de plusieurs millénaires à ce que révélaient les traces archéologiques et historiques. Cette découverte pose une autre interrogation : les derniers chasseurs-cueilleurs vivant à cette époque avaient-ils déjà adopté quelques pratiques agricoles que l’on pensait l’apanage de leurs successeurs ?

 

La fin de la période glaciaire a un impact spécifique sur les Vosges, petit massif montagneux et isolé.

 

Anne-Véronique Walter-Simonnet, sédimentologue à l’université de Franche-Comté, travaille sur les informations données par le fond des lacs, derrière les moraines formées par les glaciers. La découverte d’espèces végétales jamais décrites auparavant dans certains sites vosgiens se prête à de nouvelles hypothèses. Des concentrations étonnamment importantes de pollens de Rubiacées, une plante herbacée commune, prouve à ces endroits situés à 1 000 m d’altitude le grand développement de cette plante 6 000 ans avant notre ère. L’identification de pollens de la famille du chanvre laisse supposer, au vu de fortes concentrations, la présence de l’homme et de cultures à la même période. « Dans les Vosges, les points de comparaison sur des temps aussi anciens n’existent pas, précise-t-elle. Nos recherches posent des jalons pour de futures fouilles. »

 

 

Alternances sédimentaires - Carotte issue de la tourbière de Nataloup (Morvan)

 

Alternances sédimentaires – Carotte issue de la tourbière de Nataloup (Morvan) – Section de 1 à 2 mètres de profondeur

 

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Rien de bien naturel dans un paysage  ! 

Il est donc établi que depuis des siècles, voire des millénaires, l’homme laisse son empreinte sur l’environnement. « Un paysage est l’œuvre de siècles d’intervention humaine et n’a finalement pas grand-chose de naturel… » souligne Émilie Gauthier, palynologue à l’université de Franche-Comté.

 

Nos régions en sont des exemples parlants…

 

À partir de 8000 av. J.-C., au début de l’Holocène marquant l’arrivée d’un climat favorable après une longue période glaciaire, le Haut Jura est couvert d’une chênaie mixte, semblable aux forêts actuelles de nos plaines, dont sont absents les sapins, les épicéas et les hêtres. Les premiers défrichements démarrent 5 000 ans avant notre ère avec les débuts de l’agriculture, mais n’ont encore que peu d’impact sur un territoire encore essentiellement boisé. Sous les pressions conjuguées de la démographie, du politique et de la religion, la période médiévale marque en revanche un net recul de la forêt. Au XVe siècle, la déforestation s’accentue, le paysage est complètement bouleversé. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que la forêt reprenne de nouveaux droits, avec cette fois l’épicéa pour essence majeure, et que se développe le paysage du Haut Jura que nous connaissons aujourd’hui. Dans le Morvan, Isabelle Jouffroy-Bapicot, palynologue, chercheuse CNRS au laboratoire Chrono-environnement, indique que le paysage actuel, très forestier, jalonné de plantations de résineux, est aussi très récent.

 

La hêtraie-chênaie installée dans le Haut Morvan depuis plus de 5 000 ans a été progressivement défrichée par les sociétés humaines qui s’y sont succédé. Le paysage a ainsi été modelé par différentes pratiques que l’analyse des grains, pollens, spores et autres micro-organismes a permis d’identifier : l’agriculture, le pastoralisme, puis les paléo-industries, jusqu’à l’exploitation du bois du Morvan pour chauffer Paris (du XVIIe siècle au début du XXe). Ici, les données paléoécologiques ont aussi renouvelé l’histoire de l’occupation de cette zone de moyenne montagne.

 

Elles ont révélé une présence humaine pour des périodes localement très mal connues, comme le début du Néolithique (5000 av. J.-C.), le premier âge du fer (entre 800 et 450 av. J.-C.) ou encore le haut Moyen Âge (du Ve siècle à l’an Mil).

 

 

Lame d'échantillon - Identification de pollens

 

Lame d’échantillon – identification de pollens

 

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Truites au plomb

 

Des truites contaminées au plomb dans le parc naturel des Cévennes ?… Si l’information paraît antinomique, elle n’en est pas moins vraie et confirmée par les analyses scientifiques. Cette pollution avérée au plomb et au cadmium représente un stress environnemental d’une importance telle qu’elle a nuit au développement normal des poissons.

 

Les truites pêchées dans des rivières cévenoles à proximité d’anciennes mines se retrouvent aujourd’hui affectées par 2 400 ans de pollution métallique concentrée dans les résidus miniers. Emprisonnées dans les sédiments lacustres, ces pollutions révèlent dans les matières analysées des teneurs de 100 μg/g pour le cadmium, 15 000 μg/g pour le plomb et 25 000 μg/g pour le zinc, quand les concentrations habituellement observées sur des sites non anthropisés sont de l’ordre de 0,3 μg/g pour le cadmium, 40 pour le plomb et 240 pour le zinc. Peu mobiles dans le temps, ces métaux figés dans les sols constituent un héritage qu’il va falloir gérer.

 

Menée par Fabrice Monna, géochimiste à l’université de Bourgogne, cette enquête a de quoi inquiéter. D’autres études sont en cours dans le Morvan et dans les Vosges, où des activités minières très anciennes sont également recensées.

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Des pollutions très anciennes

Dans le Morvan comme dans les Vosges, les activités minières et métallurgiques, supposées très anciennes par les archéologues, se confirment par la combinaison des analyses polliniques et géochimiques. Les mesures géochimiques, assurées par une équipe de Dijon, ont pour but d’évaluer la pollution atmosphérique liée à ces activités.

 

Dans le Morvan, l’exploitation des mines et le travail des métaux sont attestés dès l’âge du bronze (1800 / 1650 av. J.-C.), époque pour laquelle les vestiges archéologiques sont pratiquement inexistants. Dans les Vosges, ces activités auraient démarré timidement dès l’âge du fer et l’Antiquité (500 av. J.-C. / 500 ap. J.-C.), puis se seraient intensifiées à partir du XIe siècle.

 

Sur le site bourguignon de l’oppidum de Bibracte, active cité gauloise fondée au IIe siècle av. J.-C., les archéologues ont mis au jour des mines à ciel ouvert. La géochimie révèle que 20 % du plomb d’origine anthropique présent dans l’environnement de Bibracte date d’avant l’ère chrétienne, et 50 % avant le XVIIe siècle. À la manière de véritables empreintes digitales, les isotopes du plomb permettent en effet d’identifier l’origine du métal.

 

 

 

Bilan des apports atmosphériques de plomb - Tourbière du Port des Lamberts (Morvan)

 

Bilan des apports atmosphériques de plomb dans la tourbière du Port-des-Lamberts (Morvan) depuis plus de 3 000 ans.

La forte décroissance de la courbe peu avant les années 2000

correspond à la réduction puis à l’interdiction de l’essence au plomb en France

 

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Occupation humaine et gestion de la forêt

 

Au Néolithique et au début de l’âge du bronze, les villages lacustres vivent pendant deux ou trois générations puis sont abandonnés pour de nouveaux horizons. L’environnement, très boisé, fait l’objet de défrichements ponctuels permettant la culture sur l’humus forestier. La pluie et l’érosion ont peu à peu raison de la fertilité du sol, déjà bien exploité : contraints d’abandonner ces parcelles à la jachère, les agriculteurs se déplacent pour des contrées vierges où ils renouvellent les opérations de défrichement et reconstruisent des habitations. Témoin de pratiques différentes, un village de l’âge du bronze final a été mis au jour sur les rives du lac de Neuchâtel. Comptant soixante-quatre maisons, sa naissance est estimée par les archéologues de l’université de Neuchâtel à l’an 1050 av. J.-C. et son abandon vers 870 av. J.-C. C’est la première fois qu’un village aussi pérenne est découvert dans cette région.

 

La quantité impressionnante de bois qu’il recèle, parmi lesquels on ne dénombre pas moins de 8 000 pieux de fondation des maisons, a fait l’objet de l’expertise sans faille de la dendrochronologie.

 

L’existence du village montre la capacité d’adaptation dont ont fait preuve les agriculteurs d’alors, munis de meilleurs outils et surtout aptes à organiser une véritable gestion de la forêt. Lorsque le système, malgré ses progrès, trouve ses limites, le village est là encore abandonné et l’histoire se poursuit ailleurs…

 

 

Des cernes qui en disent long

Depuis le développement de la dendrochronologie comme discipline scientifique dans les années 1930, les archéologues ont travaillé à l’élaboration de courbes de références permettant d’étalonner les nouvelles observations. Une courbe moyenne européenne est ainsi admise sur l’ensemble du continent depuis 8000 ans av. J.-C. jusqu’à aujourd’hui ; sa lecture se complète de courbes réalisées régionalement, voire localement.

 

La dendrochronologie ne se contente pas d’estimer l’âge d’un arbre, indiqué par le nombre et la morphologie des cernes de croissance courant à l’intérieur de son tronc. Elle détermine aussi son type de croissance, et permet de savoir dans quelle forêt il a poussé, des informations que l’on retrouve dans les éléments de construction en bois. Ainsi, une parcelle de forêt coupée à blanc reste parsemée de souches qu’il était à l’époque impossible d’extraire du sol. De ces souches naissent des rejets qui démarrent tous en même temps et deviendront des arbres, tous du même âge. Les objets lacustres identiquement datés montrent qu’ils proviennent de ce type de parcelles et prouvent que ces zones ont fait l’objet d’exploitations antérieures. « On peut ainsi comprendre quelle était la gestion du terroir et de la forêt à cette époque, et suivre son évolution », raconte Matthieu Honegger, enseignant-chercheur en archéologie préhistorique à l’université de Neuchâtel.

 

 

Cernes d'un arbre étudiées par dendrochronologie 

 

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Groenland  : une présence humaine à épisodes 

 

Barge de forage sur un lac dans le sud du Groenland (photo J.F. Desmarchelier) 

 

Barge de forage sur un lac dans le sud du Groenland – Photo Jean-François Desmarchelier

 

 

Le Jura, les Vosges et le Morvan ont fait l’objet de recherches à proximité de sites archéologiques comme sur des territoires moins prospectés, tous marqués durablement par la présence de l’homme. Travailler sur une zone dont l’occupation épisodique est avérée permet de suivre l’impact de l’homme sur un territoire, puis la façon dont l’environnement retrouve son état primitif. Les pas des chercheurs du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté se sont ainsi portés jusqu’au Groenland, l’une des rares terres connues pour cette singularité, grâce au programme Green Greenland financé par l’ANR.

 

En 986, les premiers colons vikings menés par Éric le Rouge débarquent sur cette terre inhospitalière et tentent de développer au sud-ouest de l’île une économie basée sur le pastoralisme, important d’Islande bovins, moutons, chèvres, chevaux, chiens et porcs. Le pâturage, limité à quatre à cinq mois par an, doit être relayé durant les longs hivers par un apport considérable de fourrage. Les Vikings défrichent la maigre végétation forestière pour étendre les surfaces cultivables et les pâturages, pratiquent la fumure et la transhumance. La chasse et la pêche assurent en complément leur subsistance.

 

Les colonies vikings atteindront jusqu’à 2 000 à 3 000 personnes pour cinq cents fermes. Cependant, vaincues par des conditions climatiques de plus en plus défavorables avec l’arrivée du petit âge glaciaire au XIVe siècle, qui déstabilisent un système économique déjà fragile, elles s’éteignent vers 1450. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour voir réapparaître des agriculteurs dans cette région. Ces différentes périodes d’occupation sont bien documentées tant au niveau de l’histoire que de l’archéologie, et mettent en lumière les enseignements tirés des études sédimentaires. Les forages effectués dans les lacs groenlandais montrent que l’occupation viking n’a eu que peu d’influence sur l’environnement, remettant en cause l’hypothèse parfois formulée d’une exploitation outrancière ayant ruiné les ressources naturelles de la région et provoqué l’extinction des colonies.

 

Entre 1920 et 1980, les méthodes des agriculteurs modernes n’ont pas davantage impacté le territoire. En revanche, l’intensification de l’agriculture depuis le début des années 1980, marquée par le recours massif aux engrais pour augmenter les rendements du fourrage et ainsi assurer la subsistance des troupeaux aux périodes d’hivernage, change complètement la donne.

 

La lecture des sédiments lacustres montre que « l’environnement se transforme de façon terrifiante. On y trouve des espèces d’algues qui habituellement se développent dans les lacs pollués », déplore Hervé Richard, directeur du laboratoire Chrono-environnement, l’un des initiateurs des expéditions vers le Groenland.

 

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Le Sahara vert, ou l’impact de l’environnement sur l’homme 

 

Le Sahara n’a pas toujours été une immensité désertique. Au début de l’Holocène, « l’humide saharien » s’explique par la variation de l’insolation terrestre, responsable d’une mousson africaine plus importante qu’aujourd’hui, et par la fonte des glaces, provoquant l’élévation du niveau des mers. « Le Sahara bénéficie alors de pluies plus abondantes, responsables de la formation de lacs. Cette période humide permet à la savane de s’étendre, et les ressources que le Sahara offre alors autorisent les peuples sédentaires ou semi-nomades à y vivre en permanence » raconte Matthieu Honegger, enseignant-chercheur en archéologie préhistorique à l’université de Neuchâtel.

 

Entre 5500 et 5000 av. J.-C, cette influence climatique s’amoindrit, la zone de convergence inter- tropicale régulant les moussons descend en latitude, et le Sahara bascule peu à peu vers la sécheresse.

 

Le climat devenu plus aride oblige les populations à se regrouper autour des points d’eau — vallée du Nil ou oasis — et à développer soit une agriculture plus performante, soit des pratiques pastorales supposant des déplacements fréquents à la recherche de nouveaux pâturages devenus plus rares.

 

Matthieu Honegger travaille au Soudan et en Nubie, notamment sur le site de Kerma, sur les modèles de peuplement local. Ses recherches confirment dans cette région les études menées dans d’autres zones du Sahara oriental, notamment en Égypte.

 

« Si pour la première moitié de l’Holocène nous disposons d’informations sédimentaires, pour la seconde, c’est plus difficile. L’aridité et l’érosion empêchent la sédimentation, les pollens ont été détruits par la sécheresse, le charbon est inexistant… Les sites livrent peu de témoignages directs. » Pour cette période, ce sont les restes de faune, poissons et vertébrés, qui délivrent les meilleures informations.

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L’eau et le feu, signatures de la Méditerranée

Sous d’autres latitudes, la Méditerranée… Les sédiments racontent l’histoire des lacs grâce aux micro-organismes qu’ils recèlent, véritables marqueurs permettant de reconstituer le niveau des eaux au fil du temps. Ils gardent aussi la mémoire des feux en conservant des charbons de bois, des résidus chimiquement stables dans le temps. Or, l’eau et le feu sont deux composantes des écosystèmes méditerranéens particulièrement révélatrices de leur évolution. Relativement pauvres en eau, fortement marquées par les cultures néolithiques dont elles constituent une voie d’expansion privilégiée, les régions méditerranéennes sont à double titre sensibles aux perturbations.

 

Les questions actuelles concernant le réchauffement climatique ont motivé les recherches dans ces régions sur toute la période de l’Holocène. Aujourd’hui, on connaît encore mal les conséquences de l’effet de serre sur l’environnement : à la manière d’un rétro-observatoire, l’étude du passé donne la possibilité d’évaluer le temps de réponse des écosystèmes aux forçages climatiques et anthropiques, de comprendre les mécanismes à l’origine des changements, et d’établir des projections. « Jusqu’à présent se dégageaient de grandes tendances ; maintenant on entre dans le détail avec une échelle de temps inférieure au siècle » explique Michel Magny, chercheur CNRS en paléoclimatologie au laboratoire Chrono-environnement.

 

Agissant à la manière de gros pluviomètres, les lacs indiquent par la variation de leur niveau les périodes d’humidité et de sécheresse. Enrichie de l’apport d’autres disciplines comme la géosismique, l’archéologie, la palynologie…, cette observation aide à reconstituer le climat, et les variations de la saisonnalité. La définition du climat méditerranéen, froid et humide en hiver, chaud et sec en été, n’est pas constante à travers le temps et les recherches menées ces vingt dernières années ont apporté une vision nouvelle du climat sur les 10 000 ans passés.

 

Les résultats récents de recherches menées en Sicile montrent qu’au sud de la Méditerranée, entre 8000 et 2500 av. J.-C., le climat était humide en été comme en hiver, favorisant la hausse du niveau des lacs et le développement des arbres à feuilles caduques. À partir de 2500 av. J.-C., l’assèchement du climat, notable surtout en été, a provoqué une baisse des plans d’eau et le recul de ces essences forestières. La saisonnalité est un élément décisif pour la compréhension du climat. Les travaux récents montrent qu’au cœur de la grande région méditerranéenne elle n’obéit pas seulement à une opposition est / ouest comme on l’a le plus souvent décrite, mais aussi à une opposition nord / sud marquant les contrastes saisonniers selon l’axe du 40e parallèle nord.

 

Ces données climatiques sont à mettre en relation avec une autre composante à part entière de l’écosystème méditerranéen : le feu. L’étude des résidus de charbon de bois dans les sédiments lacustres a permis de reconstituer pour tout l’Holocène la fréquence et le statut des feux. Les travaux de Boris Vannière, chercheur CNRS au laboratoire Chrono-environnement, ont montré que les feux surviennent de façon naturelle tous les 150 ans environ. Provoqué par des orages puis nourri par la biomasse dont la qualité dépend des conditions d’humidité et de sécheresse sur plusieurs années, et enfin propagé en fonction du vent, le feu, qu’il soit de faible ou de forte sévérité, a forcément des répercussions sur l’environnement. « Si pour l’homme, hors d’un usage agropastoral, le feu est dans bien des cas synonyme de catastrophe, il peut être au contraire un facteur de régénérescence, favoriser la biodiversité et être moteur de la dynamique des écosystèmes. »

 

Pendant les deux premiers tiers de l’Holocène, les évolutions de l’eau et du feu apparaissent corrélées ; on constate ensuite qu’elles divergent, indiquant l’importance du facteur humain (cf. graphique).

 

Le feu est utilisé pour le défrichement des forêts et l’entretien des espaces pastoraux. Ces pratiques marquent le début d’une déconnexion avec un écosystème qui n’a plus forcément la possibilité de s’adapter.

 

À partir de 4000 av. J.-C., l’influence de l’homme prend le pas sur les incidences climatiques. La pression démographique, les changements dans les pratiques agricoles, l’organisation de l’économie marchande et la fondation des grandes cités renforcent peu à peu cette domination, qui devient très significative à l’époque romaine.

 

 

Graphique de l'évolution de l'eau et du feu en Méditerranée 

 

 

Les recherches menées sur la Méditerranée font partie du programme Mistrals porté par le CNRS et ont donné lieu à la constitution d’un réseau de collaboration sur tout le pourtour méditerranéen.

 

Comme les autres enseignements livrés par l’étude sédimendaire, elles nourrissent des modèles grâce à des données réelles tirées du passé, pour ensuite servir de base à des projections sur le futur.

 

 

Contact :

Laboratoire Chrono-environnement – Université de Franche-Comté / CNRS

Hervé Richard – Tél. (0033/0) 3 81 66 64 43

Anne-Véronique Walter-Simonnet – Tél. (0033/0) 3 81 66 62 89

Émilie Gauthier – Tél. (0033/0) 3 81 66 66 69 

Isabelle Jouffroy – Tél. (0033/0) 3 81 66 63 53 

Michel Magny – Tél. (0033/0) 3 81 66 64 39 

Boris Vannière – Tél. (0033/0) 3 81 66 63 95

 

Institut d’archéologie – Université de Neuchâtel

Matthieu Honegger – Tél. (0041/0) 32 889 86 82 

 

Laboratoire ARTéHIS – Université de Bourgogne / CNRS

Fabrice Monna – Tél. (0033/0) 3 80 39 63 60

 

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